Dès l’annonce du rétablissement des relations diplomatiques entre La Havane et Washington, les rédactions se sont emballées. Urgence médiatique oblige, sur France Inter, Nicolas Demorand a joint Zoé Valdés, sans doute la commentatrice la plus aigrie de la diaspora cubaine. Sans surprise, nous avons eu droit à des propos haineux qui n’ont pas changé d’un iota depuis des décennies… Du réchauffé pour commenter une situation totalement inédite, donc… Le lendemain matin sur la même antenne, la même interlocutrice affirmait au micro de Patrick Cohen que l’allocution de Barack Obama avait été censurée à Cuba. Las ! Quelques minutes après, le chroniqueur géopolitique Bernard Guetta, qu’on ne saurait soupçonner de complaisance envers le régime castriste, affirmait que tous les Cubains avaient suivi l’allocution du président étatsunien, retransmise en direct sur la chaîne vénézuélienne Telesur. Il n’y a pas eu de rectification a posteriori. On ose espérer que c’est par conviction que les auditeurs sont moins bêtes qu’on ne cherche à les rendre.
Même ton dans le journal télévisé de David Pujadas sur France 2, pour qui le retour au pays des trois Cubains emprisonnés pendant 15 ans aux États-Unis avait été « mis en scène » par la télévision d’Etat. Le commentaire accompagnait des images où l’on voyait le président Raul Castro accueillir les trois hommes à leur descente d’avion et les saluer chaleureusement. Des images absolument similaires à celles qu’on a vues en France, pas plus tard que la semaine dernière, lors de la libération de Serge Lazarevic, reçu lui aussi et salué avec effusion par le président de son pays. Les journalistes de la télévision publique ont-ils eu l’impression de s’être prêtés à une « mise en scène » ?
Enfin, craignant d’être en retrait dans ce concert de commentaires précipités, « Reporters sans frontières » n’a pas attendu plus de 24 heures pour exiger la libération des journalistes indûment emprisonnés à Cuba. Certes, cette exigence n’est pas nouvelle … mais on est en droit de se demander si la stratégie de l’injonction servira en définitive la juste cause qu’elle entend défendre. Ironie du sort, le même jour, RSF réagissait à l’assassinat d’un journaliste perpétré une semaine avant au Honduras. Après avoir justement rappelé que ce pays est un des plus mortifères pour les journalistes (plus de 27 assassinats depuis 2009), pourquoi le communiqué se contente-t-il d’exhorter les autorités à diligenter une enquête exhaustive ? Pourquoi omet-il de rappeler que celles-ci ignorent systématiquement les mesures de protection recommandées de longue date pour de nombreux journalistes – y compris pour la propre correspondante de RSF – par la Commission interaméricaine des droits de l’Homme ?
Inutile de dire que, même quand elle saute aux yeux, la tragique réalité que vivent journalistes honduriens (en particulier ceux qui affichent des positions critiques au gouvernement en place), est peu, voire jamais commentée dans les médias français. Pourtant, cette absence d’information « objective » (et d’information tout court) ne peut être justifiée par le refus de délivrance de visa de presse ; obstacle invoqué par Jean Marc Four sur France Inter pour déplorer le point de vue « trop occidental » des journalistes sur Cuba. La liberté d’informer et d’être informé, à Cuba comme dans le monde entier, ne sera jamais mieux défendue qu’en renonçant à dissimuler la paresse intellectuelle et les indignations sélectives sous le masque de l’honnêteté journalistique.