Shafiq A., demandeur d’asile afghan en détention provisoire depuis plus d’un an : « Je l'ai dit à la police : je pense que vous ne trouverez jamais, nulle part dans ce monde, quelqu'un heureux de quitter sa femme, ses enfants, sa maison, son père, sa mère, ses frères et ses sœurs pour venir dormir dans la rue en France. Aucun humain ne peut accepter ça. »
En France en 2020, presque 20 000 personnes étaient emprisonnées sans jugement, dans l'attente de leur procès et par conséquent innocentes : c'est la détention provisoire. Parmi elles, plus de 5 500 étaient étrangères. Ces chiffres, qui prêtent régulièrement aux interprétations racistes des meilleurs ministres de l’Intérieur et autres polémistes, dissimulent une autre réalité : l’acharnement que vivent ces prisonniers. En France en 2020, un étrangèr·e avait presque cinq fois plus de chance qu’un·e français·e de se trouver en détention provisoire.
Ces chiffres ne prennent pas en compte les étrangers qui sont dits « irréguliers », plus vulnérables encore face au système police-justice-prison. Pour eux, « décroissance pénale » et « décroissance carcérale » sont les deux faces d’une même pièce. Une pièce clinquante. Une contrefaçon.
En France, être étranger·e, c’est faire l'objet de lois et de pratiques spécifiques. Par exemple, la France exclut du marché du travail les demandeurs d’asile, les rejette en grande majorité, les illégalise en leur retirant le droit de séjour, les enferme, les asphyxie économiquement pour les punir de continuer à y chercher refuge, les pousse à la mort.
Avant d’entrer en prison, cette population est privée de moyens de subsistance. Si elle y reste, c'est très souvent pour les mêmes raisons : pauvre, étrangère, privée d'un droit de séjour par le fait de politiques migratoires et d'asile intrinsèquement racistes, excluantes et mortifères.
La boucle est-elle définitivement bouclée ? L’emprisonnement peut être l’ultime conséquence de parcours administratifs entravés dans un pays où ils espéraient trouver refuge, prolonge l’incertitude et fait craindre une expulsion. Mais il peut aussi être une étape douloureuse et paradoxale vers l’obtention d’un droit qui leur est jusqu’ici dénié : l’asile.
Pour certains, les cellules des prisons et des centres de rétention ne sont rien d’autre que les coulisses de l’ « accueil » à la française.
La situation de Shafiq A. (nom d’emprunt), demandeur d’asile afghan en France depuis 2008 incarne bien cette tension entre les ravages de la machine administrative, judiciaire et pénitentiaire, et l’espoir d’une sortie de plus d’une décennie d’incertitude et de misère. À condition qu’il accède enfin au droit d’asile.
Toujours dans l’attente d’un jugement, Shafiq A. est incarcéré depuis plus d’un an dans la prison de Fleury-Mérogis. En mars 2021, la police l’interpelle. Jeté depuis une décennie sur les routes migratoires clandestines, les seules auxquelles il a accès pour survivre, il est maintenant accusé d’être un passeur. Depuis il loge en prison et tous les quatre mois, les juges des libertés et de la détention reconduisent mécaniquement sa détention.
L’abattoir judiciaire, ça suffit !
En le privant d’un accès effectif au droit d’asile, la justice joue avec sa vie et celle de sa famille, en danger en Afghanistan, dans un pays comme la France où le ministre de l’Intérieur ment et se gargarise de protéger les Afghans et surtout les Afghanes. Les politiques migratoires françaises ne protègent pas les femmes afghanes. Priver Shafiq A. du droit d’asile, c’est porter atteinte à la vie de son épouse, qui est une femme afghane.
En août 2021, les Talibans ont pris le pouvoir en Afghanistan, accentuant les menaces pesant sur sa famille originaire de la province du Panjshir. Shafiq A. a vu seul, depuis la prison, s’écrouler ce qu’il restait de son monde en Afghanistan : décès de son père, enlèvement de son frère, hospitalisation de sa mère. Incarcéré, il a très peu de nouvelles de son épouse et de ses enfants, qui se terrent pour rester en vie. C’est l’espoir d’un jour les revoir en France qui seul le fait résister à la prison.
Tous les quatre mois, Shafiq A. se présente en audience, dans la cage des accusés détenus, sans pouvoir échanger plus que quelques mots avec son interprète et son avocate. Il n’est invité aux audiences que pour écouter.
