Depuis hier, les images de la rencontre entre Mamdani et Trump font le tour des réseaux sociaux. L’une d’entre elles a retenu particulièrement l’attention du camp antifasciste : Mamdani répondant « Oui » lorsqu’on lui demande s’il pense toujours que Trump est un fasciste, après que ce dernier lui ai lancé un « c’est ok, tu peux répondre oui, c’est plus simple ». L’image est saisissante et pourrait ressembler à un K.O. total pour le Président américain. Au visionnage des expressions – toujours spontanées et claires comme de l’eau de roche – du fasciste Trump, certain·es commentateur·ices évoquent l’hypothèse qu’il ait été « charmé » par le « talent » de Mamdani. Certes, le nouveau maire-élu de New York a quelque chose de cet ordre-là, qui ne peut laisser indifférent·e. Mais s’il s’agissait simplement de diplomatie politique mêlée d’une leçon de community organizing, cet ensemble de méthodes et de stratégies d’organisation collective basée sur l’unique objectif de gagner en pouvoir collectif en vue de victoires concrètes ? Trois arguments.
1. Fort sur ses valeurs, centré sur ses objectifs et sur les sien·nes.
D’abord, et au vu de nombreux extraits concernant aussi bien l’ICE (la police ultra-violente de l’immigration états-unienne), le génocide à Gaza ou la caractérisation fasciste de l’administration Trump, Mamdani ne s’est jamais dédit lors de cette conférence de presse commune répondant aux canons habituels de la Maison blanche. Sa tactique oratoire est limpide et cohérente avec sa campagne : Mamdani répond clairement, puis recentre son discours autour de son agenda. Il affirme une valeur claire puis parle aux sien·nes, les New-Yorkais·es, et uniquement à elles et eux : sa politique les protègera et rendre la ville « abordable ». On imagine dès lors, et c’est ce que les deux hommes racontent de leur rencontre, que toute la discussion s’est déroulée ainsi : en recentrant le débat sur les objectifs de négociations que Mamdani doit ancrer pour mener à bien sa politique, en utilisant l’interstice qui lui est permise au vu de son rapport de force et en piégeant Trump sur son affichage social et proche des classes moyennes et populaires états-uniennes.
2. Utiliser un temps diplomatique pour ce qu’il est
Car il s’agit bien d’une négociation et de rien d’autre. Il faut alors lire cette rencontre comme un moment diplomatique. Certain·es dans la gauche radicale aurait souhaité un affrontement à couteaux tirés, mais ce n’est pas pour ça que Mamdani a été élu. Ses électeur·ices ne lui ont pas délégué un tel pouvoir pour le perdre immédiatement face à la machine colossale du pouvoir du camp MAGA, mais pour vivre mieux dès maintenant. S’appuyant sur ce rapport de force modifié mais pas renversé, Mamdani use de son talent oratoire comme d’une tactique pour mettre en place un cadre diplomatique. Les études en relations internationales ont documenté cela : lorsque deux entités puissantes entrent en salle de négociation, c’est aux humains de transcrire les rapports de force en des communications concrètes. Un échange – comme toute interaction verbale et non-verbale – suit ainsi un scripte qui se rédige entre les acteur·ices en présence selon les règles et les marges de manœuvre qui sont celles d’un contexte plus large. Face à Trump, connu pour prendre ses décisions en dernière minute, le rendant ainsi capable de déstabiliser ses adversaires comme son propre camp, un tel scripte était particulièrement possible. Le Président états-unien étant capable d’emprunter de nouveaux chemins tant qu’il les identifie, on comprend dès lors que Mamdani a su conduire l’échange en proposant un cadre acceptable pour les deux partis et lui permettant d’obtenir ce dont il a besoin dans l’immédiat, sans jamais lâcher prise sur les confrontations futures.
