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Billet de blog 5 novembre 2017

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Golup, chapitre 3 : Ce frère inconnu, par Seven

Chaque semaine depuis six mois, Seven, peintre dessinateur, se rend au centre d'Ivry-sur-seine accueillant les familles demandeuses d'asiles pour un atelier de dessin avec un groupe d'enfants. Ensemble, il dessinent leurs histoires. Troisième chapitre d'un récit en six parties

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Gorée comme point de départ, des millions de Golups raflés, déportés, ce sentiment d'arrachement au sol natal, les larmes, les cris qui déchirent les poitrines, et les silences. Libérés une fois par jour pour faire leurs besoins. Les gardiens et les travailleurs dans ces structures, OFII CHU, CADA, et les centres de pré-orientation ne sont pas ces négriers, mais les situations géopolitiques qui causent l'exil sont créées par ces mêmes négriers. Quand l'un d'eux me parle du regard que l'on porte sur eux, il le définit comme celui des travailleurs invisibles, l’humain, celui qui doit faire faire la queue, celui qui doit les voir attendre encore et encore…

J'ai sélectionné ces quatre textes recueillis sur mon mur facebook ; deux écrits par un ami des premières heures de mon engagement avec les Golups anciennement traducteur pour la mairie de Paris, Jan Kuchai. Un troisième qui m'a tout autant touché membre d'une association trop peu cité et remercié. David de l’association une goutte de soleil et pour finir celui d'un ami Golup, Mohammed Noor Wanna. 

Illustration 1

Publications de Jan Kuchai sur sa page Facebook

14 février

Quand nos gens vont-ils vivre en sécurité ?

Afghanistan 
Cette triste nouvelle m'a fait pleurer, ça m'a énervé et fatigué, pourquoi notre peuple ne peut-il pas voir le bonheur ?
Quelle est leur faute, de voir des jours comme il y a deux jours
Beaucoup de gens sont morts dans la capitale (#Kaboul) et une province appelé : #Helmand.
Le sang était répandu partout, certains l'ont vu de leurs propres yeux, et d'autres aux infos, qui avaient peur de faire un pas en dehors !
Comment les gens peuvent vivre comme ça dans leur propre patrie ?
Je ne comprends pas à quel point certaines personnes sont sans cœur ! Comment peux-tu tuer quelqu'un !
Là où la famille n'avait pas idée que leur enfant ou un autre membre de la famille ne serait plus rentré parce qu'il ou elle était morte à cause d'une explosion de boom !
Y a-t-il d'autres tristes nouvelles ?
Notre peuple est vraiment fatigué de voir leur pays vivre dans une telle souffrance, quelle est la raison pour laquelle cela se passe .
On ne voit plus les gens mourir, on a déjà beaucoup perdu ! Nous voulons vivre en paix aussi ! Comme d'autres pays !
Et si vous voulez détruire l'Afghanistan ! S'il vous plaît détruisez votre propre pays, mais laissez les Afghans en paix, ils ne vous ont rien faits de mal ! Celui qui fait ça !
Lisez-le attentivement, car Allah vous en veut, et vous irez en enfer.  

27 août · 

À ce frère inconnu mort en voulant vivre…
Il a quitté son village avec le sourire et ses parents avec les larmes. Sa mère l’a serré fort et lui a dit : « sois fort mon fils, tu sais comme je t’aime, reviens-moi vite… » 
Puis il est parti vers l’inconnu, vers une terre qu’on disait riche d’humanité et de progrès ; il voulait fuir la misère pour revenir aux siens avec un peu plus de lumière. Puis il est parti, vers l’inconnu… Il pensait emprunter les routes du paradis, il a atterri en enfer. Il s’est embarqué avec des inconnus, il a payé le prix cher pour traverser ; il pensait acheter un ticket pour le bonheur et il s'est embarqué dans le train de la mort. Enfant de la chaleur, il ne connaissait pas le froid, enfant du désert, il ne connaissait pas la mer, enfant des terres, il ne savait pas nager.
Piégé entre ciel et mer, il y a eu une terrible vague, et la barque a basculé, il est tombé dans les eaux profondes. Enfant des plaines, il ne savait pas nager. Dans son angoisse, en se débattant désespéré, il a pensé à son village, à ses frères et sœurs, à ses amis, à son père et surtout à sa mère. Dans son ultime souffle, il a eu quelques larmes, et il a dit en s’étouffant : « pardonne-moi maman, je n’ai pas réussi à vous aider, et je meurs sans t’avoir revue. » Le pauvre… C’était plus difficile qu’il ne croyait, la forteresse Europe était inaccessible. Quel destin ! Il est né dans les terres sèches et il est mort en pleine mer.
Il est mort à cause d’un monde impitoyable, il est mort à cause d’un système meurtrier, il est mort en voulant vivre… Hommage à toi, héros inconnu des temps modernes…



