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Billet de blog 18 mars 2022

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A la recherche des militants perdus

Le véritable altruisme n'existant pas vraiment, il y a des égoïsmes qui valent plus que d'autres. Par exemple, le militant qui se bat pour la défense de la vie privée parce qu'il veut faire quelque chose d'intéressant de la sienne est utile socialement, jusqu'à ce que les mauvaises raisons de sa lutte viennent piétiner les bonnes.

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Il y a des cas célèbres qui m'ont toujours interpellé: Philippe Val, Robert Ménard, ou Pascal Canfin sont de ceux qui ont révélé assez brutalement la nature méchamment égoïste de leurs luttes, derrière les principes se cachant l'avidité, l'envie de gloire ou de pouvoir. Tous ont en commun avec la plupart des politiques une propension à une certaine forme d'exhibitionnisme, une envie de se mettre en avant, de se faire applaudir, de se mêler de l'existence des autres pour en faire partie.

Comme pour des personnages aussi caricaturaux et méprisables que Macron, il est facile de critiquer ceux-là, surtout quand ils ont, de toute manière, déserté notre camp pour s'acoquiner avec le Vil. 

Quand je parle de notre camp, je me mets dans celui de ceux qui défendent toujours le plus faible, ou, a minima, de ceux qui luttent contre les puissants, ne serait-ce que par aigreur. Et dans ce camp-là se trouvent également les militants pour les libertés fondamentales, tels ceux défendant, depuis des années déjà, le droit à la vie privée, ou un Internet libre.

J'ai toujours été assez circonspect vis-à-vis d'eux, puisqu'il s'agit principalement d'une population de geeks ou assimilés, mais me retrouvant souvent sur la même ligne sur beaucoup de sujets, mon malaise n'avait d'autre explication que mon intuition et des principes généraux. Mais voilà, au détour d'un article sur la publicité en ligne plébiscité par la crème des crèmes des militants pro-vie privée, l'occasion s'est présentée de mettre des mots (très durs) sur ce malaise.

Si je m'attaque d'abord aux personnes, c'est parce que je ne m'explique pas comment des gens que je trouve généralement sensés et logiques aient pu aboutir à des réflexions aussi pauvres, en reniant même ce que je pensais avoir appris d'eux. Pour ceux prêts à faire le plus gros effort, lisez donc l'article Le sens de la gratuité et faites-vous votre propre idée. Pour les autres, je résume très simplement: la pub basée sur les données des internautes est peut-être un moindre mal. Subtilement, ou pas, l'auteure joue sur la haine des élites: un internet sans pub serait (ou a été) celui d'une élite.

Soutenu justement par l'"élite" des militants pour la vie privée et pour un Internet libre (Sonntag et Pouhiou, de ce que j'ai pu voir), cet article démontre justement une forme de prise de pouvoir dans l'espace public d'une génération de faux révoltés. Comme les hippies devenus les maîtres de la Silicon Valley, à un autre niveau, certes, les guerriers de nos droits laissent tomber le masque: premiers bénéficiaires de l'évolution d'Internet, ils ne peuvent plus se permettre d'être des rêveurs et leur pragmatisme les conduit à une forme de cohérence. Ils ne peuvent plus cracher dans la soupe: Internet, mais Internet avec tous ses travers, les fait exister, sinon les nourrit, simplement.

Mais revenons sur le fond, entends-je crier dans la salle.

Si je me permets de traiter de "pauvre" l'argumentation d'Acatrinei dans son article publié sur ZDNet, c'est parce qu'elle porte en elle la faiblesse même du concept de défense de vie privée tel qu'énoncé par les geeks rebelles: on défend la vie privée comme d'autres défendent la propriété privée, par principe de liberté, mais sans vouloir comprendre en profondeur en quoi la liberté est vraiment écornée par la violation de notre bulle personnelle. Ainsi, en affirmant qu'il existe un contrat social de fait à l'ère d'Internet où les gens acceptent de donner des informations personnelles en échange de l'accès à d'autres, contrat impossible à dénoncer car validé par un choix implicite, c'est comme dire que la peine de mort est acceptable à partir du moment où la société l'a acceptée. 

