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Billet de blog 9 janvier 2020

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13 - Le piège de vouloir vivre comme des riches

13 ème vue : le piège et la richesse. Même quand on cherche à faire son job de façon éthique, les intérêts bien compris du client peuvent vous jeter à terre. La dégringolade s'accélère et tous vous tournent le dos.

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Y a-t-il eu une campagne contre moi ou mon cabinet lors de l'opération Promogram ? Peut-être, mais pas dans la forme ni sur les critères que l’article sous-entend. D’accord, la plupart des professionnels de la communication aurait refusé de rejoindre mon équipe. Mais ce n’est certainement pas à cause d’une supposée défiance des entreprises locales envers ma personne, mes compétences et ma capacité à répondre aux attentes d'un promoteur national. D’abord il était difficile pour ces agences de prendre le départ de la course sous deux dossards : le leur et le mien. Tous ont participé à la consultation et approché Promogram pour proposer leurs services. Ce projet faisait figure de Graal et chacun espérait y tremper les lèvres. D’autre part, une fois la compétition gagnée sur mon concept d’équipe à géométrie variable, les pros de la pub du coin n’ont pas eu à me refuser quoi que ce soit, tout simplement parce que je ne leur ai rien demandé.

Dès le début j’ai une idée bien arrêtée quant aux personnes que je souhaite rassembler. Certainement pas ce qui s’appelle encore une agence conseil en communication locale, ces nains obèses qui croient pouvoir braquer le porte-monnaie des entreprises voisines avec un powerpoint et un jargon marketing éculé. En termes de conseil ils ne proposent qu’un emballage verbeux pour les croquis de leurs graphistes : de la verroterie vendue au prix du diamant par la seule magie de l’écrin.

Un client comme Promogram sait très bien quelle approche de communication convient à son projet. Il sait aussi reconnaître une idée, un concept porteur, sans qu’on ait à le lui emballer dans une recommandation facturée 150 euros de l’heure. Ce dont il a besoin, c’est d’organisation et de force de frappe : l’intégralité du budget doit avoir un impact sur le public cible. Tout ce qui tombera dans la poche d’un conseiller sous prétexte de benchmarking, de networking ou de présentiel commercial sera de l’argent perdu. L’équipe dégraissée que je propose constitue une task force entièrement dédiée à l’efficacité. Je n'ai pas de talent particulier pour la communication, mais pour l'organisation d'entreprise et l'efficacité productive vous pouvez comptez sur moi. Vous pouviez... Bref, pas de directeur de clientèle, de chefs de publicité, d’assistants, de planning stratégique ou d'analyste des données d'étude. Aucun intermédiaire payé à hauteur de son titre sans savoir ce qu’il apporte vraiment. Mon idée est de faire mentir Henry Ford lorsqu’il clamait « sur deux dollars que je dépense en publicité, il y en a un qui ne sert à rien, mais je ne sais pas lequel ! » Grâce à notre travail, chaque euro dépensé se transforme en mots de poids et en images chocs au service du projet. Mon job se limite à organiser celui des autres. C’est là que je suis bon, je me répète. Et à maintenir le contact avec les décideurs, tâche où je ne suis pas mauvais non plus si on ne me met pas de fers aux pieds ou si on ne me juge pas sur mes habits de l’an dernier. Et nous avons tous bien travaillé. Pas de temps perdu, pas d’argent gaspillé, un circuit raccourci pour un maximum de performance, le tout sans douleur en laissant à chacun sa liberté d’action. Aucune des agences de publicité des environs n’avait sa place dans ce dispositif.

Ont-elles dit du mal de moi, ou de nous ? Probablement, mais à qui ? L’équipe technique de Promogram venait parfois travailler à la conception du programme immobilier et n’était en contact qu’avec nous et le siège. Les responsables communication et finances ne quittaient pas le siège. La seule audience potentielle d’une éventuelle « campagne anti-Bestin », à part la presse torchonneuse, aurait été la clique des rats de conseil et des petits patrons de PME trop contents de s’échanger en boucle des ragots inconsistants. Je ne voulais plus travailler pour eux ni avec eux. L’opération Promogram a été une bouffée d’air et non la catastrophe qui aurait précipité ma fin. Un vent d’espoir. La catastrophe, c’est eux et leur âpreté au gain, leur obsession de la fraction de pour-cent, leur hantise de l’ouvrier fainéant qui, seconde par seconde, leur vole une minute de salaire en fin de mois. Mais je m’égare sans doute… Avec Promogram, je me suis aussi un peu laissé piéger. J'ai été bon. Donc j’ai continué d’y croire, un temps.

C’est pendant ce bref rebond que nous avons été invités chez Alexandre et Emmanuelle Dubreuil. Le dîner que décrit Digoin dans son premier article. Pourquoi affubler les Dubreuil de prénoms aussi ridicules ? Peut-être voulait-il en faire les archétypes de l’aristocratie de province. Tout juste s’il n’a pas présenté la femme comme une pure Marie-Chantal ! Avec de telles intentions, pas étonnant que sa façon de raconter nos conversations pendant le dîner soit aussi pathétique. Il les a vues et entendues comme ça parce qu’il avait déjà posé tous les filtres de jugement.