Tous les quatre mois, un·e juge décide de maintenir Shafiq A. en prison par « craintes de concertation frauduleuse » avec de présumés co-auteurs. Il a pourtant tout dit à la police et à la justice. Il paie de sa liberté la lenteur de l’enquête.
Et tous les quatre mois, un·e juge décide de maintenir Shafiq A. en prison parce qu’il est en « situation irrégulière » et qu’il serait « mobile ». Il paie de sa liberté la profonde méconnaissance, au sein des institutions pénales, de la réalité sociale, administrative et juridique des demandeurs d’asile.
L’indifférence magistrale, ça suffit !
Car si Shafiq A. a été « mobile », c’est qu’il a le parcours sombrement classique de l’immense majorité des demandeurs d’asile qui est exclue des voies légales de migration : la route des passeurs, l’exposition à la mort, les violences policières aux frontières, les prises d’empreintes digitales. En France, la rue, les squares, l’attente. Arrivé en France en 2008, il est victime des lois puis de la présidence Sarkozy, dont il continue de payer le prix : « En France, je n’ai jamais eu ni maison ni jour ni nuit ».
Il paie de sa liberté le règlement Dublin et la maltraitance des administrations françaises. Il paie de sa liberté la soumission de la préfecture, de l’Ofpra, de la CNDA aux seules logiques de la suspicion et du rejet.
En France, il n’a connu que le rejet de ses demandes d’asile. Ses tentatives de reconstruire sa vie ailleurs (Angleterre, Suède) se soldent par des expulsions…vers la France, en 2011, puis en 2017. On lui reproche d’être en France, les polices européennes l’escortent pour le forcer à y revenir.
Shafiq A. connaît bien la France, sa police des étrangers, ses pratiques préfectorales abusives, trompeuses : « Ce qui est cruel, c’est quand on te donne un arrêté d’expulsion en même temps qu’un dossier de demande d’asile, sans te l’expliquer ». Sa demande de réexamen est étudiée alors qu’il est en détention provisoire : l’Ofpra lui impose un entretien par visioconférence, alors qu’il aurait pu bénéficier d’une permission de sortir, piétinant chaque jour un peu plus ce qu’il reste du droit d’asile. De façon très prévisible, l’Ofpra rejette à nouveau sa demande. Et une nouvelle fois, il conteste cette décision et attendant sa prochaine convocation à la Cour Nationale du Droit d’Asile.
Tous les quatre mois, un·e juge décide de maintenir Shafiq A. en prison parce qu’il n’a pas d’emploi. Or en France, sauf dérogation très rarement accordée par les préfectures, un demandeur d’asile est privé du droit de travail. Sinistre ironie : après 10 ans de vie en Europe, les premières fiches de paie que Shafiq A. a obtenues proviennent du travail pénitentiaire. Elior, multinationale française de la restauration, rendue célèbre par les Gilets Noirs, des sans-papiers en lutte pour des papiers et contre leur surexploitation, le paie entre 2 € et 3,5 € de l’heure.
Tous les quatre mois, un·e juge décide de maintenir Shafiq A. en prison parce que ses « attaches » seraient en Afghanistan. On lui reproche de ne pas être entouré d’une famille qu’il ne peut faire venir tant qu’il n’est pas reconnu réfugié !
Tous les quatre mois, un·e juge décide de maintenir Shafiq A. en prison car malgré les garanties de représentation qu’il a toujours fournies, la justice considère qu’il ne peut justifier d’adresse stable. Odieuse ironie : depuis qu’il est en France, « l’hébergement » le plus stable de Shafiq A. c’est sa cellule de prison.
Et depuis qu’il présente des garanties de représentation à même de justifier une libération, la juge lui reproche que tous les quatre mois, les mêmes personnes se portent à nouveau garantes ! Tous les coups sont permis pour justifier la norme carcérale.
Car comme bon nombre d’étrangers pauvres, il a été poussé à la faute pour survivre et compte maintenant parmi la clientèle des comparutions immédiates, des détentions provisoires et des centres de rétention : Shafiq A. est privé de liberté d’abord pour ce qu’il est et non pour ce qu’on le soupçonne d’avoir fait.
Shafiq A. a un casier judiciaire vide mais un casier administratif plein. Plein comme celui de tous les demandeurs d’asile qui n’ont trouvé en France qu’entraves, traitement policier, privation, délaissement, rejets.
Shafiq A. n’a jamais eu d’autre projet que de vivre en France. Il aspire à sortir d’une décennie d’insécurité, de pauvreté et de fuite en Europe dans laquelle les politiques migratoires françaises et européennes l’ont plongé.
