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Chroniques de la violence judiciaire

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Billet de blog 10 décembre 2025

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Chronique d’audience – Elle reste responsable

Le procureur reconnaît que la « décompensation psychotique » évoquée dans l'expertise psy semble désigner quelque chose de grave. Mais il note surtout que, pour l’expert, la prévenue reste responsable de ses actes. Ce qui veut dire qu'on peut l’envoyer en prison.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, septembre 2025

Une jeune femme est amenée dans le box. Son avocate s’avance près de l’estrade pour parler à voix basse au président, qui résume à la cantonade :

— Vous vouliez demander une expertise psychiatrique, mais votre cliente refuse.

Et puisque la prévenue veut être jugée immédiatement, il commence sans plus attendre :

— Vous êtes née en 1999 à Aubervilliers, vous êtes SDF, vous êtes sans profession, vous touchez l’allocation adulte handicapé – c’est votre seul revenu. Et vous êtes célibataire.

La prévenue comparait pour outrage, menaces de mort et violences contre un policier. Le tout en état de récidive pour avoir déjà été condamnée 3 mois plus tôt.

— Les faits se sont passés à Empalot en fin de journée. Un couple était là avec un bébé dans une poussette. Elle a voulu prendre le bébé en disant que c’était le sien. Ses parents ont appelé la police. À leur arrivée, madame leur a confirmé qu’elle voulait récupérer son enfant. Elle était très agitée et a commencé à les insulter. Quand ils l’ont interpellée, elle s’est débattue et a mordu l’un des fonctionnaires de police.

Le président montre une photo de la trace de la morsure à ses deux assesseuses.

— En garde à vue, elle a eu des déclarations confuses. Elle a déclaré qu’elle était venue à Empalot pour récupérer sa fille de 9 ans : « J’ai accouché en France mais je ne me rappelle pas quand. J’ai reconnu son odeur, j’ai senti son pied. » Qu’avez vous à dire de ces faits ?

— J’avais la haine. Je voulais récupérer ma fille et ma vie d’avant.

— Pourquoi reconnaissiez-vous un enfant qui n’est pas le vôtre ?

— Si ! C’est mon enfant ! Je ne suis quand même pas folle. C’est moi qui ai mis ça en place avec cette dame.

— Qui est cette dame ?

— Je ne sais plus. Il s’est passé tellement de choses dans ma vie.

— Elle est née quand, votre fille ?

— Je ne sais plus.

— En quelle année ?

— En 2025.

— Quel mois ?

— Je ne sais plus.

— Concernant votre attitude avec le policier…

— Ce n’est pas contre eux. Ce n’est pas personnel. Ils m’ont poussée à bout. La dernière fois ils m’ont rendu mes baskets sans mes lacets !

— Vous aviez déjà mordu le mollet d’un policier. Apparemment vous avez la morsure facile ! Et vous avez été condamnée à du sursis probatoire en juillet dernier pour avoir craché sur un policier. Il va falloir que ça s’arrête ! Il n’y a pas d’expertise psychiatrique dans ce dossier. En revanche nous disposons de l’expertise du procès de juillet dernier qui a conclu à une altération du discernement. L’expert a parlé d’une « décompensation partielle psychotique, qui prend place dans le cadre d’une rupture thérapeutique et de consommation de toxiques ». [Il se tourne vers la prévenue] Est-ce que vous prenez des médicaments ?

— J’en prenais.

— Lesquels ?

— