
Dès sa nomination, Jean-Patrick Gille avait immédiatement annoncé la couleur sur le plateau de France 3 Centre :
« Sûrement que ma mission est de faire baisser la tension. Pour autant ma mission n'est pas celle vraiment d'un médiateur parce que médiateur voudrait dire conflit ».
Mais si le médiateur n'est pas vraiment médiateur, qu'est-il ? Quelle est l'intitulé exact de sa mission ?
Hypothèses
Manuel Valls a certes défini quelques axes de travail, énoncés dans un communiqué lors de l'annonce de sa nomination. Mais ensuite, comment ces grandes orientations ont-elles été transcrites dans la lettre de mission ?
Les ministres de la culture et du travail ont-il écrit noir sur blanc : « Cher député, votre mission sera de faire baisser la tension et de nous servir de caution morale pour rendre socialement acceptable une réforme injuste de l'assurance chômage » ? On n'écrit pas ces choses-là. On ne les dit même pas à l'intéressé, on se les glisse dans un couloir entre gens de bonne compagnie : bah, tu n'as qu'à confier une mission à un député, ça nous fera gagner du temps...
Ou bien est-ce que sa lettre dit plus franchement : « Cher député, votre mission sera d'être décrédibilisé auprès des acteurs de la culture, du public des festivals et des travailleurs précaires à la place du gouvernement lorsque que l'agrément de la convention d'assurance chômage sera signé» ? Dans ce cas, Jean-Patrick Gille aurait été bien dévoué d'accepter. Il aurait payé cher une gloire politique éphémère, tout en participant à la mise en place d'une réforme dont il sait pertinemment qu'elle n'est pas une bonne solution. Je doute qu'il ait signé une telle mission fusible.
Eh bien non, rien de tout ça.
Car la réalité la voilà : le gouvernement n'a pas réussi à écrire la lettre de mission de Jean-Patrick Gille.
Incapacité gouvernementale
C'est lui-même qui le dit, samedi 14 juin sur l'antenne de Radio Béton dans l'émission Des Ô et Débats (vers 1'13'00) :
« Moi je me fixe deux missions, parce que finalement le gouvernement n'a pas été en capacité d'écrire ma lettre de mission, donc je me l'invente à moi-même ».
Après être tombée de ma chaise en entendant ça, je suis remontée dessus en me frottant la tête. Et quelques réflexions me sont venues à l'esprit que j'aimerais partager avec vous.
Tout d'abord, que s'est-il passé au sein du gouvernement qui aurait pu le mettre hors de «capacité» d'écrire cette lettre de mission ? Est-ce que les positions d'Aurélie Filippetti et François Rebsamen sont à ce point divergentes qu'il n'est pas possible de trouver une formulation commune ? Cela est envisageable, surtout quand on voit qu'Aurélie Filippetti est finalement plutôt favorable au non-agrément de l'accord du 22 mars tandis que François Rebsamen s'estime "tenu d'agréer" (au passage : étrange formulation, car dans ce cas on se demande à quoi sert le processus d'agrément). Bref, au fond Jean-Patrick Gille n'a-t-il pas accepté une mission de médiation entre le ministère de la Culture et celui du Travail? Dans ce cas, on comprend que cela soit délicat à écrire noir sur blanc.
Mais au fait, comment cela est-il seulement possible ? Est-ce que la lettre n'existe matériellement pas ? Est-ce qu'il y a écrit dessus : « Bonjour Monsieur, nos ministères vous confient une mission d'information, vous nous rendrez vos propositions dans 15 jours» ? Dans tous les cas : comment Jean-Patrick Gille a-t-il pu accepter une mission alors que le gouvernement n'est pas en capacité de lui dire officiellement en quoi elle consiste ?
C'est enfin et surtout une lourde inconséquence de l'exécutif : comment imaginer qu'on puisse confier une responsabilité aussi brûlante que celle d'éviter l'annulation des festivals d'été à un député de bonne volonté, en le laissant libre de "s'inventer" sa mission ?
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Edit 17.06.14
Dans un tweet posté ce matin, Jean-Patrick Gille résume ainsi la (sa) situation :

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Merci à Radio Béton d'avoir mis en place un système de rediffusion pour permettre à tout le monde de réecouter l'intégralité de cette émission (disponible ici). J'avais suivi une grande partie du direct samedi, mais parmi la quantité des choses dites, la remarque de Jean-Patrick Gille sur sa non-lettre de mission m'avait échappée.
Crédit photo : Radio Béton