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Billet de blog 17 février 2012

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Pour Damas, «la propagande est un instrument clé de la répression»

Jeudi 16 février, Caroline Donati et Pierre Puchot ont répondu en direct, au cours d'un chat, aux questions des internautes. Retrouvez ici ce dialogue.

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Jeudi 16 février, Caroline Donati et Pierre Puchot ont répondu en direct, au cours d'un chat, aux questions des internautes. Retrouvez ici ce dialogue.

claude de villepin. Je suis pensif, face à un soulevement que l'on nous dit pacifique, des rebelles aux mains nues, je me demande qui sont les forces armées qui luttent contre l'armée syrienne? J'ai pris connaissance de la position du PC syrien qui lutte contre le régime et qui condamne les interventions extérieures, qu'en est-il?

Nomadvibe. N'assistons-nous pas à une diabolisation du régime syrien et à une manipulation des opinions afin de légitimer une intervention militaire sous le fallacieux sacro-saint principe de démocratie?

Jean-Paul Lesage. Je partage l'interrogation de Claude de Villepin. Je me demande, en outre, s'il ne s'agit pas d'une guerre religieuse entre chiites et sunnites, ou encore d'une volonté délibérée du monde occidental de déstabiliser l'allié régional et religieux de l'Iran, proche détenteur de l'arme nucléaire que l'on cherche aussi à déstabiliser avant de l'attaquer militairement?

Pierre Puchot. Bonjour à tous! A Claude de Villepin, sur la question de l'intervention militaire, il est clair depuis plusieurs mois que l'Etat syrien organise, contre son propre peuple, une répression de masse qui s'est déjà traduite par plus de 5.000 morts. Face à ce constat, sans appel, de toutes les ONG sérieuses qui travaillent sur la question syrienne, la communauté internationale n'a que peu de marge de manœuvre. Dès lors, discuter d'une intervention militaire, comme le souhaite le Qatar, n'implique pas qu'une telle intervention soit nécessairement instrumentalisée à des fins politiques par les puissances étrangères. C'est simplement une option, pour tenter de mettre fin à la répression de masse du régime syrien qui, encore une fois, est bien réelle et se poursuit.

geris. Pourquoi dans les puissances occidentales et pays arabes, personne ne demande une résolution pour une intervention purement humanitaire? ce fut le cas en Irak...

Pierre Puchot.Bonjour Geris! Je me permets de vous poser la question, qui montre toute la complexité du problème et de l'intervention sur le sol syrien: qu'est-ce qu'une intervention «purement humanitaire»? A partir du moment où une armée étrangère investit un pays sans l'accord du gouvernement dudit pays, celui s'estime légitime pour engager des représailles.

Caroline Donati.
Je pense qu'il faut distinguer entre le mouvement pacifiste civil et le volet «armé» du mouvement. A l'origine, le soulèvement syrien était d'abord une mobilisation pacifique: cette mobilisation est menée par les comités de coordination qui organisent sur le terrain les manifestations. Parallèlement, on a vu apparaître un nouvel acteur, connu sous le nom de l'Armée syrienne libre. L'ASL regroupe des anciens militaires qui ont fait défection, et des civils. Ce sont eux, constitués en différentes brigades, qui luttent contre l'armée syrienne et les forces de sécurité. Ils se sont constitués dans une logique d'autodéfense, de protection des civils. Ils protègent les manifestants et mènent parallèlement des opérations dont les cibles sont essentiellement les forces de sécurité et les milices loyalistes. C'est ce que l'on pourrait appeler une insurrection militaire populaire, un mouvement de résistance. Il y a une importante coordination entre les deux mouvements.

Guest. François Hollande a souhaité aujourd'hui, à propos de la Syrie, qu'«un nouveau projet de résolution» soit «proposé au Conseil de sécurité, afin de placer Chine et Russie devant leurs responsabilités». Soulignant dans un communiqué que le bilan des victimes «ne fait qu'empirer jour après jour», le candidat socialiste à l'élection présidentielle appelle de ses voeux «une action plus forte de la communauté internationale».

Lionel. Je trouve que vous ne répondez pas vraiment à la question de Claude de Villepin. Certes il est indéniable que des milliers de Syriens ont péri sous les bombardements, mais la question soulevée ici est double: qui sont les opposants? Quelle légitimité au reste du monde pour intervenir dans un conflit interne ?

Caroline Donati. En ce qui concerne leurs moyens militaires, ils sont en fait très limités: des armes légères qu'ils récupérent dans leurs opérations. Ils s'alimentent aussi auprès des contrebandiers et même auprès de militaires «loyalistes».

