Par Mónica Baltodano*
San José, Costa Rica, 16 novembre 2021
Pour qui a des yeux pour voir, ce qui s'est passé le 7 novembre au Nicaragua n’a pas été un processus électoral, mais une fiction éhontée mise en scène par Ortega et Murillo[1] dans le but de « se réélire » sans avoir à affronter d’opposants. Tout cela pour continuer à contrôler et à saigner l'État, pour se prémunir contre les preuves de leurs crimes et pour continuer à engraisser leurs entreprises familiales et celles de leurs soutiens dans toutes les instances de pouvoir : la bourgeoisie rouge et noire émergente.

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Le simulacre pervers a pu s’appuyer sur des lois visant à criminaliser l'opposition, sur la contre-réforme de la loi électorale et sur la complicité de candidats anonymes et d'organisations fantoches, qui étaient là pour donner l’illusion qu'il y avait d'autres options électorales, dans l'opéra bouffe avec laquelle ils ont essayé – sans succès – de berner le peuple.
Le simulacre a également été macabre car le montage nécessaire à la représentation de la farce a exigé la fermeture de médias tels que La Prensa, la criminalisation des journalistes et l’arrestation de plus de trente dirigeants et personnalités politiques, dont sept pré-candidats à la présidence. Cette persécution a entrainé une nouvelle vague d'exilés.
La dictature a refusé toute observation indépendante des élections et, pour la première fois, la presse internationale a été empêchée d'entrer dans le pays. Jamais auparavant on n'avait connu un tel niveau d'arbitraire dans la région.
Tout l'appareil électoral de ce qui fût le parti FSLN a sillonné les territoires, listes en main, pour garantir que tou.te.s les employé.e.s des institutions de l'État et leurs familles se rendraient bien aux urnes. Le doigt marqué d'encre indélébile constituait l’un des mécanismes de contrôle, mais les employés devaient également montrer une photo de leur bulletin de vote coché pour la dictature.
L'appel à une GRÈVE ÉLECTORALE CITOYENNE lancé par l'Articulation des mouvements sociaux à la mi-septembre a fait l'objet d'un consensus au sein de toutes les forces politiques et civiques, du mouvement paysan, des organisations féministes et des nouvelles expressions politiques de la jeunesse et des étudiants. Au Nicaragua ; l'Unité Nationale Bleu et Blanc (UNAB) a appelé le peuple à ne pas se rendre aux urnes, à fermer les portes de leurs maisons et à ne pas circuler dans les rues, tandis qu’à l'étranger ‘à les exilés ont appelé à manifester leur rejet du simulacre de démocratie.

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L'appel à la grève électorale a fonctionné. À l'aube du 7, le pays tout entier avait l'air désolé. Les ténors du régime ont défilé de bon matin dans les bureaux de vote. De son côté, Ortega a dû se montrer plus tôt qu’à l’accoutumée pour rompre le silence électoral tout en invectivant ses adversaires.
L'observatoire électoral citoyen indépendant Urnas Abiertas, qui avait déployé des observateurs opérant de manière anonyme pour suivre l'ensemble du processus, a pu constater que l'abstention avait atteint un peu plus de 81%[2]. Le régime, pour sa part, a revendiqué une participation de 60 % et s'est empressé de s’adjuger 75 % des voix, proclamant vainqueur Daniel Ortega – éternel candidat du FSLN depuis 1984.
La prétendue élection d’Ortega contraste avec les résultats du dernier sondage réalisé par CID GALLUP selon lequel 69% des Nicaraguayens désapprouvent la gestion d’Ortega. En revanche, 65 % d'entre eux auraient été prêts à voter pour l’un des pré-candidats qu'Ortega retient prisonniers depuis mai, afin d'obtenir le départ du dictateur, qui n'obtiendrait que 19 % des voix.
Et ensuite ?
