Kemeth BOUR (avatar)

Kemeth BOUR

Étudiant en Journalisme (Prépa) et Histoire Européenne (M1)

Abonné·e de Mediapart

3 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 octobre 2025

Kemeth BOUR (avatar)

Kemeth BOUR

Étudiant en Journalisme (Prépa) et Histoire Européenne (M1)

Abonné·e de Mediapart

Quand les algorithmes fabriquent la haine des femmes

À 18 ans, Timothy G. regardait des heures de contenus masculiniste sur TikTok avant de projeter une attaque. Son cas n'est pas isolé, en France, les discours antiféministes se propagent à une vitesse alarmante chez les jeunes hommes, nourris par des algorithmes et des influenceurs... comment des garçons ordinaires basculent-ils dans l'idéologie masculiniste ? Et surtout, comment les en préserver ?

Kemeth BOUR (avatar)

Kemeth BOUR

Étudiant en Journalisme (Prépa) et Histoire Européenne (M1)

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quand la fiction devient réalité

Saint-Étienne, 2 juillet 2025. Timothy G., 18 ans, élève en classe préparatoire, est interpellé près de son lycée avec deux couteaux. Son objectif, s'attaquer à des femmes. Pour la première fois en France, le Parquet national antiterroriste qualifie une affaire de terrorisme masculiniste. Nourrie par des mois de vidéos masculinistes visionnées sur TikTok, sa radicalisation s'est matérialisée dans ce qui aurait pu devenir un drame comparable aux attaques de Montréal (1989) ou de Californie (2014).

Ce jeune homme se revendique de la mouvance "incel" (célibataires involontaires), des hommes qui considèrent qu'ils sont célibataires par la faute des femmes et souhaitent leur faire payer. Son profil ? Celui d'un adolescent ordinaire qui compilait des vidéos masculinistes sur le réseau TikTok, avant de basculer dans la violence.

Cette affaire révèle une réalité glaçante, les forums de parents français regorgent d'appels au secours similaires. "Mon fils 15 ans est en train de devenir un incel. Il se considère comme un incel. Il a eu des ennuis à plusieurs reprises à l'école pour avoir fait des commentaires misogynes et inappropriés envers les filles et les enseignantes", témoigne une mère désemparée.

La porte d'entrée vers la haine

TikTok est selon les experts un catalyseur de radicalisation. L'enquête du Wall Street Journal de 2021 le démontre, lorsqu'on crée un compte sur cette plateforme à partir de centres d'intérêts masculins, l'algorithme dirige rapidement vers des contenus masculinistes. Ces vidéos, souvent déguisées en conseils de développement personnel ou de motivation, dissimulent des messages antiféministes virulents.

Le processus est redoutablement efficace, plus ils génèrent d'engagement (positif ou négatif), plus ils gagnent en popularité et rapportent de l'argent aux plateformes. Cette logique économique explique pourquoi ces contenus problématiques ne sont souvent pas supprimés, malgré leur caractère sexiste manifeste.

Les influenceurs utilisent les plateformes grand public comme un premier appât pour séduire leur audience. Ils parlent d'abord de musculation, de séduction, de lifestyle, avant de rediriger progressivement vers des communautés privées aux discours plus radicaux. Une recherche apparemment innocente comme "Comment draguer une fille ?" devient "la porte d'entrée" vers des propos masculinistes plus radicaux.

Andrew Tate et la galaxie masculiniste française

Andrew Tate incarne cette nouvelle génération d'influenceurs masculinistes. Malgré ses inculpations pour viol et trafic d'êtres humains, il continue d'être suivi par plus de 10 millions de personnes sur X. Ses vidéos cumulent 11 milliards de vues, et il encourage ses abonnés à "noyer" les réseaux sociaux en diffusant son contenu.

En France, cette influence se matérialise à travers des personnalités comme Alex Hitchens, ex-basketteur professionnel de 26 ans, qui répand des discours antiféministes sur YouTube et TikTok tout en proposant des "formations" payantes destinées aux hommes. Ces influenceurs adoptent tous un cadre de légitimité qui fait exploser ces vidéos en termes de popularité, micros professionnels, décors soignés et rhétorique pseudo-scientifique.

Une étude de l'Université de Montréal identifie leurs méthodes principales, le recours à des composants sonores et musicaux, l'interaction avec le public dans la rue et l'apparence scientifique. Ils s'approprient la musique populaire, utilisent beaucoup de jargon et de statistiques pour "prouver" leurs points, pratiquant un "cherry picking" systématique.

Certains mots-clics comme #féminisme sont détournés, ce qui fait qu'on tombe sur du contenu masculiniste alors qu'on recherchait l'opposé. Cette manipulation permet d'atteindre des publics non-acquis à leur cause.

