Le journalisme s’exerce 365 jours sur 365. Non seulement l’information n’attend pas. Mais il nous paraît crucial d’éclairer les citoyens à la veille d’un scrutin décisif : l’élection présidentielle.
Quelle ne fut donc pas notre surprise samedi après midi de recevoir un message électronique du secrétaire de la CNCCEP (Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle) nous enjoignant de retirer l’article Le péril Le Pen : inventaire de ce qu’elle infligerait à la société : Selon la Commission, « cet article apparait comme en infraction au regard des dispositions de l’article L49 du code électoral : « A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de (…) diffuser ou faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale (…) ». Je vous remercie de bien vouloir prendre les dispositions nécessaires pour faire cesser cette infraction.»
Avant cela, un autre article, publié samedi en fin de matinée, était tombé dans le collimateur de la Commission. Titré Jeunesse : Macron n’a pas tenu ses promesses et n’en fait presque plus, il rendait compte de l’interview accordée par Emmanuel Macron vendredi soir à Brut, et redonnait à lire le bilan de ses politiques publiques en direction des jeunes, publié plusieurs jours auparavant.
Non contente de nous alerter, la commission nous informait avoir demandé à Twitter de retirer nos post faisant état de cet article, injonction à laquelle Twitter s’est plié : nos messages ont disparu. Interdiction est ainsi ordonnée à des journalistes de dresser un bilan critique de l’action du président de la République à la veille d’un scrutin.
Comme il leur est demandé de retirer l’analyse du programme d’une candidate par des membres de la société civile (Ligue des droits de l’homme, syndicats de magistrats, militant des droits de l’enfant, etc.)
On notera que les articles visés concernaient Marine Le Pen et Emmanuel Macron alors que la commission n’a, semble-t-il, rien trouvé à redire à d’autres articles que nous avons mis en ligne durant le week-end et promus sur les réseaux sociaux qui, eux, dressaient un bilan critique des campagnes de Valérie Pécresse et Jean-Luc Mélenchon. Le contrôle serait-il à géométrie variable ? Y aurait-il plusieurs conceptions de la propagande interdite ?
Sous le tweet qu’elle a diffusé au sujet de notre article, des internautes se sont d’ailleurs amusés à poster les articles politiques d’autres médias, qui eux, n’ont pas été épinglés, sans qu’on puisse comprendre ce différentiel de traitement.
Soyons transparents : nous avons découvert ce pan des activités de cette commission lorsqu’elle nous a contactés.
Nous croyions connaître les règles: la campagne officielle se clôt le vendredi soir à minuit. A partir de cet instant, la commission demande aux candidats de ne plus tenir de réunions publiques, de ne plus faire procéder à aucune distribution de tracts, de ne plus diffuser par voie électronique aucun message ayant un caractère de propagande électorale.
De même, plus aucun sondage ne doit être publié pour éviter des manipulations.
Par ailleurs, aucune interview des candidats ou de leurs soutiens ne doit plus être diffusée dans la presse écrite ou audiovisuelle.
Mais il s’agit là de la parole des candidats, et de leur propagande électorale. Or nous avons découvert que la commission étendait sa surveillance à de simples articles de journalistes et même aux expressions des citoyens. « Il est préférable de s’abstenir de toute activité de propagande la veille et le jour du scrutin», estime le Conseil constitutionnel.
Dans une décision du 3 décembre 1981, ce même Conseil a ainsi considéré que la diffusion par Radio France, sur ses ondes, d’un reportage relatif à une réunion électorale dans laquelle un candidat était mis en cause, constituait un acte de propagande visé par l’article L49.
Libération nous apprend qu’en 2017, il a été « épinglé » pour un article, « La campagne à bobards toutes ». Et le même article relate que « de nombreux signalements ont été adressés au Procureur, principalement en raison de diffusions d’informations sur les plateformes numériques ».
Alors où commence la propagande pour cette commission ? Et où s’arrête-t-elle ? Que dire de tous ces médias qui commentent en direct les élections en donnant la parole à la sortie des bureaux de vote à de simples électeurs qui expliquent pourquoi ils choisissent untel ou unetelle ?
Et quelle est cette commission, présidée par Didier Tabuteau, récemment nommé vice-président du Conseil d’État par le pouvoir exécutif, qui, sous couvert de contrôles, demande la censure d’informations sans l’intervention d’un magistrat, sans audience publique, sans que nous puissions faire valoir nos arguments et nos droits, selon des critères pour le moins opaques ?
Les règles fondées sur l’heure et le jour de publication semblent par ailleurs bien datées. Sur notre journal numérique, les lecteurs consultent un ensemble de contenu pendant un week-end électoral, certains datant de plusieurs jours, d’autres tout récents, mais exposés de la même façon. Dans ce cas-là, faudrait-il aussi interdire la lecture des articles des jours précédents ?
En confondant propagande électorale, par nature partisane, et presse indépendante, dont la mission est d’informer sur des sujets d’intérêt général, au point de demander la suppression d’un article en ligne et de faire supprimer des messages d’information, la Commission de contrôle instaure, au prétexte de la trêve électorale, une nouvelle forme de censure administrative.
Quand nous l’avons contacté pour mieux comprendre, son représentant a convenu que son attitude relevait d’une « interprétation » de la notion de propagande électorale qui peut, à tout le moins, être discutée. C’est une évolution fâcheuse et inquiétante en nos temps de crispations sectaires et d’intolérances politiques. Comment ne pas imaginer l’usage que ferait de ce précédent un pouvoir autoritaire ?
Mediapart est libre de son opinion et de son expression. Nous considérons dès lors que d’aucune manière, le travail de la commission ne doit s’étendre au travail d’information et de contextualisation effectué par les journalistes.
Face à ces injonctions abracadabrantesque, face à cette dangereuse interprétation de la loi, nous avons décidé de maintenir nos articles en ligne. Seuls nos lecteurs doivent pouvoir choisir ce qu’ils lisent. Et personne d’autre.