Il est encore temps de réparer ces ravages ! Shafiq A. doit préparer le plus sereinement possible la défense de sa demande d’asile. Il doit participer physiquement et librement à son audience à la Cour Nationale du Droit d’Asile pour répondre aux juges. Ni visioconférence, ni menottes, ni escorte.
Shafiq A. est entouré de proches et de structures associatives qui l’accueilleront à sa sortie de prison et l’accompagneront pour qu’il obtienne ce qui lui revient : l’asile en France. Pour cela, il faut en finir avec cette police et cette justice qui prennent pour cibles les étrangers. Il faut en finir avec ces prisons qui ont pour fonctions de préparer leur expulsion ou prolonger leur errance.
Collectif de soutien à Shafiq A.
Contact pour signer : papiers.contre.prison [at] gmail.com
Premiers signataires :
Collectif La Chapelle Debout !
FASTI, Fédération des Associations de Solidarité avec Tou-te-s les Immigré-e-s
Collectif 98
Paris d’Exil
Resome, Réseau Études Supérieures et Orientation des Migrant·es et Éxilé·es
Sohil Boudjellal, avocat au barreau de Paris
Valérie Osouf, Réalisatrice
Le paria, association de lutte contre les discriminations post-coloniales
Cercle des Voisins (du CRA de Cornebarrieu)
Urgences Afghanes
Collectif Entraide pour les Afghans Exilés et leurs Familles
Association Essor
BAAM, Bureau d'Accueil et d'Accompagnement des Migrants
Chowra Makaremi, chargée de recherches CNRS
Louis Fernier, doctorant en Géographie
Louise Crovetti, Collectif Réfugiés du Vaucluse
COPAF, Collectif pour l'avenir des foyers
Laure Vermeersch, cinéaste
Fédération Etorkinekin (Association Diakite et 10 associations locales) - Pays Basque
Carlenc Valérie
Laurent LANQUAR-CASTIEL, urbaniste de progression et responsable départemental d'EELV
RESF 06
FTCR, Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives
CRLDHT, Comité pour le respect des libertés et des droits de l'Homme en Tunisie
Un Toit C'est Un Droit Rennes
Marie Laure Guislain, citoyenne et juriste activiste
Martine Roussel
Roya citoyenne
Human Rights Observers
Josette Vauche, Salam Nord Pas de Calais
Maison de l'Hospitalité de Martigues
LDH Martigues
Aude Lalande, bibliothécaire
Jean-Marc Gaillard, bénévole à la Cimade
Bernard Schmid, avocat, Paris
Collectif Ganges Solidarités
Jean-Jacques M'U, éditeur,
Sophie Leleu, éditrice,
ABC'éditions Ah Bienvenue Clandestins !
Claudine Ailhaud
Louise Bouyer
Collectif poitevin D'ailleurs Nous Sommes d'Ici
Philippe Février
Julia Chenut, travailleuse sociale
Josette Vauche, Association SALAM Nord-Pas-de-Calais
Carol Mann,Women in War
Liza Schuster, Professeure à City, University of London
Belgheis Jafari Alavi, enseignante à l’INALCO
Latifa Jafari, PHD en droit international, Université de Strasbourg
Shakiba Dawod, art-activiste d'origine afghane basée à Paris
Enfants d'Afghanistan et d'Ailleurs
Nicole Chavignot, interprète bénévole de dari à Tours
Valérie Chatelet
Sylvie Pelletier
José Espinosa
Odeyte Furois
Hélène Coulon
Catherine Charlot
ACAT Poitiers, Action des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture
Nicolas Mazard, militant pour la défense des droits fondamentaux
Danièle Lebrun, Un Toit c'est Un Droit
Laurent Givord, Un Toit c'est Un Droit
Daniel Desceliers
Michèle Dominguez, D'ailleurs Nous Sommes d'Ici 86, Poitiers
La Mie Du Pain, Des Fours Et Des Moulins
Claire Marsol, membre de RESF Nice
Louis Huet
Jeanine Fradin
Pays de Fayence Solidaire, aide aux réfugiés à Vintimille
Anne Lafran
Sophie van Dommelen
Jean Marie BERNIER, Association Min'de Rien
Les Amis des femmes de la libération
Marie-Françoise Givord
Association Azadi Liberté
Association de soutien aux Amoureux au ban public (ASABP)
Martine Déotte