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Billet de blog 9 févr. 2023

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PPDA : ce qui s’est dit lors de l’émission de Mediapart

Un livre consacré à Patrick Poivre d’Arvor suscite la polémique parce qu’il détaille, à l’insu de la plaignante, le récit du viol qu’elle a dénoncé à la police. Fayard, l’éditeur, se défend en arguant que cette femme avait témoigné sur le plateau de Mediapart. Elle avait pourtant refusé de raconter les faits précis. 

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Par Lénaïg Bredoux, Mathieu Magnaudeix, Valentine Oberti et Marine Turchi

Mardi 7 février, à la veille de sa sortie, le livre Le Prince noir (Fayard), consacré à Patrick Poivre d’Arvor et écrit par le journaliste Romain Verley, a fait l’objet d’une action en référé visant à interdire un passage.

Soutenue par dix autres plaignantes, Justine Ducharne, qui a porté plainte pour viol contre PPDA en mars 2021, a saisi le tribunal judiciaire de Paris pour « atteinte à l’intimité de sa vie privée ». En cause : le récit détaillé du viol qu’elle dénonce, qui figure dans le livre alors qu’elle ne l’a jamais elle-même rendu public, qu’elle n’a pas rencontré le journaliste, ni donné son accord pour la publication d’extraits de son audition à la police.

Tout en relevant « l’absence d’autorisation » et « le caractère douloureux de l’évocation publique des détails de l’agression subie », la justice l’a déboutée, en raison de « l’intérêt général » du sujet abordé.

Au-delà des arguments juridiques solides en faveur de la liberté de la presse, le débat se situe aussi à un autre niveau, celui de l'éthique et de la considération pour les plaignantes en matière de violences sexistes et sexuelles. Dans leur défense judiciaire comme dans les médias, le journaliste, à l’origine d’un numéro de « Complément d’enquête » (France 2) sur le présentateur vedette de TF1, et sa maison d’édition, Fayard, ont fait valoir que la plaignante avait elle-même rendu les faits publics dans deux émissions très suivies (Mediapart le 10 mai 2022, puis un reportage dans le JT de TF1 le lendemain).

Dans Le Parisien, Isabelle Saporta, patronne des éditions Fayard, a ainsi déclaré qu’elle comprenait « l’angoisse de la dépossession que peuvent ressentir les victimes », mais que « personne n’a été outé, car la femme dont on parle était sur le plateau de Mediapart ».

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Le plateau de notre émission consacrée à l'affaire PPDA, diffusée le 10 mai 2022. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart

Dans l’ordonnance rendue mardi, cet argument est repris. Le tribunal estime qu’il faut « prendre en compte le fait que [la plaignante] a elle-même décidé de rendre publics les faits dont elle a été victime, en indiquant à visage découvert et sous sa véritable identité, dans des médias de diffusion nationale, avoir subi un viol [...], de sorte que l’impact lié à la divulgation des circonstances de leur commission, si sordides qu’ils soient, doit nécessairement être relativisé ».

En réalité, dans l’émission de Mediapart – qui rassemblait pour la première fois vingt femmes ayant témoigné dans l’enquête judiciaire contre PPDA –, Justine Ducharne n’a précisément pas souhaité livrer les détails du viol pour lequel elle a porté plainte. Lors de la préparation de l’émission, nous avions pris soin de demander en amont à chacune si elle souhaitait, ou non, aborder les faits eux-mêmes. Certaines le voulaient et le pouvaient, d’autres non. Justine Ducharne était de celles-ci. 

Dans nos multiples échanges (que nous reproduisons avec son accord), cette ancienne journaliste nous avait indiqué d’emblée qu’elle n’avait « jamais évoqué [son] histoire dans un aucun média », qu’elle se présenterait « à visage découvert » dans notre émission, « pour l’esprit collectif » et parce qu’elle faisait partie des plaignantes visées par la plainte en dénonciation calomnieuse de PPDA, mais qu’elle ne « souhait[ait] pas raconter les détails relatifs au viol ». Elle se contenterait donc de déclarer qu’elle avait porté plainte pour viol pour des faits survenus en 1995 dans les locaux de TF1.

Par téléphone, elle nous avait expliqué la « ligne » à laquelle elle voulait « se tenir » : « Ne pas intervenir de manière détaillée dans un média tant qu’[elle] n’avai[t] pas été réentendue par les autorités policières et judiciaires. » Elle nous avait aussi relaté la difficulté de parler du viol qu’elle dénonce, les proches qui ne sont pas tous au courant, « l’impact réel » dans sa vie de tous les jours. « On ne mesure pas le traumatisme que c’est, ça ne guérit pas, ça existe au quotidien. »

Deux jours avant l’émission, anxieuse et prudente, elle nous avait spécifié, à nouveau, par écrit : « Je ne souhaite pas raconter davantage les détails, les circonstances… Et ne souhaite pas non plus que l’un de vous le raconte à ma place. Je ne souhaite tout simplement pas que soient évoqués les détails sur votre plateau. » Si elle acceptait d’être présente dans l’émission, c’est parce qu’elle estimait « important, inédit, fort, bien sûr que nous soyons quasiment toutes là », mais elle ne tenait « pas du tout à avoir la parole », ou bien elle la solliciterait si nécessaire.