On ne peut pas enlever à ce courant de pensée le fait qu'il ait des constantes: ils ne se battent pas malgré les autres, mais finalement uniquement pour les autres, du moins tant que les autres les remercient. Prendre le risque de s'opposer aux choix de société c'est trop inconfortable et ça diminue le nombre de "followers", cette communauté si nécessaire pour vendre son dernier bouquin, pour cotiser à sa super assos' ou filer quelques sous à la dernière cagnotte des copains.

Mais pourquoi diable je m'énerve autant ? Parce que l'histoire de la vie privée n'est pas une histoire de droit individuel, mais de pouvoir collectif. L'information que nous donnons de nous, même anonymes, permet à certains de nous connaître alors que nous ne savons rien d'eux, et même rien de nous. Elle permet de nous manipuler à notre insu par la détection de déterminismes auxquels nous devrions au contraire nous échapper. Lorsque j'accepte que Marmiton sache que j'aime la soupe à l'oignon, comme le dit l'auteure du billet sus-cité, j'accepte qu'on m'enferme dans un espace qui fait de moi un pantin inculte façonné par le déterminisme des algorithmes.

Évidemment, il est facile de me retourner l'argument d'élitisme en prétendant qu'un Internet gratuit par le biais de la pub ouvre plus de portes que le déterminisme algorithmique n'en referme, mais j'aimerais comprendre quand est-ce que les faits ont donné raison à cette assertion ? La "démocratisation" d'Internet a-t-elle fait augmenter la connaissance des gens, ou les a-t-elle abrutis encore plus ? Si on regarde la quantité de crétins accrochés aux différents mythes dérivés de Qanon, la réponse est évidente, même si le dire serait se faire immédiatement traiter d'arrogant. Pourtant, l'élitisme consiste à croire que, parce que soit-même on peut trouver des informations et des connaissances pertinentes sur Internet, Internet, tel qu'il existe aujourd'hui, est bon pour tout le monde. L'élitisme c'est d'être un parasite nourri par la bête et déclarer que le parasitisme est bon pour tous. Car l'élitisme n'est pas vraiment se croire supérieur, mais se vivre supérieur, en ignorant royalement les faits qui sont la preuve de notre privilège indus.

Connaître la vie de mon voisin dans le détail me donnerait un pouvoir sur lui. L'information qu'un (tout petit) pan de la population possède sur le reste est de cet ordre. La pub et ses revenus associés ne sont finalement qu'un sujet anecdotique dans cette affaire, l'une des utilisations de cette arme, avec ses victimes et ses bénéficiaires. On pourrait croire que ce n'est même pas important, mais c'est oublier que la pub nous modèle et modèle nos valeurs collectivement. Ainsi, lutter contre la destruction de la vie sur Terre, c'est commencer par lutter pour d'autres valeurs que celles véhiculées par la pub, donc détruire le système à la base. Je ne serais d'ailleurs pas étonné que certains de ceux qui ont applaudi l'article sur ZDNet pour son pragmatisme soient des végans prêts à gueuler pour la bien-être animal. Ils ne sont pas à une contradiction près. Aujourd'hui les ONG supposées lutter pour les plus grandes causes nous interpellent à coup de campagnes de communication calquées sur celles des multinationales. Là encore, c'est du pragmatisme paraît-il. Ce pragmatisme qui appuie à fond sur l'accélérateur pour qu'on s'explosent bien plus violemment sur le mur de nos limites, enivrés individuellement par l'idée qu'on a fait ce qu'il faut et que tout est la faute des autres.

Ainsi va la vie: chacun y voit midi à sa porte, parce que chacun préfère rester dans sa zone de confort, la consolider même. Rien de nouveau, rien de subversif, rien de disruptif dans cette affirmation. Pas au niveau intellectuel du gars qui "invente des modes de consommation numériques équitables" comme ces personnes qui s'acclament mutuellement. 

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