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Billet de blog 22 décembre 2016

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Derrière le vernis de «Paris ville refuge», par Hind Meddeb

Entre abandons à la rue de mineurs, violences policières et déclarations auto-satisfaites des responsables: c'est toujours la même réalité sordide du non accueil sur fonds de racisme d'Etat qui se cache derrière les fausses promesses d'un camp d'accueil des migrants de la Porte de la Chapelle. Témoignages filmés à l'appui.

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Un centre humanitaire pour organiser un premier accueil des demandeurs d’asile a été inauguré début novembre dans le nord de Paris. Les grands oubliés de ce dispositif, ce sont d'abord les mineurs isolés. Ils ont entre 14 et 17 ans et la grande majorité d’entre eux sont refoulés du DEMIE (dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers qui dépend du service de protection de l’enfance et de la Mairie de Paris et dont le bureau est géré par la Croix Rouge). Ce matin là, porte de la Chapelle, Agathe Nadimi, bénévole engagée pour la reconnaissance du droit des mineurs isolés à Paris, fait la connaissance de Jamal et de Mostafa. Ils ont 16 ans et sont originaires du Darfour. Ils font partie des 470 autres mineurs isolés à s’être présentés devant le centre humanitaire depuis son ouverture. Leur présence devant le centre témoigne d’un dysfonctionnement à grande échelle. Les agents Emmaüs les raccompagnent vers le DEMIE (dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers) jusqu’à qu’ils découvrent que ce bureau est une machine à produire des lettres types qui refusent de reconnaître leur minorité. Rejetés du dispositif pour les mineurs, rejetés du centre humanitaire pour adultes, ces adolescents qui arrivent de pays en guerre n’ont plus qu’à retourner à la rue. Et s’ils décident de faire une demande de recours devant le juge pour enfants, le temps de la procédure (entre 3 et 6 mois), rien n’est prévu pour les mettre à l’abri.

Mineurs étrangers isolés, abandonnés par l’État et la Mairie de Paris (05"03") © Hind Medded et Thim Naccache

Les associations présentes sur le terrain ont fait remonter ces informations à Dominique Versini responsable de ce dossier à la Mairie de Paris, en vain. Lorsque la question a été posée à Bruno Morel, directeur général d’Emmaüs Solidarité, invité de France Culture à l’occasion de la Journée internationale des Migrants dimanche dernier, il s’est félicité d’avoir réorientés 500 mineurs vers le DEMIE, soit précisément vers le dispositif défaillant qui conduit la majorité de ces adolescents à se présenter en désespoir de cause devant le centre dont il a la responsabilité. Une situation digne d’une nouvelle de Kafka et que les responsables au sein des institutions continuent de nier malgré les nombreuses alertes lancées par les associations. Les réfugiés les plus vulnérables sont les plus maltraités par nos institutions. Depuis le mois de mars dernier, un nouveau décret permet désormais de faire la différence entre mineurs isolés français et étrangers, légalisant ainsi toutes les formes de discriminations mises en place par un racisme d’Etat qu'il faut nommer pour ce qu'il est.

Le dispositif de « premier accueil » ne semble pas mieux fonctionner pour les adultes. Un mois après l’ouverture du centre humanitaire, les exilés font la queue des nuits entières dans l’espoir d’une hypothétique prise en charge. Le matin, après avoir fait entrer entre une vingtaine et une quarantaine de personnes, ceux qui restent sur le carreau, sont dispersés à coup de matraque et de gaz lacrymo par les CRS. Nous avions vu les mêmes scènes terribles de réfugiés réduits à dormir sur des cartons à même le sol devant les bureaux de France Terre d’Asile, boulevard de la Villette à Paris. Et au cœur de ce dispositif, de Calais à Paris, on retrouve inlassablement, la figure du CRS ou du gendarme : partout en France, nous assistons à la gestion policière d’une situation de détresse humaine. La France continue volontairement de sous-dimensionner les dispositifs d’accueil, créant une situation d’urgence permanente : les réfugiés sont laissés à la rue mais on leur reproche de former des campements sauvages, où qu’ils aillent, ils sont chassés par la police. Leur seule présence sur le territoire est un crime. Ce système a été pensé pour humilier les uns et manipuler les autres.

