Je pensais faire ma prochaine chronique sur les élections municipales, mais la Ville de Paris m'a strictement interdit de filmer l'urne de mon bureau de vote. Récit.
En allant voter ce matin, je regardais le directeur de mon bureau face au défilé des votants. Souriant, malgré un discours quelque peu répétitif :
- Bonjour madame, vous voulez participer au dépouillement ce soir ?
- Non, non.
- A voté. Bonjour monsieur, vous voulez participer au dépouillement ce soir ?
- Non, désolé...
- A voté. Mademoiselle, vous voulez participer au dépouillement ce soir ?
- Ah non, pas question.
- A voté.
Et je me disais : tiens, c'est marrant, on dirait presque une chanson. Voulez-vous participer au dépouillement ce soir ? Non. A voté.
Chacun cherchait une bonne raison pour se justifier : pas le temps. Des enfants. Non merci. J'aurais tellement aimé, mais… C'est vrai, ça, pourquoi n'a-t-on pas envie de participer à ce dépouillement ? De quoi y réfléchir et écrire quelques couplets.
Et pour le clip ce serait bien d'avoir des images du bureau de vote, en particulier l'urne avec les enveloppes qui tombent dedans, songeai-je en voyant des gens faire des photos avec leur téléphone portable pour immortaliser ce moment de vie publique.
Alors après avoir glissé mon bulletin je demande au directeur du bureau : "Monsieur, est-ce que vous permettez que je revienne tout à l'heure pour filmer quelques plans de l'urne ?" Il me répond : "Ah mais oui bien sûr, si vous avez l'autorisation écrite du service communication de la mairie, ils ont une permanence aujourd'hui vous n'avez qu'à leur demander."
Ok, le service communication. Pourquoi pas, jolie promenade pour un dimanche.
Partie pour chercher ce bureau, je fais donc la queue à la mairie du 14è. La queue est longue. Énormément de gens semblent avoir été radiés des listes électorales, généralement au motif d'adresse inexacte [voir en bas de billet]*. Je ne sais pas si c'est plus ou moins de personnes que d'habitude, mais il y a vraiment beaucoup de monde. Une maman enceinte patiente avec sa petite fille de trois ou quatre ans : "Dis maman, pourquoi on n'a pas le droit de voter ? Je ne sais pas ma chérie, on va leur demander, justement."
Une autre, face à une employée de la mairie :
- J'ai été radié, je ne sais pas pourquoi.
- Il y a un hall maintenant dans votre immeuble ?
- Oui c'est vrai...
- Ah ben voilà. On vous a envoyé trois recommandés ! Trois !
- Oui mais si l'adresse n'était pas bonne ça explique peut-être que je ne les ai pas reçus...
- Mais enfin madame, c'est à vous de faire la démarche et de signaler tout changement d'adresse !
Dans cette ambiance un peu agitée, je trouve enfin quelqu'un à qui formuler ma requête :
- Bonjour, il parait que j'ai besoin d'une autorisation pour filmer l'urne du bureau où je suis votante.
- Vous êtes journaliste ? Quel media ?
- Chroniqueuse. Mediapart. Je suis votante dans l'arrondissement.
- Attendez, je vous passe le responsable.
Sur ce, elle me tend un téléphone. J'explique au monsieur ma demande : tourner un plan fixe, juste l'urne, sans prise de son et sans filmer de visage. Je lui laisse mon nom et mon téléphone.
- Entendu, je transmets la demande d'autorisation et je vous tiens au courant.
- Pensez-vous que cela sera possible avant 14h?
- Oui sans doute, je vous tiens informée.
Quelques minutes plus tard, voici le message que je reçois sur mon portable :
"Je vous réponds suite à votre demande d'autorisation de tournage. La Ville de Paris refuse que vous filmiez le contenu des urnes, donc pas d'autorisation... Voilà. Il serait possible qu'il y ait une autorisation si vous filmiez le bureau en tant que tel, mais pas les urnes, et pas le contenu des urnes." **
Rappelé, mon correspondant de la mairie du 14è m'indique toujours très aimablement que la décision vient de la Ville de Paris et qu'il n'en connait pas les raisons. Il refuse de me dire qui a pris cette décision, m'indiquant seulement qu'elle émane de la direction de la communication. A la Ville de Paris, le standard m'indique que personne ne semble être de permanence à la direction de la communication. Je finis par laisser un message sur un répondeur anonyme qui ne me rappellera jamais.
Et puis en fait je n'ai plus très envie de chanter des municipales, tout à coup.
Mais je me pose quand même la question : ces fameux plans que l'on voit à chaque scrutin, où l'enveloppe tombe dans l'urne... sont-il illégaux ? Filmés clandestinement ? Si l'urne est transparente n'est-ce pas justement pour qu'on puisse voir ce qui s'y passe ? Et si on peut voir ce qui s'y passe pourquoi ne pourrait-on pas le filmer? Faut-il passer outre les demandes d'autorisation ? Le faire en caméra cachée ? C'est idiot, quand même.
Alors voilà, j'attends quand même vos réponses, Très Chère Ville de Paris.
*Edit 24.03.14 à 17h : Pascal Cherki, actuel maire de l'arrondissement, me précise via Twitter que ce n'est pas la mairie qui arrête les listes électorales, mais une commission de vérification.
**Edit 24.03.14 à 23h : ajout de la transcription du message téléphonique de la mairie du 14è.