Certes, nous n’étions pas au mieux. Les règlements de Promogram ne m’avaient permis que d’acquitter d’anciennes factures, j'étais toujours dans le rouge à la banque. Mais mon nom et celui de Scanperf circulaient de nouveau dans certains milieux. Alexandre Dubreuil avait bien dans l’idée de me faire travailler pour sa chaîne d’agences immobilières, sans que je sache s’il s’agissait d’un projet de réorganisation ou de me confier une équipe de prospection et de vente. Il n’a de toute façon pas donné suite. Ce que le reporter mondain a pris pour de la panique dans les réactions de Sandrine n’était qu’une inquiétude tout à fait légitime : elle craignait que je replonge dans le marigot des affaires. Nous n’en avions pas les moyens, ni financiers ni psychologiques, et encore moins éthiques. J’emprunte une formule au plumitif : la morale personnelle est un capital qui se gagne goutte à goutte et se perd au litre à la moindre occasion. Cette soirée a constitué pour moi une tentation pour un retour vers les paillettes, les dépenses, le champagne… Le champagne vous fait oublier toutes les saloperies qu’il faut supporter avant de déboucher chaque bouteille. Une sorte de piège que Sandrine ne voulait pas voir se refermer sur moi, et elle avait raison.

Le piège, c’est de vouloir vivre comme des riches sans l’être jamais assez.

Le piège, c’est de dire non sans y croire, sans le dire complètement, sans changer ce qui va autour. J’ai commencé par sélectionner mes clients. Je les impliquais plus profondément dans le processus d’audit pour les mettre face à leur responsabilité, quitte à ce qu’ils me tournent le dos. Sur mon compte LinkedIn j’appelais ça du coaching organisationnel. En les obligeant à assumer une partie du travail je les force à prendre conscience de leurs objectifs cachés, à reconnaître qu’ils adhérent à cette vision pourrie du travail, à accepter de s’y confronter publiquement. Devant leurs employés, ils vont devoir admettre qu’il ne s’agit pas de « mieux partager la culture de l’entreprise » mais de mettre au pas les vieux récalcitrants, en les remplaçant au besoin par des jeunes sans ancienneté ni revendication. Peu de mes clients l’ont fait. Peu sont allés jusqu’au bout de leur vraie démarche. En tout cas, peu y sont allés avec moi. Parce qu’après cet audit de coaching je dispose toujours d’arguments techniques pour leur dire « Stop ! c’est là que je m’arrête, je suis spécialiste en performance, pas sniper d’entreprise ou maquilleur d’esclavage ».

J’ai perdu des clients. J’ai cru gagner un ou deux amis, mais ils se sont vite détournés après avoir goûté l’amertume de la pilule. Quand un patron d’atelier vous appelle au secours parce qu’il doit absolument gagner en productivité, sinon, il coule, et que vous lui dites « vous êtes déjà à bloc, la seule solution c’est de faire travailler vos gars comme des Chinois, en les payant d’un demi bol de riz », il vous remercie pour votre franchise, vous offre à boire parce que non, quand même, c’est pas courant de dire les choses comme ça, et puis après ? Ce type est pris dans un faisceau d’obligations qui le dépasse. Il doit s’en sortir, coûte que coûte, mettre la pression sur ses gars, remplir le carnet de commande en prouvant aux clients qu’il est plus performant et moins cher que les autres. Il doit montrer les dents et être prêt à mordre, à l'intérieur comme à l'extérieur.

Ce que je dis au dirigeant d'entreprise, même si c’est juste, ça ne l’aide pas. Il veut une martingale, quelque chose de magique pour rester un bon patron dans un monde qui exige des esclavagistes. La martingale n’existe pas, il n’y a pas de truc, le magicien économique est nu, telle est la vérité. La vérité gâche vite l’amitié. Le chef de PME a d’autres problèmes que des considérations morales. Il peut vivre sans mon amitié, sans mon respect même, mais pas sans clients.

Bientôt, le téléphone ne sonne plus. Les membres du club se sont passé le mot : je ne suis plus des leurs. Sur ce plan, sur ce déclassement-là, les articles publiés donnent un diagnostic juste de ma situation sociale. Je coule, mais heureusement je coule seul.

Je dois petit à petit me passer de mes collaborateurs. Les réserves financières du cabinet servent à payer les mois de préavis des assistants, puis de la secrétaire. Je suis bientôt tout seul. J’ai déjà connu cela, j’ai même commencé ainsi, ce n’est pas un drame. Sur un plan économique normal tous les espoirs me seraient permis. Je suis bon dans mon métier, très bon, même. Et seul, je coûte moins cher. Je gagne en performance, selon les critères du moment. Il faudrait que je reprenne la prospection, élargir ma zone de recherche, me présenter hors de la région. Parfois, cela me tente, sortir la tête de l’eau, retrouver mon statut, ma place d’avant. Redevenir un winner. Je regarde les annuaires professionnels sur Internet. Toutes ces PME qui n’attendent que mon talent pour aller mieux. Tous ces employés, ces ouvriers, ces cadres débordés, qui pourraient bénéficier de mes compétences pour améliorer leur quotidien au travail. Combien de fois ai-je tendu la main vers le téléphone, pour appeler. Me présenter, dire que j’ai analysé le potentiel de progression de l’entreprise et solliciter un rendez-vous pour proposer mes solutions. Je n’y arrive plus.

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