Pierre Puchot. Bonjour Lionel. L'opposition syrienne est plurielle, Caroline a répondu à cette question. Pour ce qui est de la légitimité, vous posez tout simplement la question du concept de communauté internationale. A quoi sert-elle, si ce n'est alerter, prévenir les conflits, et tenter d'empêcher le massacre planifié de populations civiles?

nem. Pour quelle raison l'armée régulière ne se contente pas d'entrer dans Homs? Les habitants de cette ville sont-ils tous des civils et sinon quelle est la légitimité des factions armées et surtout, comme ils demandent davantage d'armes, qui les leur fournit?

Caroline Donati. Bonjour Nem, votre question pose le problème des ressources militaires du régime, qui est confronté à ce que l'on peut appeler un mouvement de guérilla. Pour écraser la contestation, le régime recourt à ses forces de sécurité, qui sont épaulées par l'armée régulière. Celle-ci ressemble de plus en plus à une armée d'occupation. Le régime ne peut pas d'ailleurs compter sur l'ensemble de son armée car ses membres sont en majorité des sunnites et sympathisent avec les manifestants qui sont souvent leurs frères ou cousins. Le régime doit aussi déployer ses troupes dans d'autres régions: on parle beaucoup de Homs à juste titre, mais il faut savoir que les situations sont semblables sur l'ensemble du territoire, à Hama, Idlib par exemple. L'étendue géographique de la contestation pose un véritable défi au régime qui ne parvient pas à l'emporter.

Lucie. Dans quelle mesure doit-on voir la situation syrienne comme un écho aux événements en Tunisie, en Egypte et en Lybie? Pouvons-nous envisager une intervention comme celle en Lybie? Quid de l'opposition syrienne??

Pierre Puchot. Bonjour Lucie! Il est évident que l'effet d'entraînement fut réel: les «dégage (en français dans le texte) Moubarak» ont pris exemple sur la Tunisie, et l'Egypte a elle-même inspiré les Syriens, etc. Par la suite, les différentes révoltes ont fait face à des réponses différentes des régimes en place. L'armée syrienne n'est pas l'armée tunisienne. On ne peut donc pas prévoir d'issue dans une situation donnée en fonction de celles observées dans d'autres pays de la région. Cela vaut aussi pour la question de l'intervention militaire internationale. 

l`insolente. «L'Etat syrien organise, contre son propre peuple, une répression de masse qui s'est déjà traduite par plus de 5.000 morts...» Quelles sont les sources pour ces «statistiques»? Vous savez pertinemment que la moitié de ces morts sont des membres de l'armée syrienne, des forces de polices ou des supporters du régime.

Pierre Puchot. Bonjour «l'Insolente»! Les sources sont multiples: médecins sur place, témoignages directs, travaux des ONG telles Amnesty et Human Rights Watch, MSF... L'ampleur de la répression n'est aujourd'hui pas contestable, ni le fait qu'elle touche le peuple syrien, et non seulement une armée de séditieux dont le but serait de déstabiliser le régime. Je vous renvoie pour cela aux nombreux articles et témoignages que Caroline a publiés sur Mediapart.

Lionel. Pourquoi les journalistes francais refusent-ils de soulever les questions géopolitiques sous-jacentes? N'est-il pas évident que sunnites et chiites se livrent une vraie bataille au sein de la Ligue Arabe (cf la répartition des votes) ?

Pierre Puchot. A Lionel: la question sunnite/chiite, si elle est évidemment cruciale au Moyen-Orient, n'est pas transposable en tant que telle dans le contexte syrien actuel. La répression de masse du régime syrien est à la fois embarassante pour l'Arabie Saoudite comme pour le Qatar, peu désireux que l'on regarde de près leurs propre régimes. Ces deux Etats ont par exemple été tout à fait prompts à se mettre d'accord sur l'envoi de troupes au Bahreïn. On ne peut donc résumer les hésitations et lacunes de la Ligue arabe à la question sunnite/chiite.

Lionel. Je rejoins l'insolente sur la question des sources. L'unique source d'information reprise en boucle en France est l'OSDH de Abdel Rahman, dont aucun journaliste francais ne semble percevoir qu'il est partie prenante dans la chute du régime. Si les sondages d'opinion étaient publiés par un parti politique, ça ne vous choquerait pas?

Pierre Puchot. Ce n'est pas exact, les sources sont multiples, il suffit pour s'en rendre compte de lire les articles.

