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Chroniques de la violence judiciaire

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Billet de blog 6 octobre 2022

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Sur la sellette - chroniques de la violence judiciaire

Depuis deux ans, nous nous asseyons dans la chambre des comparutions immédiates du tribunal de Toulouse. Les chroniques que nous en tirons ne sont ni des analyses de juriste, ni des récits de faits divers : ce que nous observons, c’est l’institution, pas les prévenu⋅es, présences fantomatiques réduites à une infraction et un casier judiciaire. Extrait de « Sur la sellette », qui vient de paraître.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Parce qu’on en avait parlé des heures avec Jonathan, qui est avocat, je suis allée un jour avec lui en comparution immédiate. Pour voir par moi-même.

Une volée de marches intimidantes nous élèvent jusqu’à l’entrée du palais de justice de Toulouse. Il faut passer la sécurité : portiques et rayons X. La salle des pas-perdus en impose, vaste pièce monumentale, haute de plafond. Béton, verre, acier et briques roses pour la touche locale.

On est traversés en vrac par ce que veut nous dire l’institution : autorité, pouvoir, transparence – la justice n’a rien à cacher.

Les audiences de comparutions immédiates se tiennent salle 4. Avec Jonathan, on s’assoit dans le public. On attend. Je me demande un peu ce que je fais là. Autour de nous, il y a beaucoup de monde. Certain⋅es sont là pour se distraire – visiblement des habitué⋅es ; d’autres, graves et inquiet⋅es, ont un⋅e proche qui va être jugé⋅e dans l’après-midi. Tout devant, les gens de justice virevoltent en commentant leur week-end. La cloche sonne, on se lève, l’huissier annonce : « Le tribunal ! », les trois juges entrent, des policiers amènent le premier prévenu dans le box en plexiglas. L’audience est ouverte.

On passe l’après-midi là, mal à l’aise, à regarder des bourgeois⋅es juger des pauvres et les envoyer en prison — parfois pour des années — après un absurde procès de vingt minutes.

Pourtant le protocole se veut solennel : les magistrats sont dignement installé⋅es sur une estrade dans une salle de belles proportions ; les gens de justice portent tous une curieuse robe noire à bavette ; l’huissier et les agents de sécurité rappellent vigoureusement à l’ordre ceux qui restent assis à l’arrivée du tribunal ; les policiers enlèvent les menottes du prévenu dans le box « parce qu’on doit comparaitre libre devant ses juges » — ils les remettent à la sortie ; et quand un des prévenus s’avise de vouloir prendre la parole pendant les réquisitions du procureur, le tribunal s’étouffe d’indignation, lui qui ne laisse que rarement les accusé⋅es finir une phrase.

Ce décorum ne masque pas la violence de l’institution judiciaire : face aux prévenus, la jeune procureure montre un bizarre mélange d’indignation morale et d’ennui. Elle demande des peines de prison comme on achète du pain, déclarant à propos de n’importe quel vol de téléphone que « les faits sont très graves ».

Depuis leur estrade, les juges incarcèrent avec autant d’indifférence que la procureure réclame de la prison ferme. Il faut dire que tout ce beau monde a des tas de choses en commun : ils et elles ont fait la même école, mangé dans la même cantine, et partagent d’ailleurs le même étage du palais de justice. Au milieu siège le président, qui mène les débats.

Des avocat⋅es qui ont pris connaissance du dossier quelques heures seulement auparavant défendent les personnes poursuivies. Désinvolture pour certain⋅es, manque de temps pour d’autres, la défense est souvent mince.

À la fin de la journée, tous les prévenus ont été envoyés en prison. Rapide calcul : treize prévenu⋅es, cinq jours par semaine, la plupart incarcéré⋅es, la salle 4 envoie à la prison de Seysses 2 000 à 3 000 personnes par an. Et c’est la même chose dans la plupart des grandes villes.

Les comparutions immédiates remplissent les prisons.

Nous avons décidé en 2020 de rendre compte de ce qui se passe dans la salle 4 du tribunal de Toulouse sur un blog : LaSellette.org. Les chroniques qui composent ce livre en sont tirées, elles ne sont ni des analyses de juriste — commentaire pénal de la prestation des gens de justice — ni des récits de faits divers : ce que l’on observe ici, c’est l’institution, pas les personnes dans le box. Celles-là, présences fantomatiques réduite à une infraction et un casier judiciaire, se défendent comme elles peuvent. Mais qu’elles reconnaissent ou qu’elles nient, qu’elles s’excusent ou qu’elles implorent, elles ne seront de toute façon jamais crues.

Le livre Sur la sellette, chroniques de comparutions immédiates vient de paraître aux Éditions du bout de la ville ; le recueil est accompagné d'une postface sur l’histoire d’un outil d’incarcération de masse.

Retrouvez toutes nos chroniques, nos articles thématiques et nos podcasts sur LaSellette.org.

Sur la sellette, chroniques de comparutions immédiates vient de sortir aux Éditions du bout de la ville.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.