Ne racontez pas à ma mère ce qui va suivre, elle me croit blogueur scientifique sur Médiapart. Mais, telle une CIA participative, votre bien aimé site d'information tient des dossiers solides sur ses blogueurs, a repéré mon engagement au sein de la C6R, et m'a suggéré de donner mon avis sur la réforme des institutions qui va aboutir ce lundi à un vote du congrès dont chacun concède qu'il va être serré.
Blague à part, donc, je vous propose une petite plongée dans la vie d'un militant des institutions, qui ne prétend pas vous informer aussi précisément que pourraient le faire, par exemple sur Médiapart, Bastien François et Paul Alliès, deux constitutionnalistes membres de la C6R (oui oui, nous noyautons...). Juste les impressions d'un citoyen lambda, un chouia informé puisqu'il a choisi de faire de ce combat pour la démocratie celui qui occuperait ses week-end et ses nuits, une fois la porte de son labo de scientifique refermée.
La questions des institutions, nous en avons vu les hauts et les bas, au sein de l'association. Neuf fois sur dix, c'est pour nous entendre dire que cette question ne passionne personne. Et parfois,de manière imprévisible, cela devient la grande affaire du moment. Pendant la campagne de 2007, à notre grande surprise, Ségolène Royal s'empare sans crier gare du thème de la 6ème République. Puis Nicolas Sarkozy annonce son envie de modifier les institutions « en profondeur ». Après des mois de vache maigre, il faut se remettre en ordre de marche, scruter, analyser les propositions, contre-argumenter et tenter d'interpeller. La réforme qui s'achève demain nous a fourni cette matière. Le comité Balladur, à l'automne dernier, ses sonclusions, ses contradictions internes, et puis le projet de loi constitutionnelle et ses discussions successives dans les deux chambres du Parlement : nous avons tenté d'en proposer une analyse critique et argumentée, d'en faire de la politique sans tomber dans le spectacle politique. Cela s'est concrétisé par un site internet, le site de l'alter-réforme constitutionnelle, tenu à bout de bras par deux étudiants surréactifs, un mystérieux insider capable de décortiquer en quelques heures la nième nouvelle mouture du texte, un prof de sciences politiques, et un biologiste égaré, votre serviteur, autour duquel gravite une petite équipe bienveillante et encourageante.
Alors que l'heure de varité approche, que dire du projet tel qu'il est ? Si je devais résumer en un mot mon sentiment forcément subjectif, je dirais : raté. Toutes les question essentielles ont été laissées de côté. La mère de toutes les batailles, la lutte contre le cumul des mandats, a été jetée à la rivière (j'y reviendrai plus bas). Le droit de vote des étrangers aux élections locales, à la trappe. La démocratisation du Sénat, balayée. Et pourtant, que n'a-t-on pas entendu de la part de Nicolas Sarkozy au départ, sur la ritournelle de la rupture : tout ceci changerait, parce qu'il le voulait, et parce qu'il avait une formidable capacité d'entrainement de sa majorité conservatrice. On allait voir ce qu'on allait voir, on allait admirer les pectoraux présidentiels. On a vu. Un capitulation face à tous les freins d'un personnel politique incapable de renoncer à son confort, mais très pro quand il s'agit de nous faire prendre un texte timide pour une avancée fondamentale.
Et quand le texte ne suffisait pas, le contexte a constamment confirmé cette impression.
Alors que la première version du texte était sur le point d'être discutée au Parlement, alors que toute la droite n'avait que des mots doux pour le renforcement des pouvoirs du Parlement, la loi OGM qui avait été repoussée démocratiquement (quoi qu'on en pense) est revenue par la fenètre par un artifice légal copiloté par le Gouvernement et le groupe UMP.
Et je ne parle même pas de la quantité hallucinante de textes qui, depuis juin 2007 passent par la procédure dite d' « urgence », au mépris de la -timide- capacité d'expertise de l'Assemblée. Il faut réformer la France au pas de charge, se justifie la droite. Merci pour l'aveu implicite : pour cette dernière, le Parlement est donc un véritable boulet. Mais n'ayons peur de rien, et clamons dans la salle des 4 colonnes que nous voulons le renforcer.
Autre exemple, plus récent. En difficulté pour susciter l'enthousiasme sur la version 2.0 du texte, on décida en juin de mettre en avant une des « avancées » : l'encadrement par le Parlement des nominations sensibles traditionnellement dévolues à l'Exécutif, avec un système d'auditions un peu novateur pour notre pays à la traîne sur ce point. L'intention est difficile à contester, même si la forme retenue est timide. Mais patatras, il ne fallut pas 10 jours pour que Nicolas Sarkozy annonce son intention de nommer (presque) lui-même-tout-seul le président de France Télévision (on a appris depuis que celui de Radio France serait aussi concerné...). Comment sérieusement, et là encore quoi qu'on pense du fond, prétendre être cohérent avec des attitudes aussi contradictoires ? Comment ne pas regarder enfin, avec ironie, cette sidérante interview du Président au Monde la jeudi dernier, qui descend en majesté de son Olympe et vient lâcher quelques maladroits oracles de pseudoconciliation, selon sa bonne volonté, pour tenter un ultime retournement ? Qui ne voit que plus que jamais c'est la personnalisation du pouvoir qui régit toute la logique de l'équipe aux affaire ?
