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Billet de blog 22 octobre 2015

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A propos de la médiatisation de la Maison des Réfugiés, par Nicolas Jaoul

A propos de la médiatisation de la Maison des Réfugiés. Des rédactions « régies par la loi du plus fort » ? Le 31 juillet 2015, une « Maison des réfugiés » (MDR) était créée dans le lycée désaffecté Jean Quarré du 19° arrondissement. L’objectif de cette occupation était de procurer un toit aux réfugiés - qu’ils soient économiques ou politiques - restés à la rue après l’évacuation du campement de la rue Pajol dans le quartier de La Chapelle dans le 18° arrondissement.

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A propos de la médiatisation de la Maison des Réfugiés. Des rédactions « régies par la loi du plus fort » ? 

Le 31 juillet 2015, une « Maison des réfugiés » (MDR) était créée dans le lycée désaffecté Jean Quarré du 19° arrondissement. L’objectif de cette occupation était de procurer un toit aux réfugiés - qu’ils soient économiques ou politiques - restés à la rue après l’évacuation du campement de la rue Pajol dans le quartier de La Chapelle dans le 18° arrondissement. Ce lieu n’a pas été ouvert par des personnes familières de ce type d’opération mais par un groupe hétérogène de réfugiés d’une part, principalement soudanais et afghans et de « soutiens » d’autre part, composés de riverains, citoyens, militants de diverses associations et organisations politiques. Ces personnes solidaires étaient révoltées par les mauvais traitements et humiliations infligés par les autorités lorsque les réfugiés étaient à la rue (violences policières sur ordre de la préfecture, refus d’installer des toilettes sèches ainsi que fermetures des squares et toilettes publiques sur ordre de la mairie de Paris, etc.). Elles se sont donc décidées de permettre aux réfugiés d’accéder au moins à un toit et des sanitaires. En juin et juillet, ce regroupement improbable, qui s‘est donné le nom de la Chapelle en Lutte, a fonctionné tant bien que mal en dépit de son hétérogénéité, des difficultés liées à la rue et de ses tensions internes. Malgré tout, une unité populaire a pu émerger autour de – et surtout, avec les réfugiés en tentant de substituer un accueil populaire à une politique officielle irresponsable, indigne et cruelle.

Alors qu’ils étaient moins d’une centaine au moment de l’occupation fin juillet, on compterait aujourd’hui plus de 700 habitants dans ce lieu, qui a continué à accueillir les nouveaux arrivants malgré une évidente saturation de l’espace. Nombre d’entre eux reviennent de Calais, où les perspectives de passage sont bouchées et les conditions sanitaires désastreuses. En dépit des efforts conjugués des réfugiés et des bénévoles pour mettre de l’organisation et éviter le pire, les tensions de ce lieu sont réelles et bien compréhensibles, ne serait-ce qu’en raison du nombre insuffisant de cuisines et de sanitaires. Il n’en reste pas moins qu’en ce début d’automne, cette solution reste préférable pour les premiers intéressés par rapport à la rue ou aux bidonvilles, auxquels l’absence de solution gouvernementale les condamne.

Tout en stigmatisant dans le journal Le Monde ce lieu comme « un grand n’importe quoi », le maire PS du 19° arrondissement, François Dagnaud, confiait sa crainte, d’ailleurs partagée par de nombreuses personnes sur place, « d’avoir un mort sur la conscience » (Le Monde, 22 septembre 2015). Malheureusement, en dépit de ce sursaut de la conscience, trois semaines plus tard, force est de constater que les autorités municipales n’ont rien fait pour améliorer la situation. En dépit de vagues promesses relayées telles quelles par la presse, ni solutions alternatives, ni améliorations sur place n’ont été apportées… Bien au contraire, les réfugiés ont continué d’y affluer, de même que ceux d'entre eux qui, accueillis dans des centres d’hébergement d’urgence suite aux précédentes « évacuations », ont continué à fréquenter ce lieu la journée. C’est là en effet qu’ils trouvent la solidarité matérielle, humaine, les soins médicaux, les cours de français et surtout l’aide juridique qui font défaut dans l’hébergement d’urgence offert par l’état.

