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Billet de blog 31 octobre 2017

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Golup, chapitre 2 : Le Golup Joyeux, par Seven

Chaque semaine depuis six mois, Seven, peintre dessinateur, se rend au centre d'Ivry-sur-seine accueillant les familles demandeuses d'asiles pour un atelier de dessin avec un groupe d'enfants. Ensemble, il dessinent leurs histoires. Deuxième chapitre d'un récit en six parties.

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Illustration 1
© Seven

Les enfants sont les graines d’espoir des populations en exil, les enfants ont en cela de magique qu'ils apprennent à une vitesse fulgurante les langues des pays traversés. Ils portent en eux la créativité interculturelle qui va s’opérer au sein de la famille ou du groupe dans lequel ils sont bien souvent les leaders. Il ne faut que trois générations pour évacuer les traumatismes liés à l’exil dans une famille. L'enfant est donc le point de résilience de la reconstruction psychologique et physiologique de la famille ou du groupe. Celle qui lui a fait quitter ses amis, sa famille morte. Dans cette situation d’altérité, il faut replacer au centre l'enfant qui est le témoin permanent du traumatisme du groupe. Il en absorbe une partie et, par des jeux d'enfants, arrive à s'en décharger bien plus aisément qu'un adulte bien que paradoxalement ce soit de ce dernier que dépende la survie de la famille ou du groupe. Je pense que c'est dans cet état psychologique que se trouvent la plupart des gens que je rencontre dans mes ateliers au centre de la chapelle. Je l'ai compris au fur et à mesure des jours. Cette déviance du Golup est due à sa situation d’altérité et aux institutions qui ne le traitent pas équitablement. Une autre cause qui me semble remarquable est l’exotisme de la France en comparaison de l'empirisme social et familial de la personne en exil et ses conséquences humanitaire et économiques. Si l'on écoutait les extrémistes de droite, les pneumatiques sur lesquels ils débarquent seraient une peste, comme celle de 1348 ramenée des croisades et qui décima un tiers des habitants. Ces enfants seraient une peste noire. Je n'y crois pas et personne ne peut raisonnablement croire que la survie de l’Europe passerait par leur ostracisassion.

Illustration 2
© Seven

Je ne suis pas un vrai bénévole et je ne suis affilié à aucune association, désirant conserver mon intégrité et ma liberté intellectuelle. Le bénévolat est une activité polymorphe qui nécessite des compétences variées, de la simple main tendue lors d'une maraude à l’engagement pour sauver des vies sur un bateau, des ateliers de dessin à des cours de français, des activités sportives, un hébergement, et bien d'autres formes encore. La tâche que je me suis fixée n'est soumise à aucune étiquette autre que celle d'artiste engagé. Ce seul fait réorganise l'ensemble de mes rapports avec eux qui voient en moi une passerelle, un tuteur de résilience vers une esthétique nouvelle. Il y a de plus en plus de Golups à ma connaissance qui se préoccupent de cette souffrance. C'est peut-être que nous sommes un peu tous trop dans cette souffrance pour ne pas nous soucier de celle que l'on côtoie tous les jours dans et au sein de nos complexes réseaux familiaux entre Europe et Golup ; ceux-là même restés au pays et qui nous ressemblent comme deux gouttes d'eau. C'est de Golup dont il est question, « le Golup joyeux » : vestige de l’esclavage « présence insultante et blessante » qui rappelle les « crimes de l’esclavage » c’est un pas de plus vers la restauration de la dignité des  Golups. Trois siècles, c’est le temps il aura fallu pour que certains comprennent qu’il faut tourner définitivement la page. Par exemple, la maire des républicains du Ve arrondissement Florence Berthout pour qui « l’esclavage fut une abomination. »

Je n'ai que peu de rapports avec ma famille originaire de Golup, Je ne connais pas mon père dont je n'ai d'ailleurs aucun souvenir. Ma mère est loin de tout ce monde, ayant perdu son père et sa mère avant ses 17 ans. Le voyage pour la France chez son frère à la Courneuve puis Clichy la garenne et l’hôpital Beaujon où je suis né, à une dizaine de minutes du centre humanitaire de la porte de la chapelle. Si, et seulement si, les situations que rencontrent les Golups de la diaspora française n'étaient pas entachées d'un eurocentrisme exacerbé, nous pourrions faire beaucoup plus pour les nôtres ici.

25 à 35 % d'entre eux souffriraient de stress post-traumatiques forts, et leur prise en charge par l'État où une quelconque association est inexistante. Je n'ai jamais vu dans les camps boulevard la chapelle ou ici au centre humanitaire un seul de ces psychologues spécialistes en trauma de guerre. Des invisibles, des non humains c'est la condition des Golups en France, étrange plus qu'étranger. C'est une nouvelle fois avec les enfants que je me suis rendu compte de l’exactitude des mots de Pierre Rabhi : il n’y a pas d'étrangers, il n'y a que des semblables qui parlent une autre langue. Ceux rencontrés au centre d'Ivry-sur-seine sont dans l’ensemble polyglottes, et ne s'observent que par l'aspect du semblable. Il n'y a pas d'étrangers entre eux et les langues se mélangent sans entrave.

C'est cette créativité interculturelle que j'observe à chacun de mes ateliers avec les enfants d'exilés. Eux ne le sont déjà presque plus. Même si Dublin IV semble vouloir stopper cette intégration, je le rappelle, en fixant la prise d’empreintes à partir de six ans, ce qui signifierait le rapatriement d'enfants vers l’Italie, la Turquie et la Grèce. Mais nous n’en sommes pas encore là et il reste encore de l'espoir, le dessin, leurs dessins, sont pleins d'espoir. Ceux des adultes un peu moins. Ils sont remplis de nostalgie et de scènes de torture, celles vécues en Libye en grande partie et dans leur pays d'origine. Le dessin est souvent l'une des premières fois où ils se saisissent d'un crayon, l'humanité au sens large du terme, réécrire, exister à travers un trait, le dessin comme langue universelle, premier outil pour définir avec l'autre et pourquoi pas l'administration.

Face à leurs états de vulnérabilité, les demandeurs d'asiles ont besoin de soutien psychologique qui leur permette de dessiner les contours de leurs traumas pesant sur leurs psychismes. L’exilé nous livre le message de sa traversée, son odyssée accomplie pour pouvoir jouir de ce droit fondamental, la liberté intellectuelle. Le centre de la chapelle et celui d'Ivry-sur-seine sont pour moi des laboratoires où j'ai testé durant huit mois différentes approches. Nous avons façonné ensemble quelque chose de nouveau, en nous synchronisant, comme Picasso qui superposait son trait sur ceux des masques Golups et étrusques, ou Magritte avec le surréalisme. Il y a dans leurs dessins ce même primitivisme riche en sens et en symbolique si on tient compte de la valeur de leurs récits. Mais n'oublions pas l'un des aspects essentiels des ateliers de dessin : la récréation qu'elle procure à toute personne qui la pratique. Le simple fait d’apposer de la couleur sur une feuille permet d'évacuer le  stress et de sortir le temps d'une séance, d'un monde de procédures administratives à charge. Le simple fait d’apposer de la couleur sur une feuille permet d'évacuer du stress et de sortir le temps d'une séance, d'un monde avec des procédures administratives à charge.

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