Ce soir, quasiment pas de présence policière au moment de la rupture du jeûne... Peut-être trop occupés par la sécurisation du stade de France... Les bénévoles ont pu distribuer repas et eau... Sinon, que dire... Des dizaines de personnes qui vivent à même le sol, sans tente, entre le Bd extérieur, le périphérique et l'entrée de l'autoroute... partout des obstacles ont été posés, les fameux rochers entre lesquels les réfugiés se glissent pour dormir, des blocs de béton entassés... J'ai compté trois urinoirs, trois toilettes sèches et un bloc de trois robinets, comme ceux du bidonville de Calais... J'ai d'abord passé deux heures au milieu de la place, en fin d'après-midi, quand le soleil tapait dur et que la circulation était particulièrement dense... C'était à la fois irrespirable et insupportable au niveau du bruit... Les mêmes conditions indignes dans lesquelles se trouvaient les familles syriennes, porte de Saint-Ouen, l'année dernière, les tentes en moins... L'abjection est un gouffre sans fin. Ils sont quelques centaines... Des hommes, jeunes surtout, mais aussi des familles, qu'on force à vivre comme des rats, dans l'espoir qu'ils finiront par ne plus le supporter et qu'ils disparaîtront... Le "centre d'accueil", autour duquel ils sont agglutinés, est situé sur un terrain suffisamment grand pour en accueillir facilement dix fois plus, mais à la place, on les gaze, on les frappe, on les prive de nourriture, on leur interdit le moindre abri... On les torture mentalement et physiquement, en espérant qu'ils finiront par craquer et aller ailleurs, plus loin, n'importe où... Et quelques fois ça marche... Alors, pourquoi arrêter...

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Après, j'ai été faire un tour du côté de Stalingrad et de l'Avenue de Flandres... Toute cette partie de l'Est parisien ressemble maintenant à une prison... On ne voit plus que des grillages, partout... Et puis les grilles s'arrêtent d'un coup au milieu de l'Avenue, allez savoir pourquoi... Derrière la dernière grille, une association (ou un collectif) servait des repas à une cinquantaine de personnes qui n'avaient ni tentes, ni rien d'autre... Où dorment-elles ? Sur un bout de trottoir ? Dans l'entrée d'un immeuble ? Ma chère Simone, qui habite par là, me disait tout à l'heure qu'ils étaient comme des fantômes qui surgissaient de nulle part au moment de la rupture du jeûne et qui disparaissaient ensuite, comme s'ils n'avaient jamais vraiment été là... Là-dessus, la Mairie de Paris et l'État se sont bien trouvés... Chasser les exilés des endroits où ils étaient visibles (la Chapelle, République, les lycées occupés, l'Avenue de Flandres...) pour essayer de les rendre invisibles... Ni à Paris, ni en banlieue, mais juste au milieu... Là où les gens ne font que passer en coup de vent, enfermés dans leurs voitures... la même stratégie de la disparition qu'à Calais, à Grande-Synthe, où à la frontière italienne...Où quand on construisait les bidonvilles dans des cuvettes, hors des regards, dans les années cinquante...
Sauf qu'aujourd'hui, on voit bien que cette stratégie peut vite se retourner contre elle et conduire au résultat inverse de celui escompté, comme ça s'est passé à Calais, à Grande-Synthe, et aujourd'hui dans la vallée de la Roya... Alors j'espère qu'il en sera de même pour ces invisibles de la porte de la Chapelle, et qu'ils deviendront à leur tour tellement visibles qu'Emmanuel Macron et Anne Hidalgo n'auront pas d'autre choix que de s'occuper d'eux... Parce que sinon ils ne feront rien... ni l'un, ni l'autre.