Lettre à Nâzim Hikmet à propos de la Bonté
Charles Dobzynski
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La bonté de Nazim
ressemble à la résine
que pleurent lentement les pins
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La bonté de Nazim
ressemble à l'oxygène
que l'on respire sur les cîmes
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La bonté de Nazim
durant treize ans
taillés à chaud dans l'existence
comme un membre que l'on ampute
ce fut la lutte
de chaque instant
contre l'étranglement de la prison
ténacité de la raison
que les murs et la mort assiègent
et résistance
à toutes les perditions
du désespoir.
La bonté de Nazim
ce fut le courage d'aimer la vie
à la margelle même de la mort
d'étre plus fort que les bourreaux
d'être plus libre
que l'oiseau qui frôlait de l'aile les barreaux
ce fut la grandeur d'être un homme
un poète
qui possède le don de correspondre
par le morse du coeur
avec toute l'humanité.
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La bonté de Nazim
c'est le raisin
d'Anatolie
aussi doux qu'un ventre
qui va enfanter.
La bonté de Nazim
c'est le tourment
de la Turquie
Ma soeur à tête de jument
qui boite
comme une étoile
au firmament.
sous les coups de trique du maître
et ses regards comme attirés par un aimant
se tournent vers le monde qui va naître
La bonté de Nazim
touche le pain rassis
dans les taudis d'Istambul
et le transforme en boule
de soleil.
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La bonté de Nazim
c'est aussi le vent qui souffle d'Asie
transportant l'odeur de la liberté
comme une abeille contamine
l'univers avec son pollen.
La bonté de Nazim
je l'ai connue à Varsovie
elle m'a fait tourner la tête
surprenant champagne
et désormais la bonté m'accompagne
dans la vie
Ombre immense de la comète poésie.
Août-septembre 1955