Christian Creseveur. Nous avons colonisé la Syrie, et nous l'avons brutalement découpée en 1920 (Sykes-Picot), et nous ne l'avons militairement quittée qu'en 1946. Aussi le ressentiment antifrançais est aujourd'hui encore persistant. Si d'aventure nous soutenions, même sous le prétexte d'un corridor humanitaire, une opposition (laquelle, d'ailleurs?), ne risquons nous pas de d'entacher profondément celle-ci? Et du même coup ne risquons-nous pas d'être contre productifs, tout comme nous l'avons été en Libye, avec un CNT, dont les membres présentaient peu ou pas de garantie, et qui instaure la charia sitôt en place?

Caroline Donati. Je pense que l'opposition syrienne recherche un appui politique et diplomatique mais se méfie des ingérences étrangères. D'où l'hostilité, de manière générale, de l'ensemble des Syriens à une intervention étrangère. Le danger pour la Syrie, ce serait de faire comme en Irak, c'est-à-dire de n'appuyer qu'une opposition en exil. Car leurs divisions entraînerait une représentation communautaire avec tous les dangers que cela implique. Et la France a encore ses vieux réflexes, elle appuie les minorités. Il faut sortir de cette vision confessionnelle. Les opposants syriens le demandent eux-mêmes.
Par ailleurs, il ne faut pas réduire le Conseil national syrien aux partis en exil; il comprend aussi des représentants de l'intérieur, des composantes essentielles du mouvement révolutionnaire. L'alternative en Syrie ne doit pas reposer dans les mains du seul CNS mais dans le mouvement intérieur qui montre bien plus de maturité et d'intelligence politique que les exilés.

Lionel. Caroline, pouvez-vous donner des exemples (des noms) de figures du «mouvement intérieur qui montre bien plus de maturité et d'intelligence politique que les exilés»? Merci.

Caroline Donati. Comme bloc, la Commission générale de la révolution syrienne par exemple. Mais ce sont aussi tous les activistes qui coordonnent la mobilisation et avec lesquels je suis en contact permanent.

Victor. Merci de replacer la situation en Syrie dans le contexte géopolitique. Notamment au travers des veto russe et chinois. Ne vaut-il mieux pas un régime baasiste que le pays livré aux salafistes et aux Frères Musulmans? Où forcément les tensions religieuses seront plus importantes? Ne se dirige-t-on pas vers une irakisation (meme chose que la Lybie, voir l'action des milices actuellement) de la Syrie? Je ne donne pas cher des chrétiens en Syrie. Y a-t-il une position commune des chrétiens syriens sur le sujet? Pourquoi le chef de la diplomatie russe est-il accueilli aussi chaleureusement en Syrie? D'avance merci.

Pierre Puchot. La concurence des régimes répressifs ne me paraît pas opportune. La Tunisie s'est libérée d'une dictature pour construire jour après jour un régime démocratique, certes encore très fragile, où la focalisation sur la question identitaire soulève bien des tensions. Mais c'est tout de même un pays qui avance, capable de mesure progresssistes. Préserver un régime qui fait tirer sur son propre peuple, sous prétexte d'éviter une autre dictature à venir, ce fut le parti pris des gouvenrements français successifs en ce qui concerne la Tunisie. On voit aujourd'hui pour quel résultat. 

Guest. Est-il possible d’avoir un point de vue, une analyse, une grille de lecture qui sortirait du cadre purement syrien: une sorte de mise en contexte et perspective à la fois géographique et historique :
- Le précédent irakien : pays mis à genoux, aujourd’hui devenu inopérant.
- Le rôle joué par les monarchies pétrolières – plus particulièrement le Qatar
- Le cas de l’Iran
- L’approche Américaine de la situation
- L’approche Israélienne…
- Le pic pétrolier : le moment où la production mondiale de pétrole plafonne avant de commencer à décliner du fait de l'épuisement des réserves de pétrole exploitables, et la sécurisation de l’approvisionnement.
- La donne Russe : accepter de perdre la Syrie (gros marché d’armement) en échange de quoi ?
- Quelle Syrie après la chute du régime actuel? Une Syrie telle qu’elle peut être pensée par le CNS, et hors CNS - cad : ce que l’on peut raisonnablement prévoir, attendre et espérer d’une Syrie sans le clan Bachar el-Assad et son parti.

Pierre Puchot. Le départ du clan Assad est encore loin d'être d'actualité: le projet de résolution de la Ligue arabe, calqué sur le plan appliqué au Yémen, permet certes de «sortir» le président syrien du jeu poltique, mais pas l'ensemble du régime en place. L'idée est aussi de fournir une résolution «acceptable» pour le régime syrien. Saleh est parti, après 33 ans d'exercice du pouvoir, avec l'immunité. Doit-on faire de même en Syrie, pour espérer mettre fin à la repression sans intervention militaire? Le problème syrien est infiniment complexe, et ne peut être résolu par un positonnement idéologique.