Alors que début Août, la Mairie de Paris, propriétaire des lieux, affirmait qu’elle ne demanderait pas l’expulsion, elle a fini par prendre prétexte de la dangerosité du lieu pour saisir le Tribunal Administratif de Paris. Celui-ci a ordonné aux résidents de quitter le bâtiment avant le 25 octobre, date à laquelle les forces de l’ordre pourront alors intervenir.

Il est évident que depuis le début de cette crise parisienne des réfugiés, commencée le 2 juin avec l’expulsion du campement du métro La Chapelle, la Mairie de Paris a tenté de donner une image plus compréhensive –bien qu’elle ait été contredite par l’indifférence et l’inaction- tandis que la préfecture a assumé un rôle beaucoup plus répressif. Ces deux autorités ont également été animées par un souci constant : discréditer la solidarité populaire. La prise en main d’une solidarité refusée par l’Etat a manifestement été source d’embarras, à juste titre.

Je propose d'analyser ici la façon dont la « maison des réfugiés » a été traitée dans deux quotidiens nationaux. En effet, cette médiatisation soulève certaines préoccupation quant à l’indépendance vis-à-vis du pouvoir socialiste de ces médias influents et réputés "sérieux". La question qui se pose est la suivante: ces journaux entendent-ils aujourd’hui être encore considérés comme un contre-pouvoir, ou bien assument-ils le rôle de simples relais des services de communication des différentes instances du pouvoir ? Au vu de la manière dont leurs journalistes reprennent systématiquement la terminologie du pouvoir et le contenu de ses communiqués de presse, sans jamais lui porter la contradiction ni se mettre à l’écoute de ceux qui critiquent sa gestion de la crise des migrants, les inquiétudes quant au caractère démocratique de cette presse sont légitimes.

Dans un article de Libération daté du 16 septembre dans lequel la Mairie de Paris évoquait déjà les dangers de la maison des réfugiés (le lycée désaffecté Jean Quarré), on pouvait lire que « La ville de Paris, dans l’immédiat, donne la priorité aux migrants d’Austerlitz et de la marie du XVIII° (…) A Jean-Quarré, ce travail pourrait prendre un peu plus de temps. » (Libération, 16 septembre). Très insistant sur les problèmes et les tensions de Jean Quarré, l’article de Libération n’a pourtant pas tiqué sur cette déclaration officielle d’abandon par rapport à ceux dont il disait se préoccuper. Bien que des logements vides existent en grand nombre à Paris et en région parisienne, le rappeler n’effleure même pas l’esprit des deux journalistes de Libération, dont le champ d’investigation se confond de manière troublante avec le domaine balisé par le discours des autorités. Dans ce scénario très officiel, toute autre parole citoyenne non adoubée par les « plans com » des autorités occupe au mieux une place de figuration, mais malheuresement toujours de manière illégitime et fautive.

A six jours d’intervalle, les deux articles cités de Libération et du Monde semblent bien avoir pour objectif de jeter l’opprobre sur un lieu en autogestion. Il ne s’agit pas ici de nier une réalité extrêmement préoccupante et indigne de la vie à Jean Quarré. Mais plutôt de s’étonner que ces articles aient omis de souligner les responsabilités des autorités dans le pourrissement de cette situation qui n’existe que parce que, face à la détresse de populations à la rue, la solidarité populaire est venue pallier à l’abandon de l’état.

