Isaac Asimov écrivait: "la violence est le dernier refuge de l'incompétence". Parce qu'il nous arrive à la plupart d'êtres violents de temps à autre, verbalement ou physiquement, on a du mal à entendre la justesse de cette affirmation. Et parce que nous sommes tous devenus des nuls, nous avons du mal à reconnaître le lien entre cette nullité et la destruction du monde en cours.Il est vrai, d'ailleurs, que les fachos eux-mêmes, ainsi que nombre de fanatiques de toutes sortes, utilisent cet argument: la déchéance individuelle et collective de l'Humanité nécessiterait une reprise en main par l'endoctrinement, la force et la violence. Oui, mais justement, ce serait là l'ultime et normale étape de l'incompétence: la violence absolue, l'arbitraire permanent, la sauvagerie des règles imposées par des débiles. L'incompétence se répand par l'effet de boule de neige en se nourrissant de ses propres déchets. A la fin, il n'en restera rien et tout recommencera à zéro, à l'exception près que, cette fois-ci, ce pourrait être plus définitif, du moins pour les Humains.
Il m'est arrivé de travailler dans une grosse entreprise. Étant plutôt direct et ouvert, il m'est arrivé de discuter avec tout le monde, de tout le monde. Et j'entendais systématiquement la même musique: "les autres, ce sont des cons". Pour mon pot de départ, du haut de mes vingt-neuf ans de l'époque, face à une centaine de personnes, je me suis permis cette boutade: "parce que j'ai fait la somme de tous ce que vous m'avez dit, vous êtes tous des cons et c'est vous qui l'affirmez".
Derrière cette effronterie, il y a une part de vérité. Nous vivons non seulement dans un monde d'incompétents, mais chacun se croit meilleur et voit dans les autres l'obstacle premier à son épanouissement. En roumain on dit: "prostul dacă nu-i fudul, nu e prost", ce qui se traduit par "si l'idiot n'est pas péteux, c'est qu'il n'est pas idiot" !
Il se trouve que les fascistes vous disent aussi, aujourd'hui: "vous êtes des génies, laissez-nous vous aider à le montrer en tuant au nom de votre intelligence". Ils mettent la bêtise sur le compte des élites, en espérant flatter le bon peuple pour mieux le prendre à revers par la suite. Avant même de parler des étrangers, "tous ces impurs" qu'ils ne manqueraient pas de vouloir exterminer d'une manière ou d'une autre (l'intégration forcée est une forme d'extermination de l'identité), les fascistes sont ceux qui ne se cachent même pas de vouloir raser de la Terre tout ce qui ne leur semble pas utile. Crétins qu'ils sont, il n'y a pas grand chose sur la liste de ce qu'ils épargneraient. Évidemment, la première victime sera le bon peuple qui les aura plébiscités par amour de la flagornerie.
Quelque part en Ligurie, région italienne déjà dirigée en partie par l'extrême droite, il m'est arrivé ce genre de petites anecdotes qui vous révèlent les liens invisibles entre des concepts apparemment indépendants. J'ai dû batailler une bonne heure pour qu'un employé des assurances arrive à trouver le bouton "confirmer" dans un logiciel qu'il utilise tous les jours. Un crétin fini, incapable d'enregistrer une adresse dans l'outil supposé être son principal outil de travail. Ce type, petit privilégié dans un pays où avoir du travail pour être l'esclave d'un gentil patron est déjà une chance, certainement ayant eu son boulot par relations interposées, ne sait rien faire de ces dix doigts. On voit à l'état de ses mains parfaitement entretenues qu'il n'est pas plus doué avec le boulot manuel et, étant donné la lenteur de son esprit et le niveau de son vocabulaire, on a dû mal à imaginer qu'il puisse être doué en musique ou en poésie. Pourtant, sans aucune capacité et certainement sans aucun talent révélé, il ne serait pas le dernier à cracher sur les noirs ou les orientaux qui s'aventurent à traverser la Méditerranée dans le seul but de le déposséder de sa situation.
L'avantage de laisser parler les gens et pratiquer une écoute active est qu'on découvre très vite le puits profond de bêtise que forme leur esprit. Comme cette autre fois, dans un village du Piémont où une sorte d'épave humaine détruite par la cigarette et l'alcool m'a expliqué comment des centaines de kilomètres de terrasses ont été construits par ses ancêtres pour y cultiver le noisetier, chose inimaginable, à ses yeux, de la part de "ces feignasses d'Africains". Qu'importe qu'elle, son mari, ou ses enfants n'aient jamais fait honneur à leurs aïeuls en soulevant la moindre pierre de ces murets, ou encore que la plupart des Africains bossent vingt fois plus dur qu'elle ou n'importe quel membre de sa famille, qui sont, tous, juste des rentiers. Il y a aussi ces commerçants qui ne supportent plus la moindre manif, de peur de perdre leur pain, qui pensent que leur labeur n'a pas d'équivalent sous prétexte qu'ils "font des heures", mais qui, depuis déjà le temps des marchands du Temple, ne sont rien d'autres que des parasites profitant de nos faiblesses.
