L'herbe-cœur, élément central du film qui permet au héros de communiquer avec ses ancêtres, présente des similitudes frappantes avec l'iboga gabonaise. Cette plante sacrée, officiellement reconnue dans la constitution du Gabon comme "trésor national" et "ressource stratégique", occupe une place fondamentale dans les rituels Bwiti. Depuis des siècles, elle accompagne les initiés dans leur quête spirituelle vers les ancêtres.
Un symbolisme qui traverse les frontières
L'analyse du bestiaire du film révèle également des correspondances assez troublantes. Le léopard, animal totémique du Wakanda et incarnation de la royauté dans l'univers Marvel, occupe une position similaire dans l'imaginaire gabonais. Les recherches historiques confirment que dans l'ancien royaume du Kongo, territoire qui englobait l'actuel Gabon, le léopard symbolisait déjà le pouvoir royal et reste aujourd’hui l’animal totem du pays.
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Le contraste avec le Gabon
Pendant que Black Panther génère des revenus considérables, soit 875 millions d'euros, en s'inspirant de références gabonaises, l'industrie cinématographique locale peine à se développer. Le cinéma gabonais, né dans les années 1960 avec "La Cage", premier film d'Afrique noire en compétition à Cannes, a connu son apogée dans les années 1970 sous l'impulsion d'Omar Bongo. Après une période de latence, l'industrie redémarre progressivement depuis le nouveau millénaire. L'Institut gabonais de l'image et du son (IGIS), créé en 2010, travaille au développement du cinéma national.
Cette situation s'inscrit dans un phénomène d'appropriation culturelle par l'industrie du divertissement occidental. L'exemple de Disney avec l'expression swahilie "Hakuna Matata", pour laquelle la firme a obtenu un dépôt de marque en 2003, illustre cette tendance à transformer des éléments du patrimoine culturel africain en propriété intellectuelle occidentale.
Les paradoxes de la représentation
L'ironie réside dans la réception critique du film. Largement salué pour sa représentation positive de l'Afrique, Black Panther soulève paradoxalement des questions sur l'authenticité de cette représentation. Ruth E. Carter, créatrice des costumes, explique avoir "mélangé des éléments de plusieurs tribus africaines sans s'inquiéter des questions d'appropriation culturelle", révélant une approche qui privilégie l'esthétique sur l'authenticité culturelle.
Les enjeux contemporains
Le Gabon se trouve dans une position particulière, ses traditions les plus sacrées, l'iboga, le Bwiti, la symbolique du léopard, étant réinterprétées dans un contexte de divertissement de masse sans participation directe des communautés détentrices de ces savoirs. L'industrie africaine du cinéma, évaluée à 20 milliards de dollars de potentiel, reste largement sous-développée. Alors que Nollywood produit 3 400 films annuellement en Afrique de l'Ouest, le Gabon maintient une production limitée, créant un déséquilibre dans la capacité de contrôle des récits culturels.
Vers de nouveaux modèles
Ces constats interrogent sur l'évolution possible des relations entre les industries cinématographiques occidentales et africaines. Quels mécanismes pourraient garantir une meilleure reconnaissance des héritages culturels utilisés ?
L'avenir pourrait résider dans le développement de partenariats plus équilibrés entre les industries du Nord et du Sud, permettant aux cultures africaines de participer activement à leur propre représentation cinématographique. Dans les bureaux de l'IGIS à Libreville, cette réflexion prend une dimension concrète, les professionnels gabonais du cinéma travaillant à construire une industrie capable de raconter ses propres histoires, avec ses propres codes et ses propres moyens.