Que signifie le fait de stigmatiser ce lieu sans jamais mettre en cause la communication de la préfecture de police de Paris, et de la Mairie de Paris ? Pourquoi ne pas relever le jeu habile des divergences et des complémentarités entre les messages qu’elles délivrent? Pourquoi jamais un article sur ces divergences de position entre Anne Hidalgo, qui tente de donner une image d’humanité et la préfecture, qui n’a cessé quant à elle de réaffirmer l’approche répressive du gouvernement dont le seul horizon en matière d’accueil est de « ne pas faire d’appel d’air ». Cependant, depuis le début du mois de septembre et la sensibilisation de l’opinion par la photo de l’enfant syrien mort (que la presse française n’a dans un premier temps pas souhaité publier, pour des raisons politiques qu’il faudrait creuser et qui ne se résument pas forcément à la « déontologie »), il est devenu plus difficile de justifier cette approche répressive face à l’opinion. En stigmatisant des lieux comme Jean Quarré, les rédactions tenteraient-elles d’inverser la tendance en contrant la sympathie qui s'est exprimée ? Pour discréditer la solidarité populaire, il suffit, comme l’a très bien fait un reportage d’Envoyé Spécial (France 2, 10 septembre) intitulé « Réfugiés : bienvenue ? », de la montrer sous un angle anxiogène et de l’opposer à la « bonne solidarité ». En l’occurrence, dans ce reportage cette « bonne solidarité » est prise en charge par des associations caritatives professionnelles; elle prend une forme pavillonnaire, provinciale, retraitée et… chrétienne [1]. Quant aux réfugiés eux-mêmes, il est toujours possible de les rendre moins sympathiques voire potentiellement dangereux en insistant sur des incidents violents, ainsi que sur les maladies qui se développent dans les campements. En s’en prenant aux personnes solidaires, qui gèrent la misère liée à cet abandon, plutôt qu’aux dirigeants qui en sont les vrais responsables, les médias qui acceptent de jouer ce jeu du pouvoir contribuent donc à éviter que cette solidarité populaire ne continue à faire obstacle à cette politique officielle de la maltraitance et du rejet.

En outre, ces deux articles soulèvent la question de la rigueur et de la déontologie journalistiques. Ainsi, nombre de bénévoles du lycée ot constaté que des allégations qu’eux-mêmes considéraient comme des rumeurs dont la véracité reste toujours impossible à établir, s’étaient retrouvées imprimées noir sur blanc dans ces articles, sans souci de vérification. Ainsi, dans Libération on peut s’étonner de voir le sensationnalisme l’emporter. Cet article s’est contenté de tisser un propos à charge contre la  Maison des Réfugiés à partir de confidences glanées sur le lieu auprès de témoins anonymes. Dans le passage suivant, comment ne pas s’étonner que pour ces journalistes, de simples allégations deviennent « vérifiées » dés lors qu’une voix officielle confirme avoir entendu la dite rumeur ?

« Elles ont la trouille de sortir la nuit, elles se font insulter », assure une militante. D’autres parlent de la mise en place d’un réseau de prostitution. La mairie de Paris confirme avoir reçu « des échos de ce type », et déplore (…) « l’arrivée sur place de réseaux mafieux, de passeurs et de proxénètes. » » (Libération, 16 septembre 2015, « A Paris, un refuge régi par la loi du plus fort »).

De manière à servir la thèse du journaliste, les propos des personnes interrogées sont sélectionnés, reformulés de manière plus ou moins fidèle aux paroles réellement dites. En ce qui concerne l’article du Monde, Marin Marx-Gandebeuf, un bénévole qui a passé un long moment à faire visiter le lieu au journaliste, a constaté que de ses propos, n’avaient été retenus que ce qui pouvait discréditer le collectif à l’origine de cette occupation et contribuer à sa division. Pourtant, le journaliste s’était présenté à lui au téléphone comme animé par la volonté de montrer les aspects positifs du lieu, soi-disant pour contrebalancer l’image négative donnée par l’article de Libération. Or, s’il le fait en partie, c’est finalement pour mettre les améliorations au crédit d’une soi-disant nouvelle attitude positive des autorités… Alors que des volontaires ont déployé une énergie considérable à améliorer la situation sur place, selon le journaliste, les progrès dans la gestion du lieu ne tiennent cependant qu’à une seule chose : l’intervention des pouvoirs publics... soit dit au passage, qu’il est d'ailleurs le seul à avoir constaté. La logique de l'argumentation ne manque d'ailleurs pas de perversité. Initialement refusée par le collectif, cette intervention aurait enfin été rendue possible par sa dislocation. Ainsi, il voit dans le fait qu’  « Une benne à ordure a par exemple été installée par les services municipaux » , un « basculement » (sic.) significatif de l’attitude municipale à l’égard du lieu. Sérieusement?

L’explication de ce qui aurait rendu possible ce "basculement", fournie dans le passage qui suit, est tout aussi caricaturale, en plus d'être biaisée à l’encontre de la mobilisation qui a abouti à l’occupation.

