Les objectifs du gouvernement, derrière l’ambition affichée d’humanité, sont bien de désengorger les guichets des préfectures et de gérer ceux qu’il considère comme des indésirables, quitte à trahir un peu plus les promesses de 2012, telle que la fin de l’enfermement de enfants.
Si le contrôle du juge sur la privation de liberté s’exerce à nouveau dès 48h - ce qui est sans conteste favorable aux personnes retenues -, le transfert au magistrat judiciaire de la compétence de statuer sur le recours contre le placement en rétention a aussi ses limites, d’une part, dans la mesure où les requérants ont parfois toutes les peines du monde pour constituer un dossier complet dans un délai aussi court et d’autre part surtout, car les arguments juridiques qui permettaient auparavant de faire annuler le placement en rétention par le tribunal administratif ne sont pas retenus par le juge des libertés et de la détention de Meaux, créant une dégradation du contrôle juridictionnel.
Viennent s’ajouter à la jurisprudence très restrictive de ce tribunal les décisions d’un des juges, dont les ordonnances - souvent aberrantes - font systématiquement droit aux demandes de l’administration, si bien qu’il a été récusé à de nombreuses reprises par les avocats. Ce magistrat, d’après les statistiques réunies par ces derniers, aurait sur une période de temps conséquente un taux de prolongation de la rétention (et de rejet des requêtes en contestation du placement) de l’ordre de… 100%.

Agrandissement : Illustration 1

L’unité familiale… jusque dans l’avion
L’enfermement des familles est désormais inscrit dans le CESEDA. Malgré une condamnation cinglante de la France en juillet 2016 par la CEDH, qui sans exclure l’enfermement des familles a posé des critères (enfermement de courte durée, conditions matérielles adaptées), les préfectures continuent d’enfermer des enfants pour des durées excessives et dans des conditions déplorables.
Si nous n’avons pas eu connaissance de familles placées en local administratif de rétention - ce qui est désormais possible -, 16 familles ont été placées au CRA du Mesnil-Amelot depuis le début de l’année. Il s’agit la plupart du temps de placements de confort, émanant d’un petit nombre de préfectures qui banalisent cette pratique - au premier rang desquelles le Doubs. Parmi ces familles, trois ont été placées en soirée et expulsées le lendemain au petit matin.
Interdictions de retour et de circulation : l’autre double peine
L’article L 511-1 III du CESEDA résultant de la réforme prévoit que les préfectures notifient des interdictions de retour sur le territoire français de manière systématique - là où cette sanction était auparavant optionnelle. Ces interdictions sont assorties d’un signalement dans un fichier automatisé accessible dans tout l’espace Schengen. La quasi-totalité des préfectures se sont engouffrées dans la brèche et notifient de nombreuses interdictions de retour, bien souvent sans procéder à un examen sérieux de la situation personnelle de l’étranger.
Les ressortissants communautaires risquent eux aussi de faire l’objet d’interdictions (dites de circulation) et d’un fichage dans l’espace Schengen, ce qui va à l’encontre du principe de libre-circulation de l’Union Européenne.

L’expulsion des malades
L’entrée en application de la loi du 7 mars 2016 transfère à l’Office Français de l’Immigration et de I’Intégration (OFII) la compétence de l’expertise médicale, auparavant entre les mains de l’Agence Régionale de Santé (ARS). Au Mesnil-Amelot, cette évolution a jusqu’à présent eu pour principal effet de complexifier la procédure à mettre en œuvre par l’unité médicale, dans la mesure où l’OFII exige davantage de pièces que ne le faisait l’ARS ; un mode de fonctionnement qui n’est pas sans impact dans un contexte de la rétention toujours marqué par l’urgence et le risque d’une expulsion à très brève échéance. Parmi les conséquences directes : les personnes retenues ont parfois recours aux actes les plus désespérés pour retarder leur expulsion.
Contre toute attente, au Mesnil-Amelot comme ailleurs, les dispositifs mis en place sous la droite jusqu’en 2012 n’ont finalement pas été défaits mais renforcés, se plaçant sans conteste dans la continuité d’une politique migratoire ferme et déshumanisante. Et ce n’est pas toujours sur l’autorité judiciaire, parfois plus royaliste que le roi, que les étrangers peuvent s’appuyer pour espérer équilibrer la balance.
(Edito du journal La crazette, journal de l'équipe de La Cimade présente sur le centre de rétention du Mesnil-Amelot.)

Agrandissement : Illustration 3

Découvrez la totalité du numéro 16 de la Crazette.
Vous y trouverez :
- un édito sur la nouvelle loi de novembre 2016 ;
- un témoignage sur des conditions d’enfermement plus qu’indignes ;
- le fabuleux accueil réservé aux familles ;
- les petits arrangements entre Union européenne et Afghanistan ;
- le sort réservé aux personnes malades en rétention ;
- comment les préfectures s’amusent avec les avions ;
- le parcours du combattant pour faire sa demande d’asile avant son expulsion ;
- un aperçu du temps long en rétention ;
- des cranets de justice et des crabsurdités.
Les textes et les éléments statistiques ou graphiques ont été recueillis par l’équipe des intervenants de La Cimade au CRA du Mesnil-Amelot, vous pouvez les contacter par email der.mesnil.amelot@lacimade.org
Les centres de rétention administrative (CRA) sont peu connus du grand public et de la société civile. Qu’est- ce qu’un CRA ? C’est un lieu de privation de liberté, surveillé par la police aux frontières, où sont retenus des étrangers qui n’ont pas été en mesure de présenter les bons papiers au bon moment : l’antichambre de l’expulsion. En Seine-et-Marne, La Cimade intervient pour aider les étrangers enfermés au CRA du Mesnil-Amelot. Fidèle à sa mission de témoignage, elle souhaite par cette publication attirer l’attention des élus, des professionnels travaillant auprès des étrangers et des simples citoyens sur les réalités de la rétention administrative dans la région
Si vous souhaitez rejoindre La Cimade dans la région, rendez-vous sur les pages du site internet pour consulter les appels aux bénévoles
Pour faire un don, adressez votre chèque à La Cimade Ile-de-France Champagne-Ardenne, 46 boulevard des Batignolles, 75017 Paris ou rendez-vous sur www.lacimade.org

Agrandissement : Illustration 4
