– Ouvrez, les gens, ouvrez la porte, je frappe au seuil et à l’auvent, ouvrez, les gens, je suis le vent, qui s’habille de feuilles mortes.
– Entrez, monsieur, entrez, le vent, voici pour vous la cheminée et sa niche badigeonnée ; entrez chez nous, monsieur le vent.
– Ouvrez, les gens, je suis la pluie, je suis la veuve en robe grise dont la trame s’indéfinise, dans un brouillard couleur de suie.
– Entrez, la veuve, entrez chez nous, entrez, la froide et la livide, les lézardes du mur humide s’ouvrent pour vous loger chez nous.
– Levez, les gens, la barre en fer, ouvrez, les gens, je suis la neige, mon manteau blanc se désagrège sur les routes du vieil hiver.
– Entrez, la neige, entrez, la dame, avec vos pétales de lys et semez-les par le taudis jusque dans l’âtre où vit la flamme.
Car nous sommes les gens inquiétants qui habitent le Nord des régions désertes, qui vous aimons – dites, depuis quels temps ? – pour les peines que nous avons par vous souffertes.
LE POÈTE Du temps que j'étais écolier, Je restais un soir à veiller Dans notre salle solitaire. Devant ma table vint s'asseoir Un pauvre enfant vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Son visage était triste et beau : A la lueur de mon flambeau, Dans mon livre ouvert il vint lire. Il pencha son front sur sa main, Et resta jusqu'au lendemain, Pensif, avec un doux sourire. Comme j'allais avoir quinze ans Je marchais un jour, à pas lents, Dans un bois, sur une bruyère. Au pied d'un arbre vint s'asseoir Un jeune homme vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Je lui demandai mon chemin ; Il tenait un luth d'une main, De l'autre un bouquet d'églantine. Il me fit un salut d'ami, Et, se détournant à demi, Me montra du doigt la colline. A l'âge où l'on croit à l'amour, J'étais seul dans ma chambre un jour, Pleurant ma première misère. Au coin de mon feu vint s'asseoir Un étranger vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Il était morne et soucieux ; D'une main il montrait les cieux, Et de l'autre il tenait un glaive. De ma peine il semblait souffrir, Mais il ne poussa qu'un soupir, Et s'évanouit comme un rêve. A l'âge où l'on est libertin, Pour boire un toast en un festin, Un jour je soulevais mon verre. En face de moi vint s'asseoir Un convive vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Il secouait sous son manteau Un haillon de pourpre en lambeau, Sur sa tête un myrte stérile. Son bras maigre cherchait le mien, Et mon verre, en touchant le sien, Se brisa dans ma main débile. Un an après, il était nuit ; J'étais à genoux près du lit Où venait de mourir mon père. Au chevet du lit vint s'asseoir Un orphelin vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère.
Les miroirs, par les jours abrégés des décembres, Songent-telles des eaux captives-dans les chambres, Et leur mélancolie a pour causes lointaines Tant de visages doux fanés dans ces fontaines Qui s'y voyaient naguère, embellis du sourire ! Et voilà maintenant, quand soi-même on s'y mire, Qu'on croit y retrouver l'une après l'autre et seules Ces figures de sœurs défuntes et d'aïeules Et qu'on croit, se penchant sur la claire surface, Y baiser leurs fronts morts, demeurés dans la glace !