Dans mon boulot, j'ai toujours une épée de Damoclès au-dessus de la tête: vais-je trouver un nouveau contrat ? Je travaille quasi exclusivement avec la grande industrie, alors que je suis à mon compte et que je n'ai jamais pris soin de construire un réseau. Ainsi, miraculeusement jusqu'à présent, les contrats se sont enchaînés depuis presque 15 ans, mais à chaque transition je n'en dors pas. Oui, il serait facile de trouver un travail, comme informaticien, mais c'est que j'ai ma fierté: me faire tester mes connaissances par un jeune con dans une start-up, alors que j'ai plus de vingt ans d'expérience et lui deux, je ne peux pas. C'est que lui fait partie de la caste des gens qu'on finance, moi je fais partie des fainéants qui refusent de détruire leur temps de vie pour gagner plus. Je vis, de fait, en bon Roumain que je suis, de la mendicité: régulièrement, je m'en remets à tel ou tel chef de telle ou telle grande entreprise pour avoir de quoi nourrir ma famille. Mais j'ai ma fierté: je refuse la prostitution, d'autant plus que je gagne très très bien ma vie ainsi.
Je vous rassure, ce n'est pas là ma pensée, mais parfois, pas toujours, certes, celle de mes interlocuteurs. Mon travail a beau être remarquable (oui, ce n'est pas très humble, mais mesurable factuellement), beaucoup de clients considèrent qu'ils me font une fleur en m'en donnant, parce qu'ils sont imprégnés de l'idée de leur mérite d'être en situation d'avoir un budget. Oui, c'est ainsi qu'on mesure sa virilité dans une grande entreprise (et les femmes y participent allègrement) : la taille du budget et la taille de l'équipe. Ils sont ce bourgeois qui jette une pièce au coin d'une rue, satisfait de faire partie de ceux qui donnent, plutôt que de ceux qui demandent.
Et parmi ces gens il y a une sorte particulièrement vicieuse: celui qui vous encense, celui qui est d'accord avec vous sur presque tout, qui vous utilise à toutes les sauces et à toutes les réunions, mais lorsque son chef décide de vous prendre en grippe, se cache aux toilettes en attendant que vous vous fassiez virer, puis vous appelle pour vous dire à quel point ce fut injuste. Pour l'avoir vécu, je peux vous dire que ces personnes-là ont le don de vous surprendre, car la couardise ne se voit pas sur leur visage. Ils se trouvent d'ailleurs toujours de bonnes raisons pour agir lâchement et leur confort est une question de vie ou de mort où la morale n'a pas sa place, la dignité leur servant de repose fesses.
C'est ce genre de personnage que jouait Ruffin dans mon rêve, à la différence que son chef l'a obligé à me virer en dépit de sa lacheté.
Alors, ne tirez pas de conclusion hâtive. Les rêves sont des objets complexes qu'il faut déconstruire pour comprendre. Non ,je ne pense pas que Ruffin soit de cet acabit, mais allons justement voir ce que j'en ai tiré de cette mauvaise nuit, après laquelle je me suis réveillé avec l'impression que quelque chose de mauvais m'était arrivé (en même temps, cela pourrait être le cas, je vis justement une période de transition contractuelle).
Tout d'abord, ces derniers jours j'ai été particulièrement agacé par le comportement des militants de LFI et, même si c'est une constante depuis un moment, leur mauvaise foi, mais aussi la pauvreté de leurs analyses qui se veulent pourtant naïvement au-dessus du niveau ambiant, m'ont fait atteindre, j'avoue, un niveau de colère relativement inédit.
Passons le simpliste "Mélenchon est pro-Putin" qui est le pendant stupide des concurrents aux stupides remarques des insoumis. La vérité est que Mélenchon a une stratégie, celle de se distinguer, qui de par sa nature mène à la contradiction et à l'inconstance. En même temps, Mélenchon se croit justement constant et inébranlable dans ses convictions, ce qui est contredit par sa stratégie. In fine, Mélenchon se croit un vieux sage qui a tout vu tout compris, alors qu'il manque cruellement de culture générale, non pas quantitativement, mais qualitativement. Si on ajoute à cela le suivisme religieux de ses troupes, ça donne une bouille.
Je ne serais pas en colère si LFI défendaient principalement d'autres idées que les miennes, mais, que je le veuille ou pas, le programme de l'Union Populaire est le plus proche, bien que fortement pas assez, de mes convictions.
Mais considérons les faits: lorsqu'on regarde le gazouillement des troupes, on constate quelques constantes sur l'Ukraine:
- oui, les russes sont méchants, mais les américains aussi;
- nous on veut la paix, les va-t-en guerre sont cinglés;
- il faut donner quelque chose à Putin, sinon on est foutu.
