Le suspect par défaut
Chaque matin, j’aborde la station Nation à Paris 20ème. Mon style, pensé pour se fondre dans la masse, devient un motif de contrôle.
Avant le portique, un simple bip déclenche l’alerte :
« Monsieur, un instant. »

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Suit la fouille expéditive, les mains sur mes affaires, le sac ouvert. Un rituel devenu banal, presque mécanique, imposé cinq à vingt fois par mois. Comme si mon pass Navigo servait moins à voyager qu’à rappeler à mon corps métis qu’il demeure, ici, un intrus à vérifier.
Quand s’habiller devient un risque
La précision de ma tenue n’y change rien, un corps racisé, même tiré à quatre épingles, reste un corps suspect. À Nation, où se croisent cadres pressés et étudiants, je suis le seul systématiquement arrêté. Un col roulé noir et des chaussures en cuir à 220 € n’effacent pas la couleur de peau.
L’apparence, pour moi, n’est plus un moyen de s’intégrer, c’est un fardeau à porter. Pour mes confrères noirs ou arabes, souvent en baskets ou en jogging, c’est pire encore. Leur allure "populaire" déclenche une suspicion plus brutale, plus immédiate. Là où mon style est à peine tolérée, la leur est condamnée d’avance. Ce profilage vestimentaire réactive de vieilles hiérarchies sociales, ni le style, ni l’argent, ni la politesse ne suffisent à blanchir la peau. Sous couvert de sécurité, les mêmes profils sont ciblés, de Nation à Châtelet, en passant par Franklin D. Roosevelt.
Ces fouilles prétendument aléatoires valident en réalité une justice à deux vitesses, où la vigilance devient un filtre racial.
La fatigue d’être suspect
Au-delà de l’humiliation, ces contrôles répétés creusent des cicatrices invisibles. À chaque bip du pass Navigo, la tension monte, où surgira l’agent ? Quel regard accompagnera sa question ? Le trajet quotidien devient un exercice d’endurance psychologique. Peu à peu, s’installe une angoisse sourde, une impression d’illégitimité dans l’espace public. Le métro, censé relier, devient un lieu d’exclusion habituel.
Briser ce cycle suppose des actes concrets :
- Former tous les agents aux biais raciaux et vestimentaires.
- Garantir de vrais contrôles aléatoires, sans points fixes où les mêmes corps sont filtrés.
- Mandater des observateurs indépendants chargés d’évaluer la répartition des fouilles selon l’âge, l’origine, le style vestimentaire.
Sans cela, le réseau restera un miroir déformant de nos inégalités. Habillés chic ou décontractés, les voyageurs racisés continuent de payer le prix d’un racisme institutionnel qui se dissimule derrière la routine.
Il est temps d’en finir avec cette suspicion permanente.
Il est temps que la sécurité cesse de choisir ses visages.