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La suspicion érigée en principe d’instruction
Le dernier numéro de la revue Causes communes, publiée par La Cimade, consacre son dossier aux familles décomposées. L'édito de Jean Claude Mas, secrétaire général de La Cimade.
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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.
Le dernier numéro de la revue Causes communes, publiée par La Cimade, consacre son dossier aux familles décomposées. L'édito de Jean Claude Mas, secrétaire général de La Cimade.
Au moment où se boucle ce nouveau numéro de Causes communes, avec pour dossier le problème douloureux des familles décomposées, Fanta, une fillette ivoirienne de trois ans et demi, vient de passer, pour ne pas avoir les « bons papiers », quatre jours sans ses parents dans la zone d’attente de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. C’est là que la police aux frontières enferme les personnes, qu’elle estime être entrées illégalement sur le territoire français, pour les refouler quelques jours après. Pendant le voyage Abidjan-Paris, Fanta était accompagnée de son père qui vit en situation régulière en France. Le père est allé la chercher car il craignait une menace imminente d’excision pour sa fille restée vivre chez sa grand-mère. Sachant que l’obtention des « bons papiers » aurait duré des années dans le meilleur des cas, le père a fait le choix de l’urgence pour sa fille, au prix de se mettre hors la loi. Cette histoire, une parmi d’autres, est symptomatique des risques que peuvent être amenées à prendre des personnes françaises ou étrangères quand elles sont confrontées aux difficultés extrêmes de la recomposition sur le territoire français de leurs familles séparées par des frontières. Durcissement et multiplication des conditions matérielles à réunir, contestation de la véracité des documents produits, intrusion parfois humiliante dans la vie des personnes, précarisation des titres de séjour en bout de chaîne, la panoplie des moyens utilisés depuis plusieurs dizaines d’années pour faire obstacle à ces recompositions impressionne. Cette réalité a un nom, la suspicion généralisée muée en principe d’instruction, tant elle apparaît systémique, tant les exemples et les témoignages foisonnent. Mariages mixtes, regroupement ou rapprochement familial, filiation…, toutes les situations semblent a priori suspectes pour les préfectures et les consulats. Démontrez-moi, en quelque sorte, que j’ai tort de vous considérer comme un fraudeur ou une fraudeuse. Il ne s’agit pas de nier la fraude. Elle existe, mais quand elle devient une obsession administrative, le prisme déformant avec lequel on regarde toutes les situations, le droit fondamental de vivre en famille, consacré par plusieurs conventions et textes internationaux signés par la France, devient alors un droit aléatoire, objet de toutes les subjectivités. Et le projet de loi sur le droit des étrangers en France qui doit être prochainement débattu en première lecture à l’Assemblée nationale n’augure rien de bon. Il s’inscrit dans la droite ligne des politiques menées jusqu’à maintenant, inflexible quand à l’appréciation des situations et la sécurisation de titres de séjour en raison de liens personnels et familiaux. Les familles ne sont pas au bout de leur peine !
Jean Claude Mas, secrétaire général de La Cimade
Juillet 2015 - n°85 - Familles décomposées
Demandez à Idriss, originaire de Guinée, ou bien à Hariette de Somalie ou encore à Tarik d’Afghanistan : tous vous racontent ici le parcours d’obstacles, épuisant, démoralisant, parfois ubuesque, qu’ils ont dû affronter pour faire venir en France un conjoint ou des enfants. Certaines séparations sont très longues et le regroupement de la famille est parfois rendu impossible par les tracasseries administratives. Orchestrées par les consulats et les préfectures, elles s’enchaînent pour décomposer les familles. Aux Amoureux au ban public, des couples comme Jean-Yves et Virginie qui doivent subir le voyeurisme de pénibles enquêtes policières pour prouver leur bonne foi ne sont pas rares. Ajoutons à ce tableau le témoignage d’un professeur d’histoire-géographie d’un lycée parisien sur les angoisses de ses élèves dont les parents sont des sans-papiers. Et ce dossier apparaît dans tout son réalisme.
Et pourtant, le défenseur des droits Jacques Toubon rappelle ici même que la place d’un enfant n’est pas dans un centre de rétention. Et pourtant, les étrangers doivent pouvoir vivre en famille, comme les Français. Mais ce droit est de plus en plus écorné, que ce soit pour les mariages mixtes, le regroupement familial ou encore la filiation. La suspicion règne et la juriste Danièle Lochak explique pourquoi cette immigration familiale est ainsi peu à peu devenue une «immigration subie».
Un autre traitement de l’actualité des migrations, voici ce que tente de proposer chaque trimestre l’équipe de Causes communes. Chaque numéro mêle ainsi analyses, récits, témoignages et rencontres pour apporter un autre regard sur les migrations.
En ouvrant des pistes de réflexion tout en relayant les actions menées pour défendre les droits des migrants, Causes communes cherche à permettre à tous de s’approprier les termes du débat autour des politiques migratoires. S’informer pour refuser les idées reçues, comprendre pour mieux agir.
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