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Chroniques de la violence judiciaire

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Billet de blog 4 septembre 2025

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Chronique d’audience – Un individu qui titube

Le prévenu a accosté quelqu’un pour avoir l’adresse d’un kebab, avant de lui donner un coup de poing. Le juge l’interroge : « Pourquoi est-ce que vous frappez les individus qui vous renseignent ? Le kebab était trop loin ? Il n’était pas ouvert ? Il n’y avait plus de sauce blanche ? »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, mars 2025

Malik H., 22 ans, comparait pour avoir, en état d’ivresse, donné un coup de poing à un passant. Le président l’interroge immédiatement :

« Vous êtes SDF, comment ça se fait ?

‒ J’ai été dégagé par mon père.

‒ Vous travaillez ?

‒ Non. »

Le président observe d’abord gravement que les faits reprochés sont « d’une grande banalité dans un monde d’hyper-violence », puis explique que le prévenu a accosté quelqu’un pour avoir l’adresse d’un kebab, avant de le frapper.

« Pourquoi est-ce que vous frappez les individus qui vous renseignent ?

‒ Je m’excuse. J’étais sous l’emprise de l’alcool.

‒ Le kebab était trop loin ? Il n’était pas ouvert ? Il n’y avait plus de sauce blanche ? »

Les gens rient dans la salle. Le prévenu se crispe.

– Il a dû mal me parler.

‒ Il a dû mal vous parler ! Pourtant, étant donné votre vécu, vous devriez savoir ce que ça représente, les violences gratuites.

Le prévenu le regarde en silence.

– Vous reproduisez sur les gens ce dont vous-même, vous vous êtes bien légitimement plaint à une époque !

‒ Vous parlez de mon agression, mais ce n’est pas la même chose, quand même !

‒ Certainement. Mais ça aurait dû tout de même vous amener à y réfléchir. En ce qui concerne les éléments de personnalité : vous n’avez pas de domicile, vous voulez travailler dans la restauration, vous êtes en recherche d’emploi, vous êtes célibataire et sans enfant.

Sur son casier judiciaire, différentes condamnations pour vol, recel, violences, agression sexuelle, conduite sans permis. La procureure se désole de l’inefficacité de la justice :

– Il a déjà eu six mois de bracelet pour des faits similaires. Manifestement ça n’a pas servi à grand-chose ! Et il est sous sursis probatoire depuis octobre 2024 avec une obligation de soin et une obligation de travail. Il a démontré que ces mesures ne servent à rien.

Le prévenu avait aussi été condamné dans une précédente affaire à trois mois de prison qui devaient être aménagés. La veille, la procureure a décidé de « mettre à exécution la peine », c’est-à-dire de le faire incarcérer. Ce qu’elle rappelle avant de demander dix mois de prison ferme pour l’audience du jour.

Sur les faits, l’avocat de la défense signale juste que, dans l’état où il était – « Il s’agit d’un individu bourré qui titube ! » –, son client ne représentait pas un danger :

– Et vous connaissez son dossier, le procès d’assises s’est tenu le mois dernier : il a été la victime de torture et d’actes de barbarie. Quand on a subi des violences pareilles, on n’en sort pas indemne physiquement et psychiquement. Il a beaucoup de mal à s’en remettre. On gère tous l’angoisse de manière différente. En ce qui concerne les stupéfiants, il a lutté et a réussi à se sevrer, mais l’alcool, c’est plus compliqué. On sait bien que l’alcool est utilisé comme un antidépresseur, même si ça ne marche pas sur le long terme. Il ne travaille pas mais il postule partout – je vous produis les candidatures. Mais c’est difficile pour quelqu’un comme lui qui n’a pas d’ancrage dans le milieu du travail. Il est accessible au sursis probatoire renforcé.

Malik H. est condamné à huit mois de prison. Qui s’ajoutent aux trois mois mis à exécution par la procureure.

*

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Le livre Sur la sellette, chroniques de comparutions immédiates est paru aux Éditions du bout de la ville ; le recueil est accompagné d'une postface sur l’histoire d’un outil d’incarcération de masse.

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