3. Gagner du temps, asseoir sa position
Les deux hommes ne partagent rien d’idéologique, mais ont des intérêts propres qui convergent momentanément. En appuyant sur ce point, Mamdani n’a pas tant obtenu de victoires financières ou administratives, mais il a obtenu la seule chose dont il avait réellement besoin : de l’autonomie, du temps pour s’organiser et prendre les rennes de sa ville (il ne sera investi qu’au premier janvier, rappelons-le) en coupant l’herbe sous le pied à ses opposant·es locaux·les du camp MAGA. Cette victoire semble encore plus forte qu’un accord de politique publique : Mamdani n’a ni eu besoin de se dédire verbalement, ni de signer un nouveau « plan Trump » qui contraindrait sa marge de manœuvre politique.
Est-ce alors moral, éthique, juste, de conduire la discussion ainsi ? La vraie réponse n’apparaitra évidemment qu’à l’épreuve du temps et des faits, et il n’est nullement question ici de le nier. Mais il faut avoir à l’esprit cette maxime du community organizing, que Mamdani et ses équipes pratiquent à merveille : « si vous n’êtes pas à la table (des négociations), c’est que vous êtes au menu ». Le maire-élu a donc franchi une étape dans la construction d’un pouvoir collectif, l’unique chose pour laquelle il a obtenu mandat : s’installer à son poste, solide sur ses appuis et rien renier de sa campagne, en vue de la transcrire en de futures victoires politiques. Il faut alors une vision grasmscienne des choses pour éviter une lecture binaire en « talent » vs « trahison ». Mamdani est dans un moment de « guerre de position », où il doit conforter son pouvoir et le définir comme local avant tout, après un an de « guerre de mouvement » où il a ébranlé sérieusement et à tous niveaux les rapports de forces aux États-Unis. Pour l’heure, c’est donc un choix de camper sur une seule ville, un seul agenda, quelques politiques publiques. Mais il faut se rappeler que sans cela, Mamdani n’est rien (pour l’heure) et ne pourra aller plus loin.
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Il faut bien sûr se garder de toute lecture qui ferait de cette rencontre un événement qui résumerait à lui seul le « phénomène » Mamdani ou encore ses liens avec l’administration fédérale. Les lectures en procès d’intention politique (du type « Mamdani a normalisé l’agenda fasciste de Trump ») sont ainsi tout sauf matérialistes et stratégiques car elles se focalisent sur la prédiction aléatoire d’un futur incertain, en oubliant de comprendre l’intérêt conjoncturel, immédiat, du futur maire de New York. Les lectures psychologisantes – un signe de notre difficulté à renouveler nos cadres d’analyse aussi vite que l’évolution de l’ère « alt-truth » imposée par Trump – sont tout autant dangereuses, tant parce qu’elles démonisent Trump qu’elles héroïsent Mamdani. Ce dernier pourra faire des erreurs, il pourra trahir son agenda, et ce sera aux New Yorkais·es de l’évaluer et de le confronter. Il faut être lucide et cesser de croire en un sauveur suprême. Tout au plus, nous pouvons apprendre de l’expérience qu’il mène, cela nous évitera de tout miser sur une seule personne et d’être déçu·es.
Surtout, Mamdani n’est pas le porteur de ce beaucoup d’entre nous (moi compris) aimerions le voir porter : sauver les Etats-Unis et le monde du fasciste Trump. Il n’est pour l’heure « que » le (futur) maire d’une ville, quand bien même elle est la capitale financière du monde. Il ne doit de comptes qu’à ses (futur·es) administré·es, dont il doit renforcer le pouvoir collectif en leur permettant de vivre mieux et de prendre confiance en eux et elles. Tout au plus, Mamdani ne peut nous donner qu’une seule chose, à nous autres qui l’observons avec espoir, mais il doit avant tout y arriver : montrer qu’une alternative est possible et nous permettre de la brandir en exemple, la rejoindre dans une coalition de villes, se préparant comme des bases arrières à l’affrontement suivant. Il n’y a donc ni coup de bâton ni blanc-seing à donner à Mamdani, mais peut-être simplement une leçon de radicalité concrète qui ne s’évalue à l’aune que d’une seule question : avons-nous, hier, collectivement, obtenu ou affirmé plus de pouvoir que nous n’en avions précédemment ?
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Pour aller plus loin, retrouvez l'émission d'Arrêt sur Images où nous commentions la campagne de Mamdani et les échos avec la situation française, avec Fania Noël et Nassira El Moaddem
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