Pourquoi les débats deviennent-ils violents dès qu'il est question d'autisme infantile et de politiques publiques ? Existe-t-il vraiment une « guerre » entre les familles d'autistes et les professionnels ? Ne faudrait-il pas plutôt se rassembler pour obtenir des investissements publics à la hauteur des difficultés rencontrées par ces enfants, leurs familles, leurs proches et les professionnels qui les accompagnent ?
CONTEXTE
A l'occasion de la publication de ma chronique sur le troisième plan autisme, les débats dans le fil de discussion sont devenus houleux et ont atteint le point ultime du commentaire : le point Goebbels.
Il est vrai que j'aurais pu faire ma chronique hebdomadaire sur l'affaire Tapie, le festival de Cannes, la vente de l'hippodrome de compiègne, bref, sur un autre sujet. J'ai failli, d'ailleurs. Car après avoir écouté les interviews expertes de la HAS, du docteur Golse, visionné les longues réunions publiques au Sénat, épluché le site du collectif des 39, lu la synthèse du troisième plan et le discours de présentation de madame Carlotti, cliqué sur un clip-choc-anti-packing, subi des vidéos vantant l'efficacité de la méthode ABA, et découvert la tonalité vengeresse qui règne sur les forums évoquant le sujet, j'avais de quoi être effrayée...
Mais aucun sujet, si complexe soit-il, ne devrait exclure systématiquement les non-spécialistes du débat. Or le problème, c'est que quand l'aggressivité devient à ce point la norme, le citoyen se dit : ouh la la, ça m'a l'air bien compliqué l'autisme, passons notre chemin !
Alors voilà, sans forcément être concerné par le problème de manière aussi directe qu'un parent ou un professionnel spécialisé, on peut penser que l'autisme, une fois qu'il est défini de telle sorte qu'il touche 1 enfant sur 150, concerne tout le monde. Qui n'a pas un ami, un membre de sa famille, un collègue, dont l'enfant est dit "autiste" ? On peut ainsi légitimement s'intéresser aux enjeux sociaux et politiques de la prise en charge de l'autisme, et aussi s'étonner du fait que le sujet suscite une violence verbale qui voisine dangereusement avec l'intimidation.
Je vais donc essayer de résumer brièvement ce que j'ai pu en comprendre, en laissant cette fois de côté les aspects de la polémique elle-même, puisque je les ai déjà évoqués de manière subjective et partisane dans la chanson. Les personnes "autorisées" sont les bienvenues pour corriger/compléter cette ébauche par leurs commentaires, dans le respect de mon point de vue et de tous les autres points de vue, autorisés ou non, qui pourraient s'exprimer.
TROIS INJUSTICES
Les familles dans lesquelles l'un des enfants est handicapé (les parents, mais aussi les frères et soeurs) sont victimes d'un certain nombre d'injustices, qui questionnent l'organisation sociale toute entière. On peut en décrire au moins trois principales, sans aborder ici l'injustice initiale et fondamentale que constitue le handicap lui-même.
1. L'obligation scolaire non respectée
Légalement, les enfants handicapés ont le droit d'être inscrits dans un établissement scolaire public. Si l'école est tenue d'accepter cette inscription, elle n'est pas toujours en mesure de rendre la scolarisation effective. Il n'est pas rare que les conditions proposées pour cette scolarisation (absence de classe spécialisée, pénurie d'AVS, refus de l'école, etc) conduisent les parents à n'avoir pas d'autre choix que de sortir l'enfant du système scolaire, quand ce n'est pas le système scolaire lui-même qui rejette violement l'enfant "différent".
Dans tous les cas, le résultat est le même : la déscolarisation, première non-application du droit, et première injustice.
2. Le manque de place dans les structures spécialisées
Les parents dont les enfants sont déscolarisés ou dont la scolarité est problématique se retrouvent face à des systèmes sanitaires et médico-sociaux dont l'organisation peut sembler complexe, qui sont chroniquement sous-financés, inégalement répartis sur le territoire et pas toujours adaptés aux problématiques particulières de l'enfant. Lorsque se pose la question d'une prise en charge, quelle qu'elle soit (hôpital de jour, IME, SESSAD, etc...), il faut souvent attendre de nombreux mois pour qu'une place se libère. Pour les parents cette attente peut s'avérer pénible et complexe à organiser en termes de vie quotidienne.
L'absence de prise en charge spécialisée, au moment où elle s'avère nécessaire, constitue une deuxième injustice.
