En ce dimanche 21 juin, le soleil est déjà haut dans le ciel de Ciudad de Guatemala, lorsqu’un petit groupe de personnes s’installe sur la Place de la Constitution. Il ne s’agit pourtant pas des habituels stands autour desquels les badauds se pressent en ce jour de repos dominical, mais d’un rassemblement destiné à commémorer la “Journée nationale contre les disparitions forcées”.
Le choix de la date n’a rien de fortuit : le 21 juin 1980, il y a 36 ans jour pour jour, lors d’une rafle au siège de la Centrale Nationale des Travailleurs (CNT), 27 syndicalistes étaient emmenés. On n’a depuis lors plus jamais rien su d’eux. Vingt ans après les accords de paix de décembre 1996, qui ont mis fin à un conflit armé interne de plus de 36 ans, la recherche d’un parent disparu continue de concerner des dizaines de milliers de familles au Guatemala.

Rapidement, un parterre d’épines de pin et de fleurs fraîchement coupées est disposé au pied du drapeau national qui ondoie au centre de la place. Peu à peu, les roulements de tambours martiaux d’une fanfare qui défile avec des majorettes face au Palais présidentiel sont couverts par le son des flûtes, conques et “chinchines” (maracas) traditionnels des peuples indigènes. Deux mondes se croisent sans se rencontrer. Apparemment, car à quelques pas, sous un chapiteau orné de banderoles et d’étendards rouges où sont estampés un visage… et un nom, Izaura, Leonor, Juan, José, le public commence à se presser. A l’intérieur, des photos retracent divers épisodes des recherches menées : familles rassemblées pour honorer les dépouilles de leurs parents qui leur ont été rendues… Communautés indiennes réalisant des offrandes à leurs disparus ; femmes et hommes s’étreignant pour conjurer la douleur mais peut être également soulagées de pouvoir enfin faire leur deuil. Confrontés à ces images aussi fortes que dignes, les visages sont graves. On vient les voir en famille. Avec de grands yeux surpris, des petits enfants y découvrent d’autres petits enfants, qui aujourd’hui seraient des adultes. Portant indistinctement jeans et baskets ou le “corte et le huipuil” traditionnel des femmes indigènes, des groupes de jeunes gens s’attardent longuement, comme interdits, avant de prendre des clichés avec leurs téléphones portables. Quant aux plus âgés, ceux qui savent, ceux qui se souviennent, ils parcourent l’exposition pour ne pas, pour ne jamais oublier.
Sur les mille ballons lâchés dans le ciel à la fin de la cérémonie on pouvait lire : “Los desaparecidos están en todas partes” (les disparus sont partout). Oui, ils sont dans chaque recoin, dans les fosses encore non explorées, disséminées dans les bases militaires de tout le pays ; dans les ossements découverts par les services d’anthropologie légale qui fouillent sans relâche ; dans les archives poussiéreuses conservées pendant des décennies dans d’obscures officines de la police… Ils sont dans les mémoires et dans les cœurs, sur les murs des villes où leurs visages sont reproduits.
Partout, sous forme de graffiti ou imprimée sur des tee-shirts, l’affirmation : “si, il y a eu génocide” défie ouvertement ceux qui, au sein de la classe politique ou parmi de l’institution militaire, font obstruction aux efforts déployés pour que justice soit enfin rendue. La plupart des militaires de haut rang aujourd’hui traduits devant les tribunaux ont adopté la stratégie de retarder, voire de bloquer les procédures engagées contre eux. Ainsi plusieurs procès retentissants sont désormais enlisés dans les méandres du système de justice guatémaltèque, notamment celui du général Efraín Ríos Montt, président de facto de 1982 à 1983. Selon les organisations de victimes qui se sont portées partie civile, les avocats dont le général s’est attaché les services se sont employés à utiliser savamment toutes les arguties juridiques disponibles pour faire annuler la sentence pour crime de génocide et crimes contre le devoir d’humanité prononcée à son encontre en mai 2013 et s’appliquent désormais à faire échouer la reprise du procès. Avortée en janvier 2015, l’audience d’abord reportée sine die, a finalement été fixée au 23 juillet prochain, mais rien ne garantit qu’elle puisse se dérouler en présence des prévenus (Efraín Ríos Montt et son ancien chef du service d’espionnage José Mauricio Rodriguez Sanchez), qui ont tous deux fait valoir des raisons de santé.