Depuis 2005 et déjà avant, nous sommes des milliers à labourer le terrain avec des modes d'action très divers, pour déstigmatiser, supporter, rappeler incessamment le caractère politique de la révolte légitime des quartiers et construire un antiracisme politique. Des campagnes citoyennes au comité Adama, en passant par tous les comités vérités et justice, contre le contrôle au faciès ou de copwatching (comme UVP), les petites assos et collectifs, les chercheurSEs, artistes, journalistes et même les entrepreneurSEs de quartier, c'est un travail de fond qui a été réalisé, parfois par d'anciens révoltés de 2005. C'est aussi le résultat d'une décennie parfois très solitaire où les antiracistes, féministes, queer, parfois des écologistes, Gilets Jaunes et quelques syndicalistes, ont construit des ponts "intersectionnels". Esquivant ou supportant les insultes et stigmates, nous avons bâti ensemble une reconnaissance qui nous lie, qui nous permet de retrouver nos propres colères dans les souffrances de l'Autre. Bien sûr, l'extension de la répression policière a également donné un cadre, une expérience de la violence l'État à l'ensemble du mouvement social.
Voilà, après tout cela, des blancHEs de classe moyenne choisissent de s'exposer à cette violence d'Etat, comme complices des révoltes et de l'antiracisme. Cette expérience reste choisie, relativement plus sécurisée que celle des jeunes de quartiers. La plupart rentrent chez elleux tranquillement ensuite et n'y seront pas confrontéEs quotidiennement. Moi-même, j'y suis bien moins confronté que la plupart du noyau des révoltés.
Mais c'est une preuve que le cadre a changé. Les discours ont changé. Très rares étaient les organisations de gauche à avoir apporté leur soutien aux révoltes de 2005. Aujourd'hui, on peut dire publiquement que la police tue, quelques-unEs des nôtres peuvent porter une parole singulière sur les plateaux télé, le problème policier est inévitable. C'est aussi cela qui explique la rage milicienne des fachos qui se prépare. Youcef Brakni soulignait déjà il y a quelques années que la force des mobilisations pour Adama participait à expliquer cette polarisation.
Je ne dis pas tout ça pour vous enlever des médailles qu'on ne vous donnera pas, mais pour souligner ce que nos complicités ont fait progresser en l'espace de 18 ans (lorsque j'ai pour ma part commencé à militer). Nous ne pouvons pas encore empêcher la mort des nôtres mais l'État est fébrile. La suite sera plus compliquée, un animal blessé pouvant faire n'importe quoi : nous ne sommes pas à l'abris d'une alliance de fait ou assumée avec les fascistes purs et durs.
Je dis donc aussi tout cela pour souligner les tâches qui arrivent. Nous ne pouvons plus nous contenter d'attendre de formuler une soi-disant "réponse" à venir. C'est aujourd'hui et quotidiennement qu'il faut passer de l'alliance passive (le soutien) à la complicité active, c'est à dire la prise de risque constante, jusque dans ses propres espaces (qui sont aussi en partie les miens, puisque mon histoire et mes diplômes m'ont permis d'y être coopté). Participer aux révoltes, c'est participer à une expérience relativement commune, même si vos chairs ne seront jamais meurtries de la même manière. C'est un point de départ lorsque l'on peut se le permettre matériellement, émotionnellement et physiquement.
Mais c'est aussi au sein des espaces majoritairement blancs que la partie doit se jouer, que quelque chose peut basculer. Cela pourrait vouloir prendre la parole sans nuances, être intraitables dans vos/nos interactions, voire faire grève. Imaginez les millions de grévistes de ces derniers mois se rassembler lors d'une journée de grève générale en soutien aux révoltes des quartiers. Les enseignantEs, travailleurSEs du social, associatifVEs ou des services publics, confrontéEs à l'injonction des appels au calme sont je crois l'une des clefs, pouvant affirmer les premierEs qu'il ne peut y avoir deux côtés à la barricade. Rien ne doit pouvoir se passer normalement et pour cela chacunE peut réfléchir au cap à franchir depuis sa position, son expérience, sa situation. Le blanc ne pourra pas devenir une nouvelle couleur de la révolte antiraciste mais à ces conditions, il peut venir teinter l’embrasement qui n’attend que de se généraliser.
Juste, imaginez ce que cela donnerait.
 
                 
             
            