Il y a toujours une part de vrai dans toute bêtise dite, mais pour répondre à la superficialité de ces affirmations et puisqu'on est dans le gazouillement, j'invite d'abord les plus courageux à aller lire les analyses de ce compte Twitter. Je ne connais pas ce monsieur, mais elles sont extrêmement intéressantes et pertinentes. Si je devais résumer l'idée générale, il y a quelques scénarios possibles et tous sont mauvais:
- Putin réussit à raser l'Ukraine et l'occuper. Ceux qui croient qu'on peut aller se recoucher tranquilles en Occident, sont soit stupides, soit stupides. Laissez, s'il vous plait, un Roumain ayant vécu sous le joug russe vous dire que ce qui guide Putin est la folie des grandeurs et la haine de l'Occident. Ce n'est pas l'Ukraine qui l'intéresse, mais bien l'effondrement de l'Ouest, a minima au même niveau que l'effondrement de l'URSS qu'il a lui-même vécu. Et il veut le voir de son vivant, si je puis dire. Il est plus que probable qu'il passera très rapidement à la suite, renforcé par sa victoire à laquelle nous aurons eu peur de nous opposer;
- Putin s'enlise dans une guerre sans fin où sa population finit par le prendre pour un loser. Il est probable qu'il est prêt à user a minima d'armes nucléaires tactiques sur l'Ukraine pour arriver au premier scénario;
- Putin perd la guerre de manière évidente: équivalent du point précédent avec les mêmes conséquences possibles;
- capitulation de l'Occident et neutralisation de l'Ukraine, comme le propose Mélenchon: l'Occident aura acté sa faiblesse (voir la métaphore de la prison de Kamil) et se mettra donc à la portée de nouvelles actions de Putin, puisque non seulement ce ne sera pas assez à son goût, mais il sentira l'odeur de la bête blessée qui lui donnera des ailes. On en revient au scénario un, en pire;
- Putin va jusqu'au bout de l'idée et lance une attaque nucléaire sur l'Occident. Si c'est peu probable, ce n'est pas à exclure et la seule chose qui pourrait sauver le monde est que les militaires refusent d'exécuter l'ordre;
- Putin est renversé avant même qu'il puisse déclencher une guerre nucléaire;
- enfin, il reste le scénario d'une guerre hybride permanente où Putin démarre une déstabilisation massive en s'attaquant aux infrastructures informatiques Occidentales, épine dorsale de nos sociétés, ou provoque des accidents nucléaires sur les centrales Ukrainiennes, ou tout autre acte semblable que nous ne sommes mêmes pas en mesure d'imaginer.
Je vais être franc: je suis un pacifiste et un lâche. Je ne serais pas le premier à sacrifier ma vie dans une guerre, mais c'est malheureusement la pire des postures.
Il y a ceux qui se croient sages parce qu'ils scandent le fameux "si tu veux la paix, prépare la guerre". Il faudrait plutôt dire: "si tu veux la paix, sois prêt à mourir". Cela donnerait une bien meilleure idée de la réalité. Et c'est là la plus grosse faiblesse de l'Occident: non seulement nous ne sommes pas prêts à mourir, nous ne sommes même pas prêts à nous mettre au régime et un gasoil à 2€50 nous ferait quasiment capituler devant le premier qui est capable de nous le ramener à moins de 2€.
Le jour où Ruffin a avoué qu'il ne s'y connait pas trop en géopolitique, j'ai su qu'il ne prendrait jamais la place du chef pour se présenter aux présidentielles. Mais jamais, autant qu'aujourd'hui, nous n'avons eu besoin de relier tous les sujets et avoir une vision globale. Oui, la vie des moins nantis de ce pays est importante à tout moment, surtout en temps de guerre, et je ne peux contester la justesse des propos de Ruffin quand il défend la gauche populaire. Mais il manque la vraie dimension du problème, dont il est par ailleurs parfaitement au courant: tout est relié et on ne peut défendre le pouvoir d'achat des pauvres en France sans parler de la sixième extinction des espèces, par exemple.
Il est vrai, cela ne fonctionnerait pas de parler de la complexité du monde et de sacrifices personnels nécessaires pour se faire élire. Mais j'aimerais poser une question au guerrier Ruffin: depuis cinq ans qu'il sillonne le pays et se bat pour prêcher ce qui est juste, que s'est-il passé en France ? De manière strictement factuelle, l'extrême droite sous toutes ses formes va faire 45% aux présidentielles, sans parler du fait que Macron est un autocrate en puissance qui s'en rapproche sur bien des aspects.
C'est là, que dans ma lâcheté de celui qui ne donne pas sa vie à la cause, je me sens tout de même abandonné par Ruffin. Lui, celui qui a décidé de son sacrifice, a fini par faire de la politique, noyé sous la pression des élections. Mais ce n'est pas de politique dont on a besoin, c'est de sens et il le sait. Cela sert à quoi de se faire réélire à l'Assemblée et d'y gueuler tous les jours contre Macron qui s'en fout totalement de tout et à raison, puisque à la fin il gagne ? Pourquoi ne pas utiliser son énergie pour élever le débat au niveau du sens donné à nos vies ?
Le résultat ne sera peut-être pas meilleur, mais égoïstement, je me sentirais moins seul.
Pardon, d'ailleurs, à ceux qui verront dans ce billet une complainte personnelle et égoïste, mais il y a des égoïsmes moins moches que d'autres. Pourvu que nous soyons tous égoïstes et cherchions sincèrement un avenir pour nos enfants. Tout à coup, on arrêterait la mauvaise foi, la politique pour la politique ou pour le pouvoir, et on serait peut-être fin prêt à faire des sacrifices.
Ruffin demande à ce que les riches fassent des sacrifices en premier, puisqu'ils peuvent se le permettre. Il n'en sera rien. La guerre en Ukraine nous rappelle que ce sont les plus faibles qui sont les plus aptes aux gestes de grandeur, et encore (regardez ce qu'ils arrivent aux africains à la frontière ukrainienne). Soyons grands et donnons l'exemple aux élites, au lieu d'attendre le leur.