Ortega tentera d'empêcher le mouvement Bleu et Blanc de se restructurer à l'intérieur du pays, en ayant recours à une répression musclée, tout en maintenant sa rhétorique méprisante envers le rejet exprimé par la majorité des gouvernements et des organisations internationales.
Il tentera également d'atténuer la pression internationale en organisant un nouveau simulacre de dialogue. Les mesures qu'il a prises récemment indiquent qu'il échafaude un scénario avec des « interlocuteurs » à sa convenance. Les arrestations du président et du vice-président du COSEP, Michael Healy et Álvaro Vargas – malgré le silence qu’ils ont observé ces derniers mois – ont permis à un second vice-président, César Zamora, d'assurer l'intérim à la tête de cette organisation patronale. M. Zamora est président de la Chambre de l'énergie (CEN), l'un des secteurs qui a le plus bénéficié des concessions et des tarifs énergétiques les plus chers d'Amérique centrale fixés par le gouvernement d'Ortega, et a été jusqu'à présent l'un des hommes d'affaires les plus ouverts au dialogue avec le dictateur.
Dans un discours furibond prononcé le 8 novembre, Ortega a clamé que les dirigeants prodémocratie emprisonnés sont les « fils de chienne » de l'impérialisme[3], qu'ils ne sont pas nicaraguayens et que les États-Unis devraient les prendre chez eux. Ce faisant, il a signalé l’éventualité d’un bannissement de tous les emprisonnés, comme Somoza l'avait fait autrefois avec Carlos Fonseca, Pedro Joaquín Chamorro et d'autres patriotes.
D'autre part, il reste à voir en réalité quelle sera la position des États-Unis, qui, comme on le sait, font toujours passer leurs propres intérêts en premier. Tout comme la rhétorique anti-impérialiste d’Ortega ne trompe que peu d'entre nous, la position étatsunienne contre ce régime n'a pas encore dépassé le stade des sanctions personnelles. À ce jour, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, la BID et la BCIE continuent d'accorder des ressources financières cruciales pour le gouvernement dirigé par Ortega ainsi que pour son appareil répressif. L'accord de libre-échange (DR-CAFTA) continue de permettre aux principaux hommes d'affaires nicaraguayens de bénéficier d'avantages, et au gouvernement de résoudre une partie du chômage grâce aux maquiladoras. Pendant ce temps, M. Ortega continue de garantir aux États-Unis un strict contrôle des migrations vers le nord et de bonnes relations entre l'armée fidèle à Ortega et le Commando Sur des États-Unis.
C'est aussi un défi pour la communauté internationale, y compris l'OEA et l'UE, de ne pas se limiter à des déclarations sur le simulacre du 7 novembre. En même temps, la position de l'Argentine lors du dernier vote de l'OEA (12.11.21) doit être affirmée, et López Obrador doit comprendre que sa position ambiguë, similaire à celle d'un gouvernement militariste de droite comme celui du Honduras, envoie des signaux dangereux pour les démocraties de la région. Il reste également à voir si la position du Vatican va évoluer. Le pape François a – jusqu'à présent – gardé un silence qui favorise Ortega, poussant la hiérarchie catholique locale à maintenir une position modérée en accord avec la position du controversé nonce du pape.
En ce qui concerne la gauche, certains secteurs et des personnalités comme Atilio Borón ne peuvent plus fermer les yeux sur la réalité de ce qui se passe au Nicaragua. Les actions d’Ortega seraient le nouveau programme du socialisme et de la nouvelle démocratie : autoritarisme, régime policier, négation de tous les droits politiques des citoyens, fraudes électorales, crimes de lèse-humanité contre un peuple désarmé et confiscation de la liberté d'expression, d'opinion et d'organisation. Ces secteurs continuent d'exprimer leur solidarité avec un régime corrompu qui est plus néolibéral, patriarcal et extractiviste que les oligarchies capitalistes. Il faut les appeler à cesser une fois pour toutes de se couvrir de ridicule, comme l'a fait récemment le PT de Lula, qui a salué la « grande fête démocratique » orchestrée par Ortega, avant de retirer, quelques heures plus tard, ces félicitations de son site Web.