David Goutte de Soleil

1er août 

Assis sur ma petite colline j'ai les yeux collés sur cette grosse bulle, qu'ils appellent "foyer d'accueil", une oasis à porte de la chapelle.
Je pense à mon Érythrée, mes parents, ce foutu service militaire. La nuit je pleure à bout de souffle comme si j'avais une main devant la bouche pour m'empêcher de hurler. De toute façon je dors tellement mal que je n’arrive pas à faire de cauchemar. 
Je viens d'arriver, je n’ai pas encore de tente alors je me cale ou je peux, même si c'est l'été ici le soir je tremble comme j'ai jamais tremblé.
Mais une dame très gentille et qui me regarde avec des yeux de maman a promis de nous en ramener une à mon cousin et à moi . C'est bizarre elle est là tous les jours, sans qu'on lui ai rien demandé, elle nous habille, soigne nos plaies...Elle nous écoute beaucoup, parfois elle pleure ou se met en colère quand on lui raconte nos histoires.
Quand j'en ai marre de surveiller le centre je regarde les voitures qui passent et m'amuse à leur faire des grimaces. Certains nous regardent très curieusement derrière leur vitre, la dame gentille nous a dit qu'ils faisaient pareil dans des grands parcs avec des tigres et des lions.
Il y a aussi des gens avec des caméras et des micros qui viennent dans le camp, ils nous sourient puis nous tournent le dos comme si on existait plus et parle de nous en nous appelant "migrants", "réfugiés ".
Alors je me glisse entre eux et dans un fou rire je crie mon nom : « DAWIIIIT »

Mohamed Nour Wana

Mohamed Nour Wana est poète. Depuis Golup, il a traversé le désert, vécu la guerre en Libye, et le racisme, franchi la Méditerranée… avant de découvrir les camps de rue à Paris en 2016. Il écrit actuellement un livre qui racontera son histoire, depuis l’enfance jusqu’à son arrivée ici, pour inviter le lecteur à se glisser dans sa peau et vivre un peu le passage qui a été le sien comme celui de tant d’autres : « Il y a des gens qui se battent juste parce qu’ils veulent rester en vie. Même s’ils n’ont rien, ils veulent juste quand même vivre et puis voir ce que la vie peut leur apporter. »

 ADIEU MAMAN

Pardonne-moi maman.

Pardonne-moi d’être parti sans te prévenir.
Pardonne-moi de t’avoir embarrassé.
Pardonne-moi d’avoir été trop subtil et d’être parti comme un voleur, car je fuyais la terreur et c’est l’erreur qui m’a surpris.
Aujourd’hui assise sur une natte, au fond de la cour, sur le sable
Où je jouais, larmes aux yeux je sais que tu penses à moi qui suis ton fils unique, maman.
Tu diras à nos voisines « Mon fils est parti loin d’ici, loin de toutes ces hostilités. »
Il aura la vie sauve.
Il aura un avenir meilleur.
Et me reviendra avec un grand sourire.
Ce sera le sourire de la victoire.
Ce sera le sourire de la liberté.

Mais non maman, ce serait une erreur de ta part, car à présent 
Je ne suis qu’un fantôme qui vit dans l’eau.
Oui j’ai péri maman.
J’ai péri au plus profond de nulle part et mon cœur s’est éteint 
Dans l’immense bleu.
Mon corps n’est plus rien qu’un simple appât, qui dans l’eau nourrira ses poissons.
Adieu maman.
Adieu mes rêves.
Moi qui croyais revoir un jour ton sourire, réentendre ta voix 
Qui m’appelait toujours dans la cuisine.
Mais hélas maman, la mer m’a surpris.
Non, je ne saurais nager, car je n’ai connu que le désert.
Aujourd’hui j’ai péri comme autant d’autres que moi.
Adieu maman.
Adieu mes rêves.
Je ne connaîtrai pas de victoire.
Je ne connaîtrai pas de liberté.
Je ne reviendrai plus jamais.
Et tu ne t’en rendras compte qu’avec les tant d’années qui couleront.
Tu diras à nos voisines « Mon fils est parti depuis très longtemps, 
je n’ai plus de ses nouvelles ».
Ton cœur te dira, mon fils a peut-être péri.
Cette fois-ci tu auras raison maman.
Ah oui maman, ton fils n’a pas su comment nager et a péri comme tant d’autres que lui.
Tu le sauras dans longtemps mais tu ne l’avoueras à personne.
Tu pleureras toutes tes nuits.
Tu pleureras tous tes jours.
Tu croiras enfin ton cœur, qui avait toujours raison.
Et ta vie ne sera que tristesse.
Tu mourras de détresse.
Adieu ma pauvre maman.
Moi qui n’ai pas eu le temps de comprendre que le destin, ce n’est pas l’homme qui le choisit, mais plutôt la vie qui le lui offre.
Car ma liberté m’a coûté plus cher que ma vie.
Je n’ai rien eu d’autre à donner que mon âme.
Adieu maman, adieu mes rêves, adieu ma pauvre vie.

Mohamed Nour Wanna

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