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Billet de blog 16 octobre 2023

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« Tout le monde est perdant »

La formule vous implique dans la déception. Car dans cette proposition, « tout le monde » est le substitut d’un « nous » inclusif qui vous englobe d’autorité. S’extrapolant en vous, votre interlocuteur vous suggère que la solidarité avec le peuple palestinien qui vous était commune n’a pu manquer de se convertir en commune déception.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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Il y a aujourd’hui en France bien des façons de stigmatiser la résistance palestinienne et de révéler une allégeance à Israël jusque-là dissimulée tant bien que mal.

Certains prétendus intellectuels venus chercher et trouver fortune en France se croient tenus de faire de la surenchère dans la rédemption publique.

Pour Tahar Ben Jelloun, « la cause palestinienne est morte le 7 octobre 2023, assassinée par des éléments fanatisés, englués dans une idéologie islamiste de la pire espèce ».

Kamel Daoud, pour ne pas être soupçonné du mimétisme dont il a pourtant fait son gagne-pain, alourdit la sentence en puisant dans sa réserve de formules toutes faites qu’il restitue dans un français mécanique digne des traductions Google : « L’offensive sanglante du Hamas est la confirmation d’un messianisme antijuif. Désormais talibanisée, la « cause » alimente une judéophobie strictement haineuse. Une défaite pour la "cause palestinienne" ».

Mais on doit se farcir aussi, dans les discussions privées qu’on engage ici dans un climat délétère de censure et d’interdictions, les précautions oratoires que prennent les gens de rencontre pour vous entretenir des événements, sur le ton qui convient pour parler du temps qu’il fait.

J’ai remarqué ces derniers jours qu’une formule faisait florès dans la bouche des personnes qui veulent nous témoigner de la délicatesse : « Tout le monde est perdant ».

« Tout le monde est perdant », j’y ai quelque peu réfléchi, n’exprime rien de plus énigmatique que la déception et l’affliction provoquées chez le locuteur par les « massacres du Hamas ». Elle dit la perte qu’il vient de subir en tant que sympathisant de la cause palestinienne (car je m’efforce d’écarter de mes rencontres les personnes qui disent la haïr !), celle de la foi qu’il avait dans cette cause !

Et il vous implique dans sa déception. Car dans cette formule, « tout le monde » est le substitut d’un « nous » inclusif qui vous englobe d’autorité. S’extrapolant en vous, votre interlocuteur vous suggère que la solidarité avec le peuple palestinien qui vous était commune n’a pu manquer de se convertir en commune déception.

Mais ce qui est surtout dit dans cette phrase, c’est que, d’un certain point de vue, les Palestiniens et les Israéliens sont aussi perdants les uns que les autres. Dans cette logique, l’arithmétique n’entre pas en ligne de compte : d’un côté 1200 morts et de l’autre 3000 auxquels s’ajoutent 1 million de personnes jetées sur la route de l’exode Nord-Sud à Gaza sous les bombardements, les pertes sont somme toute équilibrées!

Et la disparité des conditions de vie auxquelles les uns et les autres ont dû renoncer ainsi que la durée du renoncement et l’avenir promis dans un cas et dans l’autre ne nuisent pas à l’équivalence des pertes !

Et puis est signifiée d’un autre point de vue la perte, mieux la perdition, dans laquelle la cause palestinienne a été entraînée par le Hamas. Une perte qui est à la mesure des pertes en vies humaines qu’il a causées aux Israéliens mais aussi à la population de Gaza dont il est également rendu seul responsable.

De sorte que le sens profond de cette phrase dément sa formulation explicite : la perte irrémédiable, celle de l’honneur et de la légitimité, ne frappe qu’un seul des camps, celui des Palestiniens.

Finalement, ceux qui me répètent depuis le 7 octobre, au hasard des rencontres que je fais à Grenoble, avec des variantes de formulation insignifiantes, que «tout le monde est perdant » véhiculent le même message que les deux nécrologues maghrébins de la cause palestinienne que j’ai cités : « Tout est perdu fors l’honneur d’Israël ».

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.