Mardi 20 novembre, à la XVIIe chambre du tribunal de Paris, s’est tenue l’audience du procès en diffamation intenté par Florence Woerth contre Arnaud Montebourg (pour un entretien paru dans l’Express) et Eva Joly (pour un entretien paru dans Mediapart), après une plainte déposée en juin 2010. Un mauvais moment pour l'épouse de l'ancien ministre qui a opportunément choisi de ne pas être présente.
Le principal débat a tourné autour de la participation ou non de Mme Woerth à la fraude fiscale réalisée par la société Clymene. Elle en était la directrice, sous les ordres du gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, Patrice de Maistre. La société ne comptait que cinq salariés et avait pour seule mission la gestion des dividendes de la fortune Bettencourt.
Florence Woerth n’a pas assisté à l’audience, contrairement à Arnaud Montebourg. Le ministre a fait citer à la barre un détective privé, qui est allé enquêter en Suisse et a dit avoir recueilli six témoignages dans les milieux bancaires, « un tiers des sources de la Tribune de Genève », qui attesteraient de la présence régulière de Mme Woerth en Suisse entre 2008 et 2009, alors qu’elle a toujours affirmé ne s’y être rendue qu’à deux seules reprises. L'avocat de Florence Woerth, Me Antoine Beauquier, a accusé ce détective de faux témoignage.
Devant le juge, Montebourg a maintenu ses propos, concluant son intervention ainsi : « Je suis en droit de m'interroger sur le caractère grave des agissements de ce couple, de me poser de graves questions sur leur honnêteté, et je ne parle pas d'honnêteté intellectuelle ». Il a aussi reproché à Eric Woerth d'avoir cumulé les fonctions de trésorier de l'UMP, par lesquelles il collectait des dons de personnalités fortunées, et parallèlement d'avoir créé à Bercy une cellule dite de « dégrisement » fiscal, chargée de négocier avec les évadés fiscaux une facture en l'échange d'absences de poursuites.
L’avocat d’Arnaud Montebourg, Christian Charrière-Bournazel, s’est lui étonné qu’aucun autre article de presse, notamment ceux de la presse suisse, n’ait jamais été attaqué par les époux Woerth.
Florence Woerth demande 50.000 euros de dommages et intérêts, estimant que dans cette affaire, elle avait été « ridiculisée, humiliée, utilisée politiquement pour nuire à son mari ». Elle demande que soit engagée la responsabilité de Mediapart (et non celle de l'Express), car le journaliste ayant réalisé l’interview, Stéphane Alliès, aurait « accentué le caractère diffamatoire » des propos d’Eva Joly, tout en ayant « opportunément volé à son secours », suite à une rectification de l’entretien.
Eva Joly nous avait demandé la rectification suivante, selon laquelle Florence Woerth « est employée dans une société qui a participé à l'évasion fiscale de la fortune Bettencourt », et non « sa femme a participé à l'évasion fiscale de la fortune Bettencourt ». Nous avions accepté cette modification, l’entretien n’ayant pas été enregistré et une ambiguïté subsistant dans la prise de notes. Cela avait été immédiatement mentionné dans la «boîte noire» de l’article (lire ici). A la barre, nous avons précisé qu’en cas de contestation de citation par un interlocuteur dans un article, si celle-ci n’a pas été enregistrée, nous n’avions pas d’autre choix que de s’incliner. L’avocate d’Eva Joly, Léa Forestier, a fait remarquer que le dépôt de plainte de Mme Woerth avait eu lieu après la modification de l’article, mais que les propos «véritablement tenus par Eva Joly n’ont pas été poursuivis».
Dans son réquisitoire, la procureure a demandé la relaxe de tous les prévenus. Si elle a jugé « discutable » l'existence d'une « enquête sérieuse » préalable aux accusations d’Arnaud Montebourg, elle a estimé que celles-ci se basaient sur une « base factuelle », celles de différents articles de presse ayant suivis les enregistrements pirates révélés par Mediapart.
Post Scriptum, le jeudi 22 novembre: dans la précipitation de ce compte rendu d'audience, nous avons malencontreusement oublié de mentionner la plaidoirie de notre avocat, Me Jean-Pierre Mignard, qui accompagne toutes les causes de Mediapart depuis l'origine. Toujours soucieux de la démocratie participative, Me Mignard a de lui-même réparé cet oubli sur le fil de commentaires. Ajoutons que sa plaidoirie, dans un dossier dérivé de l'affaire Bettencourt, a permis de rappeller avec précision le rôle décisif joué par les informations d'intérêt public révélées sur Mediapart, à partir des enregistrements du majordome de Liliane Bettencourt. Une plaidoirie qui inaugurait ce que Me Mignard, en notre nom, va bientôt plaider devant la chambre de l'instruction de Bordeaux où nous contestons les mises en examen qui nous été signifiées pour n'avoir fait non seulement que notre travail, mais de plus pour avoir permis, finalement, à la justice de faire le sien.