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Billet de blog 9 octobre 2025

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La République des vieillards

Pendant que les dirigeants vieillissants préservent leurs privilèges, la mortalité infantile stagne, la précarité explose chez les moins de trente ans et un million de jeunes ont basculé dans la pauvreté. Cette République des vieillards, qui détient soixante pour cent du patrimoine national, transforme la démocratie en entreprise de prédation intergénérationnelle.

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La République des vieillards

La France dort d'un sommeil de plomb sous le règne de ses anciens. Non pas le sommeil paisible de la sagesse, mais l'engourdissement mortifère d'un pays qui s'est transformé en mouroir démocratique. Pendant que les dirigeants comptent leurs pensions et ajustent leurs lunettes sur des textes qu'ils ne comprennent plus, la jeunesse française agonise dans l'indifférence générale d'une gérontocratie qui a fait de l'égoïsme générationnel un art de gouverner.

Les chiffres dessinent le portrait d'une anomalie démocratique devenue systémique. L'âge moyen des sénateurs culmine à soixante-deux ans, celui des députés stagne à cinquante-et-un ans, mais cette moyenne cache une réalité plus sombre. Plus de soixante pour cent des sièges parlementaires sont occupés par des élus de plus de soixante ans, alors que cette tranche d'âge ne représente que vingt-huit pour cent de la population. À l'Assemblée nationale, les moins de quarante ans ne constituent que trois pour cent des députés, contre dix-neuf pour cent dans la société française. Cette distorsion n'est pas un accident, c'est le produit d'un système qui a organisé méthodiquement l'exclusion de la jeunesse du pouvoir politique.

Le règne des rentiers

Cette mainmise gérontocratique s'enracine dans une réalité économique brutale. Les baby-boomers détiennent aujourd'hui près de soixante pour cent du patrimoine français. Les plus de soixante ans possèdent en moyenne trois cent quinze mille euros de patrimoine net, quand les moins de trente ans doivent se contenter de trente-huit mille cinq cents euros. Cette accumulation patrimoniale colossale s'est construite sur les décombres des générations suivantes, contraintes de financer par leur travail et leurs cotisations le niveau de vie d'une génération qui refuse obstinément de céder sa place.

Car ces chiffres révèlent une vérité que les discours lénifiants tentent de masquer. Cette génération dorée, qui a profité des Trente Glorieuses et de la croissance d'après-guerre, a systématiquement organisé le transfert des richesses vers elle-même. Les retraités français touchent aujourd'hui un niveau de vie supérieur de près d'un pour cent à celui de l'ensemble de la population, pendant que vingt pour cent des jeunes de moins de trente ans vivent sous le seuil de pauvreté. Un jeune sur cinq survit dans la précarité, contre moins d'une personne sur treize chez les plus de soixante ans.

L'hécatombe silencieuse

Cette gérontocratie ne se contente pas de confisquer le pouvoir et la richesse, elle organise méthodiquement l'élimination de l'avenir. La mortalité infantile, indicateur implacable de la santé d'une société, stagne en France depuis quinze ans. Pire, elle régresse par rapport à nos voisins européens. La France, autrefois en tête du classement européen pour la survie des enfants, a chuté au vingt-troisième rang sur vingt-sept dans l'Union européenne. Quatre virgule cinq pour mille garçons et trois virgule sept pour mille filles meurent avant leur premier anniversaire, un taux deux fois supérieur à celui de la Suède. Cette dégradation n'est pas un hasard, c'est le résultat direct du désinvestissement dans les politiques de santé périnatale au profit du maintien artificiel en vie d'une population vieillissante.

Simultanément, un million de jeunes supplémentaires ont basculé dans la pauvreté en quinze ans. Ils représentent désormais la moitié des pauvres de France, alors qu'ils ne constituent que trente-cinq pour cent de la population. Cette paupérisation systémique s'accompagne d'une précarisation du marché du travail qui transforme la jeunesse en variable d'ajustement économique. Vingt-cinq pour cent des jeunes actifs sont au chômage, quarante-deux pour cent de ceux en emploi sont cantonnés aux contrats précaires, quand leurs aînés bénéficient de la sécurité de l'emploi et de retraites garanties.