3. Le manque de financement
Les parents n'ont alors concrètement pas d'autre solution que de prendre soin eux-même leur enfant et donc d'en devenir de facto les "soignants". Parfois cela se fait en bonne entente avec d'autres accompagnements (médecin de famille, psychologue, éducateurs, enseignants), parfois dans une réelle solitude. Certains parents réussissent de véritables prouesses et "sauvent" littéralement leur enfant de "l'autisme". Mais s'occuper d'un enfant autiste 24h/24h est une tâche épuisante. Il n'est pas rare de voir l'un des parents s'arrêter de travailler pour s'y consacrer, avec toutes les conséquences que cela peut avoir en termes d'organisation économique du foyer et sur sa vie personnelle. Un certain nombre de parents resssentent le besoin de se former à des méthodes d'accompagnement, et les méthodes dites "comportementales" sont alors les plus accessibles. L'engagement familial pour aider l'enfant peut conduire les parents ou l'un des parents à déménager près d'un centre spécialisé, en particulier à la frontière belge, pour offrir le meilleur accompagnement possible à son enfant. Tout cela est difficile et a un coût très élevé. Les parents demandent donc légitimement que leurs efforts soient reconnus et que des moyens leur soient donnés pour assurer la prise en charge spécialisée de leur enfant. Mais les budgets publics nécessaires ne sont jamais octroyés et les parents doivent se débrouiller avec une allocation AEEH qui varie énormément selon les cas de figure (min.130€ / max. 1500€) et qui est dans tous les cas nettement insuffisante pour faire face aux besoins particuliers de l'enfant.
Il est alors fréquent que le foyer se retrouve dans une situation financière difficile, et c'est une troisième injustice. Elle est d'autant plus grande et révoltante que les foyers les plus modestes sont les plus touchés.
LE 3è PLAN AUTISME
Dans ce contexte, si le "plan autisme" consistait à annoncer une augmentation de budget public conséquente afin de rendre effectif le droit de scolarisation des enfants handicapés et garantir un accompagnement adapté, rapide et gratuit (ou compensé par des allocations qui le rende accessible à tous), et si ce plan s'accompagnait d'une enveloppe particulière destinée à développer certains programmes éducatifs spécialisés que réclament les parents depuis des années sans les obtenir, cela serait formidable.
Mais ce que propose madame Carlotti, ce n'est pas ça du tout. Certes elle satisfait certains parents en vantant les mérites des méthodes dites comportementales, mais elle explique aussi au passage que cela suppose d'"assurer la reconversion des places dans les hôpitaux en places dans les établissements et services médico-sociaux", c'est-à-dire concrètement : de supprimer des places - déjà dramatiquement peu nombreuses - dans les hôpitaux.
Certains parents impliqués et regroupés dans des associations (en particulier Autisme France, pour ne pas la citer) sont favorables à cette suppression, puisque le cadre de l'hôpital leur apparait comme inadapté. Pour les plus radicaux d'entre eux, l'équation ressemble à : hôpital = prison = asile = maltraitance, et les budgets alloués au secteur sanitaire sont assimilés à du "gaspillage d'argent public". Ce qu'ils demandent, c'est que les budgets de l'hopital soient réorientés vers l'éducation nationale pour mettre en place une école adaptée aux besoins de leur enfant, et lui permettant de progresser vers plus d'autonomie. On peut tout à fait comprendre et soutenir leur effort pour faire valoir le droit de tous les enfants à une scolarité publique et adaptée. Mais leur choix stratégique qui consiste à accepter, voire à demander l'accélération de la disparition des places dans les structures publiques existantes, et en particulier hospitalières, est tout à fait discutable.
On a le droit de s'interroger sur les motivations réelle de la "reconversion" évoquée par la ministre et présentée comme une mesure destinée à satisfaire ces associations de familles. Il y a déjà tellement peu de places en psychiatrie, est-ce vraiment raisonnable de les réaffecter ailleurs ou de les supprimer ? Les discussions de méthodologie et de casuistique ne servent-elles pas, au moins dans une certaine mesure, à enrober de polémique les politiques générales de restriction budgétaire qui tiennent actuellement lieu de politique sociale ? Enfin si les personnes qui accompagnent les enfants autistes (concrètement leurs familles et les professionnels) n'étaient pas aussi divisées, ne seraient-elles pas justement ensemble dans la rue, multiples, diverses et influentes, pour obtenir préalablement à tout débat sur l'usage des fonds, un budget sérieux ?
Pour conclure avec une donnée chiffrée et malgré tout subjective : "l'effort budgétaire" de 18 millions consenti par madame Carlotti sur un plan de 4 ans consacré aux 440 000 personnes considérées comme autistes en France, cela représente si ma calculette ne m'a pas trahie une somme de 10,22€ par an et par personne à accompagner, soit un budget supplémentaire octroyé de 0,85€/mois et par autiste.
Quatre-vingt cinq centimes.