On peut se lasser de cette litanie de critiques, surtout quand on sent qu'elle devrait tôt ou tard en arriver à nous pour nous rappeler le ridicule de notre propre vie. Sauf l'exception de ces gens qui ont eu la chance de faire coïncider talent, métier et utilité, autant dire pas grand monde, nous travaillons péniblement à faire des tâches pénibles, aux résultats pénibles, à l'intérêt pénible, mais bon, il y a toujours des incompétents de référence pour nous rassurer en nous déclarant productifs. Il paraît qu'un employé moderne est des dizaines de fois plus productif qu'un maître artisan du XVIIème. Rien que cette phrase sonne tellement faux, que la seule façon de la croire vraie est de mesurer la productivité à l'aide de la quantité de déchets produits. Et oui, dans ce cas, nous, gens du XXI-ème siècle, sommes des Stakhanovistes de la merde.
L'ensemble du capitalisme est basé sur l'exploitation circulaire de l'incompétence: vous produisez de la merde pour acheter de la merde, et plus vous en produisez, plus vous pouvez en acheter. Comme votre seule satisfaction c'est d'en posséder plus que le voisin, vous vous battez en permanence pour en faire plus que lui. Dans ce circuit scatophile il y a le ponctionneur, le patron, qui pompe le fric, pardon le caca, pour se goinfrer. Les lois de la Nature étant ce qu'elles sont, il n'est rien d'autre qu'un transformateur de déchets. A la différence de la Nature, cependant, il produit des déchets que plus rien ni personne ne peut transformer en un temps raisonnable. Ainsi, nous dépensons une énergie monstrueuse pour amonceler des ordures de toutes sortes. C'est devenue notre seule raison d'être.
Regardez le monde miniature que nous offrons à nos enfants: bonbons, gâteaux flashies, jouets jetables en plastique, emballages et déchets au double de ce qui est réellement utile, si tant est qu'on puisse donner une utilité à un contenu indécent de non intérêt.
J'ai pu assister à un anniversaire d'un collègue de classe de ma fille, d'origine amérindienne: ce gamin qui est supposé avoir la chance de vivre le rêve européen a échangé une vie de misère contre une vie d'opulance. Son anniversaire était une immense poubelle dans un bowling glauque en sous-sol d'un endroit glauque. Il a dix ans et son plaisir c'est de déchirer des paquets et jeter des tonnes de plastique par terre pour en extraire une jouet de merde, tout en ayant la satisfaction de ne pas devoir nettoyer, puisqu'il est maintenant assez "riche" pour payer quelqu'un qui nettoyer derrière lui. Il pourrait ensuite aller sur la plage pleine de déchets, où bientôt on va couvrir les poubelles d'une couche de sable bien propre pour les touristes, mais la mer ne l'intéresse même pas. La Nature, pas plus. Donnez-lui un téléphone portable et il sera comblé.
Est-ce un talent que de créer et fabriquer un jouet de merde pour enfants déshumanisés ? C'est qui le connard d'industriel qui s'en fout plein les poches et qui se croit supérieur parce qu'il a fait fortune sur le dos de travailleurs mal payés, quelque part dans un pays pauvre où on salue le progrès consistant à prélever les campagnes pour remplir les usines, pour ensuite mettre des usines à la place des paysans ?
A quoi peut mener autant de nullité si ce n'est à se foutre sur la gueule pour le dernier coin de paradis, le dernier morceau de chocolat, ou le dernier rouleau de PQ ? Le fascisme est systémique. Ne sachant rien faire de leur mains, si ce n'est éventuellement tuer l'autre, les populations de ce monde n'ont aucune autre issue que la guerre, la destruction et l'achèvement de cette œuvre commune de parasitage. C'est franchement d'autant plus vrai en Occident.Oui, je suis moi-même incompétent de n'avoir jamais réussi à convaincre qui que ce soit de changer le cours de sa vie. A peine si j'ai réussi à dévier légèrement le mien. D'où la violence du propos.
Bonne fin du monde.
Billet de blog 19 avril 2022
Le fascisme, enfant naturel de notre incompétence
Les gens sérieux écrivent des tonnes de conneries pour expliquer la montée du fascisme en France et dans le monde. Il y a pourtant plus simple: se regarder dans le miroir et se rendre compte à quel point l'incompétence et la bêtise sont les causes naturelles et structurelles de cette malédiction.
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