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Billet de blog 12 juillet 2017

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Porte de la chapelle, zone de mise à l’abri des regards par L. Manac'h.

Les exilés attendent toujours à la porte de la chapelle, aux abords du camp dit humanitaire, sas de transit et vestibule du mythe d'une maison nationale hospitalière. Impression retour sur une énième opération d'évacuation policière matinale. "Mise à l'abri" surtout des regards et mise en scène très médiatique d'une gestion des corps.

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“Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants

(…)

Une famille transporte un édredon rouge comme vous transportez votre cœur

Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels”

7 heures, le 07/07/2017 : “Good luck guys !”

Tu t’es réveillée pour aller voir, l’oeil braqué sur les matraques aux ceintures. Dégainer la caméra ou le téléphone si les armes sont pointées, Lucky Luke dans la guerre de l’image. Tu n’es pas la seule d’ailleurs au bout du petit matin, l’oeil cerné devant le camp. Ah oui, vous êtes cernés, déploiement policier tout autour du carrefour comme cadre d’un tableau, scène historique ou de vie quotidienne. Titre : “Paris, évacuation à l’aurore de juillet.”

Tu y vas sans poser de questions, tes oreilles débordent déjà des discours officiels, des éléments de langage mâchés : mise à l’abri, campements illicites, indignité, salubrité, France terre d’accueil, évacuation dans le calme. Tu sais, il faut donner la becquée aux journalistes, nombreux ce matin. C’était annoncé, pas de surprise, la communication fait partie du plan : calme ça le restera. Et c’est une fois les caméras éteintes, l’abri atteint dans le gymnase de banlieue parisienne que le tri administratif pourra débuter tranquillement. Avant une dissémination dans l’archipel des dispositifs de mise à l’écart, du centre d’accueil au centre de rétention, de l’obtention du précieux statut de réfugié à la fabrique des clandestins.

Alors tu restes muette et le regard s’attache aux postures, aux gestes tendus qui nous mettent tous en relation.

Il y a celui qui blague entre deux bâillements, la tête posée sur son petit ballot de vie. Un groupe assis en cercle sur le bitume joue aux cartes, la voix de Maitre Gims s’élève de l’enceinte d’un téléphone.

Celles et ceux qui font leur ronde en roulant des épaules dans le périmètre circonscrit du carrefour, cordon de véhicules de police tiré aux quatre coins. On commence à dénombrer les quatre roues, les bus, comme on compte les moutons. Cinquante… Soixante… Ils se perdent dans l’horizon de tous les côtés.

La file des bénévoles officiels, signalétiques avec brassards et logo. Ils tirent de grosses bennes et vont s’affairer à sauver tentes et couvertures avant que les camions poubelles arrivent plus loin sur le boulevard Ney. La procédure est mécanique : on ramasse ce qu’on peut sauver, décontamination, machine à 90 degrés et distribution aux prochains qui arriveront dans quelques heures. Perpétuel recommencement.

La nasse sur le carrefour sert de sas de transit. Par petits groupes, les résidents des bouts de trottoir se lèvent et se dirigent doucement dans la direction du camp. Des agents aux dossards jaunes fluo les interceptent et leur enlèvent les tentes pliées. Entendu : “V’la la prochaine vague qu’arrive !” Ils poursuivent leur marche silencieuse et passent sous les fourches caudines de la haie de déshonneur des boucliers tendus d’une trentaine de CRS. Les exilés se faufilent entre les uniformes bleus ténèbres. Image gravée : la main minuscule d’un bambin de trois ans serrée dans celle de son papa souriant.

Illustration 1
Les fourches caudines © LM

L’État est là : sous-préfet de police avec ses chaussures vernies, agents des préfectures d’Île-de-France en maillots bleus. Opération sous contrôle, on vous l’a dit et on vous le répète devant les dizaines de micro qui tètent cette atmosphère étrange.

Et puis, il y a aussi les soutiens, des visages reconnus, montés sur une petite butte de terre, tendus et épuisés par une mise en scène trop bien connue, circulant et informant les exilés sur la suite éventuelle. Know your rights comme gueulent les Clash !

Il est 9 heures, on quitte la nasse par un contrôle d’identité insistant pour s’approcher de ce qui se passe à l’ombre des grands arbres de la rue de la chapelle. À la place d’un campement, les grosses mains de fer aplatissent tentes et affaires abandonnées, s’en emparent pour les faire retomber avec un bruit mou dans les camions poubelles. Des hommes en blanc, déguisements de site radioactif, s’activent ensuite pour faire disparaitre les dernières trace de l’occupation de la rue. Ces traces de surplace figurent l’attente et l’immobilisation collective des exilés, qui toquent à la porte de la Chapelle et restent sur le perron. Elles en constituent la mémoire et subsistent alors que les corps sont sommés de disparaître. Mais il est fait place nette ce matin, le soleil réchauffe les flaques de propre dessinées par l’eau de la ville de Paris. Ni vu, ni connu.

15…, 20…, 24…, 29…, 30…, 32…, 33…,

34 évacuations depuis 2015 martèlent les médias. Combien de temps encore à les consigner, à poser des chiffres pour nous ?

“J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom

Neuve et propre du soleil elle était le clairon

(…)

Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule”

Illustration 2
Les hommes en blanc © LM

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