Les nouvelles passent dans notre fil et on n'a même pas le temps de se mettre en colère pour l'une, qu'une autre la chasse. De là à avoir le temps d'agir...
Prenez cette info sidérante: LVMH qui vient de se payer une innocence à coup de millions. Vous avez donc une entreprise qui a agi dans l'intérêt de son propriétaire en commettant des actes d'une gravité certaine et qui s'en sort en payant une petite amende de rien du tout.
Imaginons maintenant qu'on propose le même mécanisme pour la mafia calabraise, au hasard: si le racket n'a pas fait de morts, au lieu de la prison on propose aux coupables de payer 100 euros d'amende et on en parle plus. Même qu'ils garderont un casier vierge.
Vous allez me dire que la mafia tue. Soit. Vous oubliez que vous-même vous tuez, peut-être, en achetant un portable contenant des produits que des gosses vont chercher au péril de leur vie dans des mines abjectes. Vous oubliez les morts systémiques qui sont les dégâts collatéraux d'un système privilégiant l'enrichissement de quelques-uns. La pollution, la malbouffe, les produits chimiques dans nos champs et notre eau, ou même les accidents de la circulation sont des choix que nous faisons au nom d'un soit disant intérêt général, mais qui profitent in fine surtout aux plus nantis. Toutes les statistiques le prouvent, plus on est riche, plus on vit longtemps et moins on est touché par les problèmes structurels de la société.
On pourrait aussi comptabiliser les morts des guerres, fussent-elles ponctuelles et locales. 59 morts au Mali, côté Français, puis certainement des victimes civiles, tout cela pour protéger ce vague concept que représentent "les intérêts Français". Mais voilà, on vous dit que c'est pour la bonne cause, on vous bourre le crane avec la lutte contre le terrorisme et on vous construit l'idée que c'est bien. De ce point de vue là, la mafia "officielle" a la décence d'en faire moins: on tue pour l'intérêt du clan et cela est clair, admis et reconnu.
Car c'est là la principale différence lorsqu'on parcours l'Europe du sud vers le nord dans l'optique d'y comprendre les mafias: plus on remonte vers le nord, plus la mafia s'institutionnalise et se camoufle au point qu'on ne puisse même pas avoir le droit de la nommer.
Mais tout est une question de coût: dans une zone où l'État est faible, le coût d'un meurtre violent peut s'avérer relativement faible au regard du risque de se faire prendre, ou en rapport avec ce qu'on a à perdre. Quel intérêt pour un homme d'affaires qui a pignon sur rue et une puissance considérable (Bernard Arnaud, par exemple) de tuer physiquement ses ennemis ? Le risque est trop élevé, il y a trop à perdre, alors qu'il existe, dans ce pays "civilisé" qu'est la France, tellement d'autres moyens d'éliminer les gêneurs. Bolloré, par exemple, leur fait des procès en tournant à son avantage un système supposé garantir les droits de tous. Quel avantage pour un fils de bourgeois d'aller racketter la supérette du coin, alors qu'il peut statistiquement espérer faire Polytechnique et racketter les comptes publics à coup de CIR et autres niches fiscales ? Là où le petit malfrat espère un petit gain, le grand malfrat en col blanc rêve de millions qu'il faudra juste se baisser pour ramasser.
Alors que lorsqu'on naît dans une famille pauvre de Calabre, lorsqu'on n'a rien et donc rien à perdre, lorsqu'il y a peu d'espoir d'avoir plus un jour juste en allant à l'école, tuer, frapper, voler avec violence n'est qu'un petit risque vis-à-vis de l'espoir d'une vie meilleure. La morale n'a rien à faire là dedans: il existe certainement des mafieux qui ont plus d'honneur que la plupart des politiques.
De temps en temps, il y a pourtant des anomalies: on nous parle de valises de billets libyennes pour un ancien président. Si tout cela se confirme, vous savez quoi ? Personne ne sera surpris. Il y en aura même pour le dédouaner avec un "il vole, mais il fait", devise bien connue des mafieux du monde entier.
Là encore, par ignorance, par confort, parce qu'on en est le bénéficiaire ou simplement par lassitude nous acceptons de ne pas nommer les choses par leur nom: les clans politiques, les partis politiques, la corruption, le pantouflage, la violence de la société envers les plus faibles, le copinage, tout cela relève de la même mécanique que ce que nous appelons mafia. Les nuances ne portent pas sur le fondement, mais sur notre seule perception: il est possible que Monsanto et Bayer aient fait beaucoup plus de morts en 50 ans que la 'Ndrangheta.
Je me souviens de ma naïveté de jeune émigré lorsqu'arrivé en France, je rêvais de me débarrasser de la corruption que j'ai pu voir en Roumanie. J'ai mis un peu de temps à constater qu'à la place du petit billet qu'on glisse au douanier, on a ici un système de services rendus permettant d'échapper systématiquement non seulement à toute poursuite, mais presque à toute accusation. Ce mensonge permet à certains d'affirmer la grandeur de la France et de nous gaver de valeurs au service de la mythologie: République, école républicaine, laïcité, etc.
Libre à chacun d'ignorer les nuances, mais pour les autres il faut se rappeler qu'avec la mafia il n'y a que deux postures qui vaillent: y adhérer ou la combattre. Et au lieu de faire la guerre au Covid, ils seraient bien plus avisés de faire la guerre aux dominants, cette mafia qui ne dit pas son nom.