Génération polarisée, génération fracturée

Le rapport 2025 du Haut Conseil à l'égalité révèle une polarisation alarmante de la jeunesse française. 45% des hommes de moins de 35 ans estiment qu'il est difficile d'être un homme dans la société actuelle. Plus inquiétant encore, 67% pensent que pour être respecté, un homme doit être sportif, 53% qu'il doit savoir se battre et 46% qu'il ne doit pas montrer ses émotions.

Cette fracture générationnelle est particulièrement visible chez les 15-24 ans, 94% des femmes de cette tranche d'âge considèrent qu'il est plus difficile d'être une femme dans la société actuelle, tandis que 45% des jeunes hommes estiment le contraire. La génération des 15-24 ans est la plus polarisée en 2025 sur les questions de genre.

Illustration 1
Marche féministe organisée par le collectif féministe NousToutes.org à Paris, le 26 novembre 2023. © Marie Rouge

Maxime, aujourd'hui militant contre le masculinisme, témoigne de son parcours : "J'avais l'impression que les filles ne m'aimaient pas parce que je n'avais pas une mâchoire carrée parce que j'étais en sous-poids parce que j'étais pas très virile". Il explique comment ces discours orientent les complexes dans une direction toxique : "si jamais tu es un loser avec les filles, c'est parce que tu n'es pas cette version de la masculinité que finalement presque personne n'est".

Des enseignants en première ligne

Le phénomène touche aussi directement les établissements scolaires. 76% des enseignants de primaire et 60% des enseignants de collèges ont exprimé leur inquiétude face au retour de la misogynie à l'école. Ces chiffres révèlent des comportements hostiles envers les jeunes filles, souvent sous l'influence croissante d'idées diffusées en ligne.

Les théories masculinistes ont pris une bonne flambée après le mouvement #MeToo, observe Lydiane Bouchet, psychologue spécialisée dans l'accompagnement des jeunes. En construction de leur identité, ils n'ont pas les clés pour développer le recul nécessaire face à des discours adultes présentés comme la réalité.

Face à cette urgence, le ministère de l'Éducation nationale a mis en place plusieurs dispositifs. Chaque établissement du second degré compte un ou plusieurs référents égalité filles-garçons depuis 2018. Leur mission, diffuser une culture de l'égalité, sensibiliser les élèves, former les équipes éducatives.

18 heures annuelles sont dédiées à des projets d'éducation à la citoyenneté au cycle 4, avec un vademecum mis à disposition des équipes éducatives. Ces moments peuvent être l'occasion d'aborder les questions de masculinité toxique et de déconstruction des stéréotypes mais est-ce suffisant... ?

Repenser l'éducation des garçons

Repenser l'éducation des garçons constitue un levier essentiel contre les violences et pour l'égalité. Le masculin s'apprend dès le plus jeune âge à travers des valeurs, des comportements et des rites, associés à une forme de dignité. Il est crucial de proposer aux garçons des modèles positifs de masculinité, loin des clichés véhiculés par les influenceurs toxiques.

Il faut humaniser la culture de la virilité, en montrant aux jeunes hommes qu'ils peuvent être forts sans être violents, leaders sans être dominateurs, séduisants sans être misogynes. La prévention de la radicalisation est avant tout un acte éducatif. Il n'est pas nécessaire d'être expert du domaine pour agir, dans les niveaux les plus précoces, prévenir c'est éduquer et aider le jeune à questionner ses idées préconçues.

Les parents, enseignants et éducateurs peuvent agir en développant l'esprit critique des jeunes, en déconstruisant les stéréotypes, en proposant des modèles alternatifs de masculinité. Comment l'École peut-elle agir face à la radicalisation des jeunes ? En créant des espaces de parole, en formant les personnels et en développant plus de projets d'éducation à la citoyenneté voir au féminisme.

Être un allié du féminisme ne signifie pas renoncer à sa masculinité, mais la redéfinir de manière positive. Cela implique de déconstruire les stéréotypes tout en valorisant des qualités comme l'empathie, la communication, le respect mutuel. La masculinité saine se caractérise par la capacité à exprimer ses émotions, à entretenir des relations égalitaires et à rejeter la violence comme mode de résolution des conflits.

Cette approche permet aux jeunes hommes de sortir de l'alternative toxique entre "masculinité toxique" et "perte d'identité masculine". Elle leur offre un modèle positif, où force rime avec bienveillance, et leadership avec service aux autres. Le féminisme leur aussi permet d'exprimer leurs émotions, de développer leur sensibilité, de construire des relations égalitaires. Un homme peut-il être féministe ? La réponse est claire, non seulement il le peut, mais c'est même nécessaire pour son propre épanouissement.

Le masculinisme prospère sur la solitude et l'absence de repères. Face à lui, la réponse doit être collective, familles, école, société civile doivent se mobiliser pour offrir aux jeunes hommes une voie d'épanouissement qui ne passe ni par la domination ni par la haine, mais par la construction d'une masculinité émancipatrice, alliée du féminisme et porteuse d'égalité pour mettre fin au patriarcat.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.