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Billet de blog 17 avril 2017

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Quand le social embolise l’accueil et l’écoute du bébé et de ses parents

La Maison du Bébé, lieu d'accueil pour les bébés et leurs parents à Saint-Denis, reçoit un grand nombre de familles en exil. La précarité de leur situation et la violence de la procédure d’asile empiètent sur la possibilité d’une thérapie. Le manque de moyen interdit de combiner un travail thérapeutique, juridique, social, médical ; nécessaire face aux violences passées et présentes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’été dernier je rencontre Asheesh et Rania, qui viennent de donner naissance à leur premier fils Zouhair.[1]

Ils viennent d’un pays aux mains d’un parti unique. Elle est médecin, lui juriste. Il milite dans le parti d’opposition et reçoit depuis plusieurs mois des menaces. C’est pourtant sa femme qui subit les affres des hommes du parti. Ils l’enlèvent, la séquestrent, la droguent, la violent, commettent des sévices pendant trois jours. Puis, ils la laissent pour morte au bord d’une route après avoir touché une rançon du mari. Enfin, ils menacent le couple de diffuser la vidéo et de la tuer, s’ils ne quittent pas le pays.

Zouhair venait de se nicher dans le ventre de sa mère, lorsque celle-ci s’est fait enlever. Le doute a alors envahi les esprits. Les deux familles ont exigé l’interruption de la grossesse. Rania et son mari ont refusé, ils ont été répudiés. Menacée de mort et bannis, ils fuient. Ils perdent leurs familles, leur pays natal, leur langue, leur statut social, leurs métiers, leur réseau...

Je les reçois à la Maison du Bébé, adressés par le personnel de l’unité de psychopathologie périnatale de l’hôpital, au moment de la naissance. La Maison du Bébé est une structure qui accueille des bébés et leurs parents dès après la naissance, pour toutes questions en lien avec le bébé et la parentalité.

Zouhair a deux semaines, il ressemble à son père certes, mais il est déjà témoin, dans son corps, lorsqu’il habitait celui de sa mère, d’une histoire traumatique lourde ; ses traits sont graves et tristes, sans doute aussi atteint par l’effondrement de sa mère. La confusion des sensations entre Rania et Zouhair témoigne de la résonnance fusionnelle de tout bébé avec sa mère et ici de sa prégnance massive due au choc qu’ils ont traversé. Rania est en effet dévastée, aux prises avec la reviviscence des événements : cauchemars, insomnies, anorexie, douleurs physiques, inquiétudes massives liées au nouveau quotidien précaire et insécurisant.

Etre à l’écoute de ce que Rania a envie de dire, de ce qu’elle peut dire, délicatement, discrètement. Devenir mère la ramène à un temps où elle-même était bébé, et au lien archaïque à sa propre mère, c’est ainsi qu’elle vient se blottir sur mes genoux en fœtus, un jour où la douleur de la rupture d’avec sa mère était plus criante que jamais.

Zouhair, lui, sombre, se retire du monde. Il en va ainsi des bébés qui voient le regard de leur mère absorbé par elle-même, absent par leur mal-être. Ils ne veulent plus voir ce regard et s’en détournent. Il s’agit alors d’animer Zouhair, de l’animer du côté des pulsions, afin de le porter vers la joie, la surprise et la vie. Il s’agit aussi d’aider la mère et le père à s’identifier à ma prosodie joyeuse, pour que ce jeu perdure de retour chez eux. L’enjeu étant de tisser le lien, construire la rencontre entre le bébé, sa mère et son père, de faire circuler une parole, celle de la blessure, mais aussi celle de l’espoir, de l’avenir possible.

Pour autant, le lien demeure difficile. Les pleurs de son bébé rappellent à Rania les cris des hommes qui l’ont battue. Elle adore son bébé tout autant qu’il l’insupporte, la déborde et en même temps ne peut le lâcher, s’en séparer, même quelques instants. Elle est terrifiée qu’il meure ou bien persécutée par ses besoins et ses demandes.

Le soutien que nous proposons à la Maison du bébé apaise un peu, soutient de l’être, mais nous sommes empêchés dans le travail thérapeutique. Dans ces cas de grande précarité et de vulnérabilité extrême, tant que les besoins vitaux ne sont pas sûrs, il est difficile de travailler et de déplier les mouvements entre la mère et son bébé. En outre, nous n’avons pas d’assistante sociale dans notre structure, ce qui nous met à des places multiples et entrave la liberté de thérapie.

La question du logement, des papiers, de l’administratif plus largement, envahit nos séances. C’est ainsi que l’accueil de ce couple par la France enfonce encore un peu plus l’état de délabrement psychique de ce bébé et de sa mère. La jeune famille loge au 115, dans un « hôtel social ». Ils sont régulièrement sommés de changer d’hôtel. Les chambres qui leur sont octroyées sont le plus souvent insalubres, humidité, cafards, et rats encombrent trop souvent le lieu. Il est insupportable d’entre-habiter dans ces taudis, de ne pouvoir acheter des vêtements, des jouets, insupportable de parcourir Paris et sa banlieue pour quémander des couches et du lait.

Lorsque la famille apprend le rejet de leur demande d’asile par l’OFPRA, je les retrouve, Rania et son bébé, à nouveau murés dans le silence. 

Marie Cousein,  Psychologue clinicienne – Psychanalyste 


[1] Les prénoms sont modifiés pour des raisons de confidentialité

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