Devant le centre “humanitaire” de Paris-Nord (04'33") © Hind Medded et Thim Naccache

Cette situation de crise permanente entretenue par le gouvernement produit des scènes de foules compactes qu’il faut mettre à l’abri, de démantèlements de campements sauvages, de saturation des administrations, et toutes ces images relayées par les médias ont pour conséquence de conforter l’opinion publique dans l’idée fausse que nous serions « envahis », que nous ne pourrions pas faire face à ce « flux de réfugiés », et qu’il va falloir défendre nos frontières. Cette politique crée des situations d’urgence humanitaire et produit des images trompeuses qui alimentent le mythe d’une « crise migratoire ».

Illustration 3
© Rose Lecat

Pourtant, dans les faits, la France n’accueille que 6% des demandeurs d’asile en Europe, ce qui est très peu par rapport à sa population globale, loin derrière l’Allemagne, l’Autriche ou la Suède, sans compter les pays par lesquels les réfugiés arrivent, l’Italie, la Grèce ou la Bulgarie. En 2015, ils étaient soixante dix mille à demander l’asile en France, là où l’Allemagne a du instruire plus d’un million six cent mille dossiers. Malgré le nombre extrêmement modeste de migrants qui demandent l’asile en France, la politique mise en place continue d’être volontairement sous-dimensionnée avec la complicité de ceux qui dirigent les institutions qui gèrent l’asile et qui font preuve d’une immense hypocrisie. Pascal Brice, président de l’OFPRA, continue de déclarer publiquement qu’il n’obéit pas à des cotas imposés par le Ministère de l’Intérieur et que l’OFPRA donne l’asile à tous ceux qui remplissent les « critères d’évaluation ». Mais alors, comment se fait-il qu’en 2015, l’Allemagne a donné l’asile à plus d’un million de migrants quand en France sur 70 000 dossiers, seules 25 000 personnes ont obtenu le statut de réfugié ?

C’est l’histoire d’un récit fallacieux que ni les institutions humanitaires, ni les médias n’osent contrer. Anne Hidalgo déclarait il y a quelques mois que Paris avait pour vocation d’être « une ville refuge ». Partout où elle se présente, la Maire de Paris soigne son image d’humaniste et son talent d’illusionniste lui attire tous les honneurs. Congratulée par le Pape, invitée par le journal Le Monde aux côtés de la Maire de Lampedusa à participer à un débat intitulé « Accueil des réfugiés. Des Maires s’engagent. », Anne Hidalgo est reconnue de toutes part comme une Maire exemplaire. En prenant l’initiative de créer un centre humanitaire pour le premier accueil des demandeurs d’asile, elle prétendait se démarquer de la politique du gouvernement face à un Etat qui refuse de prendre ses responsabilités. Sur le terrain, la réalité est toute autre. De la fin du mois de juillet jusqu’à la fin du mois d’octobre, Anne Hidalgo a participé à une politique de harcèlement policier d’une violence inouïe contre les réfugiés.

En dehors des grandes opérations de « mise à l’abri » où tous les grands médias étaient conviés, tous les deux jours, des cars de CRS bouclaient le quartier de Stalingrad pour procéder à l’arrestation des réfugiés qui n’avaient pas encore eu le temps d’entamer leurs démarches de demandeurs d’asile et détruire les campements de rue sans proposer de solution alternative. Les policiers commençaient par chasser les migrants d’un trottoir à l’autre suivis par les agents de la Propreté de Paris, chargés de jeter dans d’immenses bennes à ordure les matelas, les couvertures et les tentes collectées par les riverains et les associations, laissant des centaines de personnes à la rue, sans aucune ressource ni possibilité de repli, niant ainsi leur existence et leur humanité, leur demandant implicitement de disparaître du paysage.

Partout où des campements avaient été démantelés, sous le métro aérien entre Jaurès et La Chapelle, avenue de Flandres et sur les bords du canal, les riverains ont vu d’immenses grillages s’élever, sans doute pour signifier à ceux qui en doutaient encore, à quel point Paris est une ville refuge.

Illustration 4
© Rose Lecat

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