Le 14 janvier 2018, Mediapart publiait le premier de trois articles consacrés aux conditions de travail dans l’industrie du jeu vidéo. Cette série a été élaborée en partenariat avec CanardPC, un magazine indépendant respecté dans ce petit monde – qui reste peu habitué à être soumis à des enquêtes journalistiques sérieuses.
Ce premier article, rédigé par Mathilde Goanec et Dan Israel, portait sur Quantic Dream, l’une des entreprises françaises les plus connues du secteur. Nous y racontions comment des photomontages réalisés en interne – mettant en scène les salariés dans des poses parfois insultantes, misogynes ou pornographiques – avait déclenché l’émoi en interne. Nous dévoilions également plusieurs pratiques posant question, sur le plan du droit du travail notamment.
Pour cet article, Quantic Dream, son dirigeant, le charismatique créateur de jeux vidéo David Cage, et son numéro 2 Guillaume de Fondaumière ont lancé des poursuites en diffamation contre Mediapart et contre son directeur de la publication Edwy Plenel. Le 9 septembre 2021, plus de trois ans et demi après la publication, la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris, spécialisée dans les affaires de presse, a relaxé notre journal et son directeur. Quantic Dream a renoncé à faire appel, ce jugement est donc définitif.
Sept passages de notre article étaient poursuivis par Quantic Dream. Long de douze pages, le jugement (dont nous ne disposons pour l’instant que d’une copie de travail) commence par écarter trois de ces passages, qui ne contiennent rien de répréhensible pénalement.
Pour tous les autres passages, le tribunal a jugé, en se basant sur les documents que nous lui avons fournis pour attester du sérieux de notre enquête, que « les journalistes disposaient, pour chacune des imputations, d’une base factuelle suffisante ».
Ainsi du passage portant sur ce que nous avions qualifié de « vrai-faux licenciement » de M. de Fondaumière : fin 2016, il était licencié par David Cage d’un des deux postes qu’il occupait dans l’entreprise, sans pour autant quitter cette dernière, et tout en empochant plus de 100 000 euros d’indemnité, ainsi qu’une augmentation de salaire.
Le tribunal juge que Mediapart a rapporté « la preuve de la réalité du licenciement de Guillaume de Fondaumière », « la preuve qu’à la suite de ce licenciement, Guillaume de Fondaumière va percevoir plus de 100 000 euros » – plus exactement « un montant de 127 180, 85 euros, en partie brut » – et « la preuve qu’en dépit de ce licenciement intervenu en septembre 2016, Guillaume de Fondaumière est “resté dans l’entreprise” ». Il a enfin bien été augmenté, mais de « 1887,15 euros » par mois et non de « quelques milliers d’euros », comme nous l’avions écrit.
Quant aux procédures de licenciement de salariés étrangement similaires les unes aux autres, le tribunal nous donne également raison : « Il ne peut qu’être constaté que les différentes lettres de convocation à un entretien préalable à un licenciement, ainsi que les courriers de contestation en réponse et enfin les lettres de licenciement obéissent à une trame strictement identique de sorte que les formules de “courrier type” et de “procédure bien rodée” n’apparaissent pas excessives. »
Les juges ont également validé notre constat que des transactions financières entre l’entreprise et des salariés n’avaient pas été déclarées à Pôle emploi, ce qui est pourtant obligatoire.
Plus généralement, le tribunal a confirmé que tous les critères retenus par la jurisprudence pour attester de la « bonne foi » d’un travail journalistique étaient rassemblés : le thème de nos articles « représente un but légitime d’information, et même un sujet d’intérêt général » ; Edwy Plenel et les auteurs de l’article ne présentent « aucune animosité personnelle » vis-à-vis de l’entreprise ou de ses dirigeants ; la prudence et la mesure dans l’expression a été respectée dans l’article.
Enfin, le principe du contradictoire a été respecté : nous avions longuement rencontré David Cage et Guillaume de Fondaumière avant de publier notre article, où leurs réponses figurent d’ailleurs en bonne place, et « de nombreux salariés, dont des délégués du personnel, ou ex-salariés, ont été interrogés par les journalistes », souligne le jugement.
En résumé, le tribunal a reconnu que les auteurs de l’article ont effectué leur travail avec toute la rigueur attendue de journalistes professionnels.