Cet engagement, Mediapart s’y est tenu. Parce qu’il n’était évidemment pas question d’imposer aux plaignantes, face caméra, le récit détaillé des violences qu’elles dénoncent, et parce que l’objet de l’émission était ailleurs : les motivations de leur plainte, leur réaction face à la plainte en dénonciation calomnieuse de PPDA, l’inaction de TF1, les conséquences sur leur vie. Ce qui ne nous a bien sûr pas empêchés de faire état des dénégations et réponses de l’ancien présentateur sur chaque accusation. En l’occurrence, s’agissant de Justine Ducharne, Patrick Poivre d’Arvor avait démenti tout viol, parlant d’« une amourette, platonique, sans rapport sexuel autant qu’[il se] souvienne ».

En plateau, nous avons précisé le refus de Justine Ducharne « d’évoquer les détails de ce qu’il s’est passé, selon vous, en 1995 ». Et prévenu : « Ce soir, vous n’en direz pas plus. » De fait, durant les deux heures trente d’émission, l’ancienne journaliste n’a pas dévié de sa ligne, et n’a rien détaillé des faits : « Jusqu’à aujourd’hui, je préférais rester cachée, parce que je préférais réserver ma parole à la justice. J’espère être d’ailleurs réentendue. » Elle s’est contentée de raconter pourquoi elle avait témoigné auprès de la justice, et « toutes les conséquences » qu’a eu le viol qu’elle dénonce dans sa vie : « La volonté de rester invisible, de ne plus être vue [...] de ne plus exister. » 

Comme d’autres, très stressée, elle avait peu dormi avant l’émission. Comme d’autres, son émotion était perceptible sur le plateau. « Pour moi, c’est d’ailleurs un effort très important d’être sur votre plateau aujourd’hui », a-t-elle expliqué, évoquant, larmes aux yeux, le « long chemin » réalisé aux côtés des autres plaignantes.

Le lendemain, elle avait accepté de participer à un court sujet du journal télévisé de TF1 consacré à notre émission. À nouveau, elle n’avait donné aucun détail, déclarant simplement : « Prendre la parole publiquement est douloureux, ça ne me libère pas, ça ne me soulage pas, je le fais vraiment pour les autres femmes, pour celles qui ont déjà osé parler et pour celles qui se taisent aussi. »

Aujourd’hui, Justine Ducharne estime auprès de Mediapart que « Fayard et son auteur seraient sortis grandis de cette affaire en décalant de quelques jours la sortie du livre afin de réparer discrètement leur faute, comme nous leur avions demandé dans un premier temps, sans nous obliger à aller jusqu’à une assignation en référé, dont ils ont par ailleurs fait une large publicité », considère-t-elle.

Elle a reçu le soutien de nombreuses autres plaignantes de l’affaire PPDA, telles Hélène Devynck, Cécile Delarue ou Marie-Laure Delattre. L’association #MeToomédia qui lutte contre les violences sexuelles dans la presse a apporté, dans un communiqué, « son plein soutien » à Justine Ducharne tout en saluant le « travail d’ampleur » mené par le journaliste.

Face aux critiques, Romain Verley répète (ici et ) qu’il n’est « ni le porte-parole des plaignantes, ni l’avocat de PPDA ». Joint par Mediapart, il se défend de tout « voyeurisme » et considère que « ce témoignage était important dans [sa] démonstration », « pour décrire le caractère systémique, prémonitoire, industriel des viols [dont est accusé] PPDA ».

Mais les griefs ne portent pas tant sur le traitement de l’affaire elle-même, que les questions de déontologie en matière de presse. Le journaliste comme son éditrice estiment que les règles ont été respectées. « Des femmes m’ont dit non et j’ai respecté leur non, fait valoir Romain Verley. La plaignante ne m’a jamais formellement exprimé qu’elle ne souhaitait pas que je parle de son récit. Si ce témoignage l’a meurtrie, j’en suis sincèrement désolé. Mon but n’était pas de rajouter de la violence à la violence. » Auprès du Canard Enchaîné, il a concédé n’avoir « pas dit qu’[il] publierai[t] son nom » et reconnu qu’il « aurai[t] peut-être dû effectivement la solliciter » sur ce point.

Son éditrice, elle, persiste et signe. « La vérité journalistique n’est pas là pour faire plaisir », a rétorqué Isabelle Saporta à l’hebdomadaire satirique. Contactée par Mediapart, elle défend « le journalisme d’investigation » face « au journalisme de consentement », et interroge : « Pourquoi ce serait une autre méthodologie quand il s’agit des victimes ? »

La patronne des éditions Fayard précise qu’ils ont fait le choix d’anonymiser « toutes les femmes qui n’avaient jamais fait connaître leur identité », alors qu’ils auraient « pu faire un scoop ». Et que, malgré la décision judiciaire en leur faveur, ils ont décidé de retirer le nom de Justine Ducharne dans les prochaines réimpressions de l’ouvrage. « On ne le fait pas parce qu’on risque quoi que ce soit, assure-t-elle, mais parce qu’on a entendu la souffrance de cette femme. »

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