La santé mentale sacrifiée

Cette destruction méthodique se lit aussi dans les corps et les esprits. La prévalence des épisodes dépressifs chez les jeunes adultes de dix-huit à vingt-quatre ans a plus que doublé en une décennie, passant de neuf virgule sept pour cent en deux mille dix à vingt virgule huit pour cent en deux mille vingt-et-un. Les pensées suicidaires et les tentatives de suicide explosent chez une génération qui ne voit plus d'avenir dans une société qui l'a rayée de ses priorités. Quarante-six pour cent des jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans se sentent seuls, contre trente-neuf pour cent en moyenne dans la population. Cette solitude n'est pas existentielle, elle est politique. C'est le résultat direct d'une société qui a abandonné sa jeunesse aux forces du marché et à la charité familiale.

L'hypocrisie institutionnelle

Face à ce désastre, les institutions multiplient les rapports et les consultations qui ne changent rien à la donne fondamentale. Seize pour cent des jeunes participants à une récente consultation nationale considèrent que leurs droits ne sont pas respectés, tandis que trente et un pour cent ont subi des violences verbales et trente pour cent des violences physiques. Près d'un jeune sur quatre souffre d'insuffisance alimentaire, ne mangeant pas trois repas par jour dans le pays de la gastronomie et des banquets officiels.

Cette hypocrisie atteint son paroxysme dans le système de retraites, où les parlementaires eux-mêmes bénéficient de régimes spéciaux leur permettant de liquider leurs pensions vers soixante-cinq ans pour les députés et soixante-dix ans pour les sénateurs. Pendant qu'ils votent des réformes repoussant l'âge de départ à soixante-quatre ans pour les autres, ils s'octroient des privilèges qui leur garantissent des fins de carrière dorées. Laurent Fabius cumule ainsi ses indemnités de membre du Conseil constitutionnel avec ses multiples pensions d'ancien député, d'ancien maire, d'ancien président de l'Assemblée. Jacques Mézard perçoit plus de vingt mille euros par mois en cumulant ses fonctions actuelles et ses anciennes charges.

La faillite du modèle républicain

Cette gérontocratie signe l'échec du modèle républicain français. Elle révèle comment une démocratie peut se transformer en oligarchie générationnelle, où le suffrage universel devient l'instrument de la domination des plus nombreux et des plus mobilisés sur les plus jeunes et les plus précaires. Car ces soixante pour cent de Français de plus de cinquante ans qui constituent désormais la majorité du corps électoral, votent massivement pour préserver leurs acquis (RN, Reconquête, etc), même si cela condamne l'avenir du pays.

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Marche pour un Nouveau Front populaire et contre l’extrême droite à Paris, samedi 15 juin 2024. © Marie Rouge

Cette logique mortifère transforme la République en entreprise de prédation intergénérationnelle. Elle explique pourquoi les politiques publiques privilégient systématiquement les dépenses de santé et de retraite au détriment de l'éducation, de la recherche et de l'investissement public. Elle éclaire la passivité des gouvernements successifs face à la crise climatique, puisque ses conséquences pèseront sur les générations qui n'ont pas voix au chapitre. Elle révèle enfin pourquoi la France s'enlise dans un conservatisme stérile, incapable de se réformer et de se projeter vers l'avenir.

L'urgence révolutionnaire...

Face à cette confiscation démocratique, il devient urgent de rompre avec la complaisance envers cette gérontocratie qui tue la France à petit feu. Il faut avoir le courage de dire que cette génération dorée, qui a profité de la croissance d'après-guerre pour s'enrichir sur le dos de ses descendants, porte une responsabilité historique dans la destruction de l'avenir français. Elle a organisé le transfert massif des richesses vers elle-même, creusé la dette publique pour financer son train de vie, détruit l'environnement par son productivisme forcené et bloqué toute évolution sociale par son conservatisme.

Cette République des vieillards ne survivra pas aux chocs qui viennent. La jeunesse française, abandonnée par un État gérontocrate, développe déjà des stratégies de contournement et de résistance. Elle se détourne massivement des urnes, avec soixante-et-onze pour cent d'abstention aux dernières législatives chez les dix-huit vingt-quatre ans. Elle explore d'autres formes de politisation, plus directes et moins institutionnelles. Elle anticipe déjà un effondrement du système de retraites par répartition que les actuels retraités refusent de voir venir.

Le réveil sera brutal. Car cette gérontocratie a construit un château de cartes financier et social qui ne tient que par l'acceptation passive de générations sacrifiées sur l'autel de l'égoïsme. Quand cette acceptation cessera, quand les jeunes comprendront qu'ils n'ont plus rien à perdre et tout à gagner à renverser ce système, la République des vieillards s'effondrera sous le poids de ses contradictions. Il ne restera alors plus qu'à espérer que quelque chose de vivant pourra émerger des décombres de cette prétendue "démocratie".

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