Mais sur le fond, comment répondre à l'argument massue, qui est que ce texte va quand même dans le bon sens, puisqu'il donne malgré tout plus de pouvoir au Parlement, et que personne ne peut être contre ? Il y a une réponse simple à cet argument : il est faux. Jack Lang et Jean-François Copé peuvent bien dire l'inverse, dans un beau numéro de propagande et de matraquage qu'il faudra bien un jour analyser sévérement, cela n'en fait pas une vérité.
1. Ce projet de réforme donne avant tout plus de pouvoir à la majorité du Parlement, qui partagera désormais avec le Gouvernement la co-maitrise de son ordre du jour. Même Nicolas Sarkozy l'admet, dans une réponse confondante de naïveté, dans son interview au Monde :
« Vous renforcez les pouvoirs du Parlement ou les pouvoirs de la majorité au Parlement ? C'est extraordinaire de raisonner ainsi. La majorité d'aujourd'hui sera forcément l'opposition de demain »
On croit rêver, on se frotte les yeux : Nicolas Sarkozy voudrait qu'on lui sache gré de ne pas renforcer la majorité « de droite » au Parlement, seulement la « majorité », fantastique ! Et merci ! Qu'il nous exlique d'ailleurs comment on ne favorise pas un camp, la droite, quand on prétend donner plus de pouvoir à un Parlement dont une des deux chambres est organiquement a droite depuis 150 ans...
2. Tout ce que le Parlement, ou plutôt sa majorité, gagne, il le reprend sur le Premier ministre. Pas sur le Président. Ce dernier, lui, garde toute son hyperpuissance, et l'accroit même, puisqu'il viendra parler une fois l'an, sans qu'on puisse lui répondre, devant les députés. Irresponsable juridiquement, il pourra exercer toute la pression politique que ses pouvoirs étendus lui confèrent sur « sa » majorité. Et le premier ministre écoutera sagement. Le premier ministre, seul personnage de l'éxécutif responsable devant le Parlement et renversable par lui va très vite devenir un ectoplasme secondaire. Oh, surprise, c'est exactement ce que théorise François Fillon dans son dernier livre...
3. Si l'on doit donc résumer, cette réforme consiste ouvertement et précisément à organiser non pas la complémentarité mais la concurrence des pouvoirs entre un Parlement à peine renforcé et le Président surpuissant, pouvant le dissoudre, et juridiquement irresponsable. C'est très exactement l'architecture des régimes présidentiels à une immense nuance près : aux Etats-Unis, le Parlement peut renverser le Président. La confrontation des pouvoirs, à défaut d'être juste, est au moins équitable. En France, nous aurons la concurrence déloyale entre deux pouvoirs inégaux. Qui va gagner, à votre avis ?
Ce qui a été étonnant, c'est de voir la lenteur avec laquelle la gauche et notamment le PS a fini par aboutir à cet argument. La dénonciation de la présidentialisation du Régime est censée être dans son ADN, de la gauche la plus radicale à la plus réformiste. C'est même stratégiquement, pour l'avenir, un point de convergence potentiel entre les gauches. Mais la Vème République et la conversion de François Mitterrand à ses institutions ont été un véritable anesthésiant. L'inversion du calendrier associé au quinquennat, grâce à Lionel Jospin, on lancé la turboprésidentialisation. En deshérance idéologique, le PS pouvait taper comme un sourd, mais a préféré entre autre demander poliment un rééquilibrage du temps de parole dans les médias. Question importante, mais assez largement hors sujet. Il a fallu la frilosité consternante de la droite sur ce point pour permettre au PS d'éviter le ridicule d'avoir à avaler cette réforme contre un plat de lentilles médiatiques. Il y avait pourtant de quoi être résolument contre, sans s'égarer dans des combats annexes. Sans parler de la capitulation du PS sur les questions institutionnelles élargies, comme, j'y reviens, le cumul des mandats, dans les filets duquel Arnaud Montebourg est le dernier en date à tomber. La C6R elle, y demeure farouchement opposée, et tant pis pour les quolibets que nous essuyons de la part de ceux qui tentent de nous amalgamer aux choix de notre fondateur. Ah, l'invocation du « terrain » pour justifier ce cumul, comme si un député à plein temps ne pouvait pas mieux, précisément, aller régulièrement sur le terrain...
Voilà pourquoi le non à cette réforme n'est pas un refus « maximaliste », une envie de « toujours plus ». Ce refus est celui d'une réforme qui fait explicitement bifurquer notre pays vers un régime de confrontation brutale des pouvoirs démocratiques, à rebours de tous les standards européens dans lequel le modèle parlementaire s'est imposé. Et qu'on ne vienne pas dire que régime parlementaire = IVème république ! Tant d'Etats européens nous prouvent le contraire...
Voilà pourquoi il faut refuser, à mon sens, ce texte. Reste que la situation actuelle est insatisfaisante. La droite, par ce projet, a donné sa vision du changement. A la gauche désormais de repenser son logiciel institutionnel, et de le proposer ouvertement lors des prochaines échéances. Il y a une sacrée marge de manoeuvre pour être audacieux, par rapport à la soupe tiède qui nous est servie aujourd'hui. Cela demeure un chantier passionnant, qui doit être conduit en repensant toutes les zones d'ombre de notre pays où la démocratie ne parvient pas assez, le Sénat, certes mais aussi les médias, mais aussi l'entreprise, les droits de l'individus. Impliquer les citoyens, dépoussiérer la démocratie, oublier les comités de sages qui pensent pour nous, partager le pouvoir. Il y a du boulot. Et des associations qui y travaillent : la porte est ouverte.
Et maintenant, promis, je retourne à la science...