« La raison principale de ce basculement, on la trouve du côté du collectif La Chapelle en lutte. Ce groupe militant, qui avait refusé un recensement officiel début août, a récemment périclité. « Une minorité violente très politisée instrumentalisait le mouvement », déplore Marin Marc (sic)-Gandebeuf, un étudiant de 19 ans en musicologie encore très actif. « On ne supportait plus d’être pris pour des idiots, signale Mustafa, selon lequel il existe deux types de soutien ici. Le bon, qui nous aide à nous prendre en main et nous respecte. Et le mauvais, qui fait de la politique et nous ligue les uns contre les autres. » (Le Monde, 22 Septembre 2015, « Au Lycée Jean Quarré le dialogue reprend entre les réfugiés et la Mairie »)[2]

Par cette habile utilisation de témoignages, la rhétorique du Monde suit pas à pas la logique du gouvernement, qui me semble pouvoir se résumer ainsi. Pour d’évidentes raisons d’économie, celui-ci s'est bien arrangé du fait que des bénévoles assurent la survie de candidats à la demande d’asile, qu’il a laissé lui-même à la rue dans le dénuement total, enfreignant ainsi ses obligations internationales. Mais tout en se déchargeant sur la solidarité populaire, les autorités n’ont eu de cesse de stigmatiser la politisation de cette solidarité. Celle-ci est pourtant d’autant plus légitime et naturelle que cette maltraitance n’est rien d’autre que le mode opératoire d’une politique du non accueil.

Tout en s’abritant derrière le discours d’un réfugié afghan excédé par des querelles internes entre « soutiens » lors des assemblées générales, le journaliste valide donc l’idée que lorsque les citoyens font de la charité pour se substituer à l’état providence, cela est maladroit mais reste à la limite honorable ; lorsqu’ils en font une question politique sans s’en remettre aux voies autorisées de la représentation, c’est en revanche condamnable!

Mais à trop se contenter de suivre le discours officiel, on prend le risque d'être à sa traîne. De manière ironique, le jour même où l’article du Monde paraissait, le 21 septembre, pour souligner la volonté de dialogue de la Marie de Paris, cette dernière saisissait quant à elle le juge des référés pour demander l’expulsion.

Dans ce jugement, qui ordonne une expulsion à la veille de la trêve hivernale, la ville de Paris offre la garantie que « les personnes éligibles à la demande d’asile, qui constituent la majeure partie des occupants, bénéficieront d’un hébergement d’une durée d’un mois, pour leur permettre de déposer une demande d’asile ».

Le 12 octobre, après une période d’incertitude, la mairie de Paris a fini par annoncer que tous les habitants seraient relogés et qu’il n’y aurait pas d’intervention policière, intervention qui au vu des termes initiaux du jugement excluant une bonne moitié des habitants (en majorité non éligibles en vertu du règlement de Dublin) pouvait faire craindre que l’expulsion ne tourne au désastre. Pour comprendre ce risque, il suffit de rappeler l’effet psychologique désastreux qu’ont eues les récentes expulsions de soudanais, qui n’ont rien fait pour améliorer la confiance entre les réfugiés et le gouvernement français.

Mais cela, vous ne l’apprendrez ni dans Libération ni dans le Monde.

La presse, un quatrième pouvoir disait-on ? Pour un lectorat critique des médias, la question pourra sembler naïve. Il est vrai que sous le gouvernement actuel, des titres comme Libération et Le Monde semblent bien faire partie du dispositif du pouvoir. Si ce n'était pas le cas, il leur reviendrait de donner un écho à la vigilance populaire plutôt que de la stigmatiser d'emblée comme je l'ai montré. Certes, il ne s’agit pas de mettre tous les journalistes dans le même sac : certains font leur travail mieux que d’autres. Au vu de la dégradation des conditions de travail dans les rédactions et de la qualité de la formation intellectuelle dans les écoles de journalisme, de tels efforts méritent d'être encouragés. Mais de la part des rédactions de ces deux journaux, chez qui le reportage devient une denrée rare ou un luxe, publier des reportages comme ceux-ci relève bien d’une politique éditoriale qui sait parfaitement comment, sous couvert de pluralisme, se rendre utile aux dirigeants actuels. Y compris lorsque leur politique constitue une violation des droits et de la dignité humaines.


[1] http://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/envoye-special/video-refugies-bienvenue_1078951.html

[2] http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/09/22/au-lycee-jean-quarre-le-dialogue-reprend-entre-les-refugies-et-la-mairie_4767364_3224.html#h7b5HdH62JqXhyla.99

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