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Billet de blog 13 novembre 2017

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Golup, chapitre 5: Monsieur Marcel Brient

Chaque semaine depuis six mois, Seven, peintre dessinateur, se rend au centre d'Ivry-sur-seine accueillant les familles demandeuses d'asiles pour un atelier de dessin avec un groupe d'enfants. Ensemble, il dessinent leurs histoires. Cinquième chapitre d'un récit en six parties.

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Illustration 1
© Seven

« Conquérir le droit de créer des valeurs nouvelles — c’est la plus terrible conquête pour un esprit patient et respectueux. En vérité, c’est là un acte féroce, pour lui, et le fait d’une bête de proie. »

F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Première partie « Les trois métamorphoses »

Après le Doc, ce sera la rue avec les Golups, place de la République, avec mes frères Golups mes frères afghans, Jan Kuchai et les Golups que je peins sur les tentes pour ramener un semblant d'humanité parmi ces quelques centaines de tentes posées sur cette place, on dort, mange, souffre, tous ensemble. Les Golups sur les façades du fluctuat nec mergitur, dessinés par les graffeurs Popay, Inxy, Nascio et Ogre. Mes premiers ateliers de dessins, à la maison de la femme puis dans une galerie éphémère dans le treizième avec des exilés d’Érythréen, du Soudan et d’Afghanistan.. Cela m'est venu comme une évidence de faire un mur pour les exilés en se servant de leurs dessins. J'élabore avec les graffeurs l'idée d'un partenariat avec les réfugiés pour valoriser leurs dessins et leurs parcours pour arriver jusqu'ici. Je rencontre Reshad Nikzad un acteur très connu en Afghanistan nous avons discuté une partie de la nuit et je l'ai convaincu de dessiner son histoire. De la télévision au camp de rue du boulevard de la Chapelle.

I AM AN ARTIST I AM NOT A TERRORIST © kanoumo

Son dessin montre comment une histoire peut voyager d'une conversation à un atelier de dessin, à un graffe par un artiste à une video par une autre artiste et pour finir par la réappropriation du dessin par Reshad lors du tournage du documentaire. J'ai le sentiment d'accomplir mon devoir. J'ai décidé de faire de la récupération et de faire des maraudes boulevard de la chapelle là où nous dormons sous le métro aérien. Nous sommes plus de cinq cents Golups et Afghans. Les uns sous des tentes, les autres à la belle étoile, près d'une centaine. J'ai de la chance, j'ai trouvé un plan où je peux récupérer des sandwichs et des petites pizzas. Tous les soirs je vais dans le premier arrondissement vers Châtelet et je récupère un sac énorme, environ une quarantaine de sandwichs et de pizza. On se débrouille comme on peut avec la pluie, les bagarres avec les passants. Il y a des crackers partout la nuit entre la Chapelle et Jaurès. Parfois ça s'échauffe entre Érythréens et Afghans. Ça s'affronte aussi, mais au final ça s'arrange toujours. C'est la promiscuité qui est à la base de la plupart des conflits. Je n'ai pas dessiné depuis quelque temps. Je n'ai plus la tête à cela. On souffre tellement ici. Je suis un invisible parmi les invisibles, la plupart des gens qui nous croisent me prennent pour un exilé. Je m'en amuse, balbutie quelques mots en anglais avant de disparaître dans la masse. J'ai bien essayé de faire un atelier, mais avec cette misère qui me touche de plein fouet, je n'en ai pas le courage. Il y a les évacuations. La nuit qui les précède, près de deux mille personnes se massent dans le camp. C'est un peu l'euphorie, les camions de police arrivent en masse et nous quadrillent. Les éboueurs ne sont pas loin, prêts à tout jeter à la benne comme si jamais nous n'avions vécu là. Un CRS nous insulte, nous dit que l'on est des porcs, qu'on salit la France. Il s'attend pas à ce que je lui réponde, ils me prennent tous pour un Soudanais. Je lui dis que je comprends tout ce qu'il dit et que je voudrais bien l'y voir, lui, sur les chemins de l'exil, dormant en hiver sous le métro. Il a un peu honte et il se détourne.

Quelque mois plus tard, je me retrouve au lycée Jean Jaurès, après un passage par la case nuit debout. J'y pose mes pinceaux et j'investis un grand mur du lycée où je me lance dans une fresque pleine de morgue, en mémoire de tout les Golups morts au Soudan, en Afghanistan, en Somalie et dans tout Golup. J'y dessine et recueille des témoignages si effroyables que je laisserai à d'autres le soin de les écrire. Nous y vivons jusqu'à ce que les policiers viennent nous en déloger. Ils sont rentrés par une porte dérobée. Je pense que je les ai vus en premier dans l'atelier que j'occupais. Il n'y avait plus de lumière, j'étais parti chercher ma veste et j'ai vu dans la pénombre des policiers avec des cagoules qui m'ont fait signe de me taire et de partir. Pendant ce temps, la porte d'entrée servait de diversion à leur action. Ils nous ont massés dans une des cours de récréation, puis ils ont sorti systématiquement tous les bénévoles se trouvant là. Ils les traînaient par terre sous les lacrimos. Je suis resté, le dernier bénévole m'a regardé et ils l'ont sorti. Je me suis dit que je devais rester. De plus, je voulais savoir où menaient ces camions qui les raflaient tous les mois.

