Activiste féministe, militante au côté du Front de gauche, écrivaine… itinéraire de Fatima Benomar, une femme en lutte.
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A regarder Fatima Benomar, on sent combien l’équilibre humain est fragile, tiraillé qu’il est entre la simple joie d’exister et la nécessité de lutter. Alors qu’elle passe ses journées à dévorer la France littéraire et cinématographique au Centre culturel français de Rabat, son père, professeur de philosophie, finit par lui dire : « Ma fille, tu ne seras pas heureuse au Maroc. Tu es féministe, artiste, progressiste. Pars t’installer en France. » Même pas 18 ans et Fatima s’envole, en ce mois de septembre 2001, pour un pays ébranlé par le double attentat new-yorkais. « J’étais athée, se remémore la trentenaire, je me préparais à l’échange, à montrer combien j’aimais ce pays et… » Et la seule réponse fut ce « choc des civilisations » envoyé à tous ceux qui portaient barbe ou boucles brunes. Comme tant d’autres, alors qu’elle espère l’émancipation, on lui renvoie le communautarisme. « À ce moment, je me suis retrouvée à défendre des coutumes auxquelles je n’adhérais même pas ! » Une déception qui devient schizophrénie « quand j’ai compris que je n’étais pas si bien intégrée que cela et très mal à l’aise avec ma communauté ».
Toutes ces interrogations prennent sens cinq années plus tard, quand Fatima Benomar les politise. Etudiante en cinéma à Paris VII, elle se syndique à l’Unef et participe à la « bataille du CPE ». C’est là qu’elle est repérée par Bruno Julliard. L’actuel conseiller de Paris lui confie alors les questions de « sexisme dans les Bureaux des Étudiants et celles des filières genrées ». Une intellectualisation de la lutte qui l’amène à cofonder, en 2009, le mouvement Oser le féminisme. « C’est très mystérieux la prise de conscience, confirme Fatima Benomar. J’avais une intuition féministe au Maroc qui a pris corps en France. J’ai alors compris ce mécanisme qui fait que les femmes intègrent à la fois leur complexe de féminité tout en le dénigrant. Comme s’il y avait une fierté à intégrer cette soumission sociale. »
« Les femmes des quartiers ne sont pas tant infantilisées que cela »
Ainsi, à La Goutte d’Or, « quand on demande à des femmes sans-papiers d’évoquer leur quotidien, elles vident leur sac et parlent d’émancipation, de précarité. Des problématiques qu’elles formulent parfaitement. Elles ne sont pas tant infantilisées que cela ! » Un discours qui va finir par la rattraper. Diplômée en cinéma, Fatima enchaîne les contrats et obtient son « intermittence » en 2011. Une activité insuffisante pour la préfecture de Paris qui lui délivre une obligation de quitter le territoire français, « objectant qu’elle ne peut produire de “réels” contrats de travail ». À son tour sans-papiers, la jeune femme prévient son père qui l’enjoint de rentrer au pays. Fatima refuse. C’est alors qu’une deuxième main se tend : celle de Danielle Simonnet. La secrétaire nationale du Parti de gauche organise « un rassemblement devant la préfecture et envoie des mails aux militants pour m’héberger. » Le contact se noue et, alors que les contours de la présidentielle de 2012 se dessinent, le candidat du Front de gauche ne s’y trompe pas. À son tour, Jean-Luc Mélenchon lui confie la rédaction de ses fiches « féministes ». Une expérience « un peu amère » qui pousse une nouvelle fois la militante à créer un collectif. « Avec Les Effrontées, j’ai privilégié l’horizontalité de l’action », dit celle qui a fini par être régularisée, en août 2012
Pierre-Yves Bulteau
En mars 2013, Fatima Benomar a sorti aux éditions Bruno-Leprince un ouvrage intitulé Féminisme : la révolution inachevée et préfacé par Marie-Georges Buffet.
Article publié dans la revue Causes communes