Je suis un utilisateur intensif de l'open source. J'ai certainement gagné une partie de ma vie grâce au travail d'autres, ces autres que je connais souvent à peine, voire absolument pas du tout. De ce point de vue, je me sens redevable et je ne pense pas vraiment avoir rendu à date ce que j'ai pris, même si je m'y essaye régulièrement.
Ceci étant dit et reconnu, penchons-nous un peu sur l'absurde de la situation. Prenons le dernier buzz en date concernant le sabotage de librairies par leurs auteurs (des infos par exemple ici).
Si on met de côté le profil pour le moins discutable de la personne à l'origine du truc, essayons de suivre le raisonnement bancal de tous ces développeurs qui se plaignent de se faire voler.
Il faut savoir que, en caricaturant, on a deux cas de figure: l'open source qui consiste à produire du code ouvert utilisable n'importe comment par n'importe qui, même pour en tirer bénéfice et le logiciel libre qui consiste à produire du code éventuellement payant, mais dont les sources sont disponibles et modifiables par n'importe qui, à condition que toute modification reste ouverte et disponible dans les mêmes conditions initiales. Cette contrainte fait d'elles des objets haïssables par les entreprises installées qui ne veulent que profiter du bien commun. Entre les deux, il y a toute une jungle, d'autant plus complexe qu'elle tient compte d'une myriade de cas d'utilisation différents, calqués eux-même sur les modes de distribution incluant aujourd'hui le cloud, un beau bordel à lui tout seul.
Prenons donc un développeur qui décide de produire de l'open source. Pourquoi le fait-il ? Pour partager ? Non, en général, ceux qui veulent partager utilisent les principes du logiciel libre, plus en accord avec des idéaux. La vérité est que lorsqu'on écrit du code open source on attend une récompense. Par exemple, on attend que la communauté, les autres développeurs, nous aide à l'améliorer, le corriger, le faire grandir. Ou encore, on espère une notoriété, voire une dépendance permettant à un moment d'en tirer profit soit en créant un service payant, soit en fournissant du support (un peu passé de mode, en ce moment).
Le cas le plus flagrant est MongoDB, un gestionnaire de base de données d'abord totalement open source, dont les auteurs initiaux ont fini par restreindre l'utilisation sous prétexte qu'Amazon est devenu un concurrent déloyal sur la fourniture de services utilisant ce produit.
Aussi cyniques et pourris soient-ils, les gros ont tout de même bon dos. Non seulement tout cela était prévisible, mais certainement considéré comme un risque gérable et géré. Il est à peu près certain que l'entreprise derrière MongoDB avait depuis le début envisagé, a minima comme un scénario possible, la possibilité de devoir restreindre l'utilisation pour pouvoir se rémunérer par le biais des services. Rien de très choquant, d'ailleurs à cela, du moins lorsqu'on accepte le système, si ce n'est l'hypocrisie généralisée. Après avoir tiré profit du statut d'open source, ils ont retourné leur veste car l'oiseau s'était envolé, tout en gueulant à l'injustice.
Cela me rappelle que les ingénieurs, a fortiori les marketeurs, sont des sales types. J'étais en classes prépa, on était huit à table à la cantine, il y avait huit poissons dans le plat commun (oui, c'était quelque part ailleurs que dans une cantine française) et voilà qu'il s'en trouve à en choper deux. Des matheux qui ne savent plus faire une division. Sans parler de la triche généralisée dans les écoles d'ingénieurs (cette fois c'est bien en France), que j'ai vécu avec la tristesse naïve de l'enfant qui découvre la vraie vie, du moins celle des vainqueurs.
Tous ces gens qui se déclarent défenseurs du bien commun et victimes de la cupidité ne sont que des rats se nourrissant des miettes, espérant devenir chat un jour. Voilà d'ailleurs, une définition des start-up que beaucoup vénèrent, surtout lorsqu'ils deviennent chats, pardon, licornes. Mais quand vous regardez ces licornes, elles ne sont rien d'autres que des parasites agressifs qui ont tout pompé, rien inventé, si ce n'est des palabres vides de sens et des pitchs pour les investisseurs.
Le monde de l'open source est constitué comme partout de gagnants et des perdants. Le capitalisme et la société du spectacle ont pour objectif de vous faire croire que vous pouvez être le grand gagnant, alors que statistiquement c'est plutôt comparable au loto. Vous acceptez alors tous les travers, vous assimilez toutes les misères et les indignités et, le jour où vous perdez, ou ne gagnez pas assez à votre goût, vous criez à l'injustice.
Eh, les gens: le capitalisme c'est vous ! Amazon et les autres voleurs, c'est vous qui les nourrissez. Le minimum de décence voudrait qu'au moins vous vous repentiez, mais non, c'est toujours la faute des autres, c'est toujours les méchants qui sont trop méchants. Mais les gentils, ils sont où les gentils ?