Une fois les bénévoles sortis, l'ambiance est retombée. Puis au bout d'une heure je pense, les CRS ont commencé à nous faire monter dans des cars. La chose qui me stupéfia était que je ne savais absolument pas où nous allions. J'ai vu une fois dans le camion qu'à l'extérieur il y avait beaucoup de gens que je connaissais. Nous sommes allés au commissariat de rue de l'évangile dans le 18e, au centre de tri. On nous a parqués dans des enclos à l'extérieur. Chaque camion avait son enclos. La police nous regardait avec un mépris affiché. Je n'ai jamais été autant déshumanisé de ma vie, c'est la première fois que je me suis senti comme un animal, à leur merci. Je me suis vu dans une autre Gorée comme une réminiscence, un parallèle effroyable. Ils m'ont mis dans un second camion, nous avons été dispatché dans toute la France. Dans mon malheur je me suis retrouvé à 80 km de Paris dans une zone rurale, j'y suis resté deux jours, je ne supportais plus rien. J'ai commencé à déprimer dans cette chambre de 9m carrés sans télé ni radio et connexion internet. Je me suis enfui et je suis rentré à Paris.

Je me suis remis de mes émotions et j'ai trouvé un nouvel atelier à Montreuil dans un squat. C'est un musée privé vide de 800 mètres carré appartenant à l'un des plus grands collectionneurs français d’œuvres d'art et de design. Je le rencontre lors d'un rendez-vous improvisé. Monsieur Marcel Brient entre dans son musée d'un pas lourd et saccadé et demande à la personne qui m'a arrangé le rendez-vous qui est ce grand rasta assis en face de lui, puis il sourit et d'un regard me transperce avec ses yeux bleu azurin. Je me présente et je lui explique que pour un asperger autodidacte, c'était selon moi la seule manière de rencontrer un amateur d'art tel que lui. Il est assez impressionnant malgré sa chemise à fleur bleu et son short blanc. Au bout de quelque minutes d'observation, il s'est mis à me parler de football, un sport qu'il a pratiqué une grande partie de sa vie avant de ne plus pouvoir, de la pyramide du Louvre et de Pierre Berger, de Giacometti qui a dessiné son portrait sur un bout de papier dans un café. Il m'explique sa passion pour les œuvres avant-gardistes, de son intuition lorsqu'il travaillait à Beaubourg, aux Fonds national d'art contemporain, de sa croyance en Dieu. Il me dit que le hasard n’existe pas et que la parole fait l'homme. Il me dit qu'il est le plus grand collectionneur de manuscrit de France et qu'il possède ce de Rimbaud, Verlaine et Mallarmé. Je voyage de Felix Gonzalez-Torres, artiste révolté contre la légitimé de l'opinion publique américaine, mort à 38 ans du sida à qui il a acheté son poids en bonbon (pour?) des centaines de milliers d'euros à Kehinde Wiley artiste afro américain qui tente de remettre l'homme noir au cœur de l'histoire en intégrant à des grands classiques de l'histoire de l'art des personnalités issues de la culture hip hop. Il me dit qu'il est un Golup à l’intérieur. À la suite de cette discussion qui dure près d'une heure il me propose de fixer un rendez-vous pour que je puisse lui montrer mes œuvres. Nous nous donnons un rendez-vous mais un coup du sort me met en l'incapacité de récupérer mes dessins. Je suis tellement atterré que je ne viens même pas au rendez-vous que j'ai fixé. Monsieur Marcel Brient s'envole vers les États-unis. À son retour je tente de le contacter mais sans succès. Entre temps, J'ai retrouvé un autre atelier à Montreuil au jardin d’Alice. je me suis mis à peindre et dessiner des golups sur des papiers journaux du monde que j'ai scotché, des grands formats 2 m 50 sur 4 mètres environ. Ce sont les morts au Congo qui me qui me les ont inspirés à l'est dans les mines de Coltan à Boma. Les Golups y remplacent les morts et les survivants de l'œuvre Guernica de Picasso. J'ai fait aussi les demoiselles d'Avignon pour les femmes violées et torturées au Kasaï et dans tout le Congo.

J'avais proposé dans la foulée un projet à la mairie de Paris et à Emmaüs solidarité ainsi qu'à Utopia pour qui j'ai collecté des habits avec un camion de la ville de paris durant trois mois afin de changer les choses, changer la façade du centre de la chapelle par exemple toute décrépite qui donne à cet endroit des airs de squat nonobstant la bulle. Cela met un peu de temps mais j'arrive quand même à quelque chose. Je vais faire des ateliers de dessins dans le centre la chapelle, dans le camp à côté et à Ivry sur seine où sont accueillis les familles et le camp en face du centre. Huit mois plus tard, j'en ai fait près de cent cinquante. J'ai collecté plus de cinq cents dessins regroupant différents aspects de la vie dans l’exil, des objets de tous les jours, des formes architecturales, des habitudes, des textes, une esthétique propre à certaines coutumes, les différentes étapes de leurs voyages. Ce sont les traces de leurs passages, leurs histoires. J'empile les dessins de ces rescapés bien souvent de simple esquisses sur format A4 et A0.. Ces dessins parlent, ils nous regardent en tant que fait social et politique. Ils ne sont pas tous finis, mais je les finirai. C'est ma promesse, notre pacte, nous dessinons ensemble souvent à plusieurs sur un même dessin. Des cultures s'y croisent et se chevauchent. Je les reprendrai un à un, pour illustrer les histoires si besoin est, pour créer une alternative à ce séparatisme social qui gangrène notre pays. En hommage aux dizaines de milliers exilés morts sur les routes de l'exil.

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