Fantie B. Bonjour, ma curiosité se porte sur les soutiens au pouvoir syrien qui s'expriment sur Mediapart entre autres. Certains sont portés par une défiance envers l'information dite «main stream» et par une opposition à la politique internationale des USA, mais y a-t-il, de plus, une sorte d'organisation de ce soutien? Si oui, via quels réseaux? Dans ces fils, j'ai vu apparaître comme «source informative» le nom de Thierry Meyssan. A-t-il un rapport de proximité avec le pouvoir syrien? Et quels liens avec le régime russe? En résumé, à votre avis, y a-t-il une contre-information organisée à partir de canaux directement liés aux pouvoirs syrien, russe, etc.?

Caroline Donati. Oui, il y a une contre-information organisée par le régime. La propagande est un instrument clé de la répression. Le régime s'appuie sur des réseaux qui rassemblent pêle-mêle des anti-impérialistes et des partisans de l'extrême-droite. C'est l'un d'entre eux, Frédéric Chatillon, qui tient le site info-Syrie par exemple. Thierry Meyssan fait partie de cette nébuleuse. On pourrait aussi citer le journaliste Richard Labévière qui est l'auteur d'un rapport qui appuie les thèses du régime. Je vous invite à lire l'enquête parue dans Libé et l'article sur le blog du Monde qui démontre le manque d'objectivité et de sérieux de ce rapport.

Ismaël. Le régime de Saddam s'appuyait sur les tensions tribales pour se maintenir, d'où la prévisibilité de la situation actuelle en Irak. Le sentiment nationaliste en Syrie est-il assez fort pour permettre une cohésion entre toutes les communautés, si Al Assad, et le régime venaient à tomber?

Pierre Puchot. Bonjour Ismaël! Le «sentiment nationaliste», comme vous dites, est d'autant plus fort en Syrie que ce pays a été relégué au ban des nations pendant des années. Cela a contribué à sédimenter le régime. Sur la question des communautés, on peut constater notamment la grande passivité des nombreux chrétiens de Syrie, comme le souligne l'écrivain libanais Alexandre Najjar. La division communautaire, entretenue au plus haut sommet de l'Etat, a contribué à la permanence du régime baassiste, notamment au moment de la passation du pouvoir entre père et fils.

l`insolente.  Incontestable que le régime de Bashar Al Assad est un régime autoritaire & brutal, mais vous avez un sérieux problème pour justifier une «révolution» qui est financée & manipulée par des puissances étrangères qui s`appuient sur des éléments extrémistes & terroristes. De plus, la majorité du peuple syrien dans ses composantes ethno religieuses soutient Bashar Al Assad.

Caroline Donati. La contestation en Syrie est une véritable révolution qui n'a pas besoin de soutiens extérieurs pour exister, à l'instar de la Tunisie par exemple. Cette mobilisation et cette culture de résistance contre le régime syrien ira bien au delà de la chute du régime car elle met en œuvre des pratiques et des solidarités très profondes, qui impliquent la majorité de la société syrienne, toutes catégories sociales. Le régime de Bachar al-Assad a encore des soutiens certes, en particulier les minoritaires qui redoutent l'après Assad, il a aussi des soutiens parmi les populations rurales sunnites, mais ces soutiens sont de plus en plus réduits. Le régime ne parvient plus à mobiliser en masse et vous avez aussi une résistance silencieuse qui n'est pas visible aujourd'hui en raison de la répression et de la peur de représailles.

Cat. Quid de la contagion au Liban et quelles conséquences?

Pierre Puchot. Bonjour Cat! Les affrontements d'il y a deux jours à Tripoli, au nord du Liban, montrent à quel point la vie politique libanaise est liée à ce qui se passe à Damas, qu'on le veuille ou non. Le Liban est à nouveau dans une impasse politique, la situation syrienne ne peut que réveiller les conflits intercommunautaires que l'accord de Doha, en 2008, était parvenu à mettre quelque peu en sommeil. Pour cette raison aussi, la fin de la répression en Syrie constitue une urgence.
Guest. Je ne comprends pas la stratégie du régime... Qu'espèrent-ils ?

Caroline Donati. Le régime est engagé dans une lutte de survie: il cherche à écraser militairement le mouvement mais il n'y parvient pas.
Il a besoin de montrer à sa base résiduelle qu'il contrôle encore la situation. On peut s'attendre à d'avantage de violences.
Il y a aussi la forte perception que le régime peut encore l'emporter, c'est une perception forgée par les nombreuses crises régionales qu'il a traversées. Le régime est délité mais il tient encore.