Continuer à organiser la résistance
Pour le moment, la capacité du peuple à réagir semble limitée. Le régime maintient un contrôle sans précédent sur la population, en utilisant la suspension de fait des garanties constitutionnelles, les forces de police, les groupes paramilitaires et la surveillance territoriale dans les quartiers et les communautés. Tout cela s'accompagne d'une volonté de tuer, d'emprisonner, de torturer et de forcer à l'exil ceux qui osent la moindre protestation.
Le puzzle formé par les forces du soulèvement de 2018 doit être reconstitué. Il est clair que l'Alliance Civique (AC) a été une marque de fabrique rapidement accaparée par le grand capital. Lors des deux phases du dialogue (mai 2018 et mars 2019), les hommes d'affaires ont assumé une position hégémonique et hésitante. Leur position a contribué à la reprise du contrôle du pays par Ortega, qui n'a bien sûr respecté aucun des accords conclus.
La volonté des forces bleues et blanches de participer au processus électoral de 2021, par le biais de la Coalition nationale, leur a permis de démontrer leur esprit démocratique, mais, par sa réaction, le régime s’est chargé de démanteler toute possibilité de départ du dictateur.
L'association de l'AC avec le parti Citoyens pour la liberté (CXL) pour revendiquer une position anti-gauche, n'a pas contribué à la construction d'alliances antidictatoriales. Et la vague brutale de répression qui a commencé en mai avec l'inculpation de Cristiana Chamorro a tout balayé : droite, gauche, sandinistes, antisandinistes, libéraux, chrétiens sociaux, hommes d'affaires, leaders étudiants et paysans.
En ce moment, les différentes forces, quelle que soit leur appartenance politique, sont victimes d'une forte répression. La possibilité de construire des stratégies pour la liberté et la démocratie dépend de la persévérance dans la construction d'une alliance nationale antidictatoriale, dans le cadre d'un programme minimum axé sur la fin du régime policier, la libération de tous les prisonniers politiques, la récupération des libertés fondamentales et la destitution d'Ortega par une insurrection civique, cette fois-ci avec plus d'organisation et de force. Nous devons tisser et nous convertir en un vaste « mouvement pour la démocratie », au lieu de prétendre être « l'opposition » selon les règles du jeu électoral dans un cadre institutionnel qui n'existe pas dans le pays aujourd'hui. Il ne peut y avoir de véritables élections libres avec Ortega et Murillo au pouvoir. Il faut un mouvement large et horizontal, sans hégémonie d'aucune force, qui œuvre à des stratégies de lutte basées sur la conviction qu’Ortega est un paria, un usurpateur du pouvoir et des institutions. Seul son départ permettra d’initier le chemin vers la démocratie.
En 2021, une fois de plus, la dictature a déployé tout son potentiel néfaste et l’a dévoilé aux yeux de tous. C'est maintenant à nous, Nicaraguayens, de trouver les moyens de précipiter sa chute.
* Exilée politique depuis août 2021
Commandante guérillera de la Révolution Sandiniste de 1979. Historienne. Participe aux luttes contre le pouvoir oppresseur, le patriarcat et le capital.
Version originale en espagnol : https://desinformemonos.org/nicaragua-y-ahora-que/
[1] Daniel Ortega briguait un 4ème mandat consécutif et son épouse, Rosario Murillo, pour la seconde fois, le poste de vice-présidente. (N.d.T.)
[2] La Prensa. 2021, 10 de novembre. Urnas Abiertas explique comment a été calculé le niveau d’abstention le jour des élections.
[3] Il s’agit d’une allusion au président des Etats-Unis qui, se référant à Somoza, aurait déclaré : c’est un fils de pute, mais c’est notre fils de pute. (N.d.T.)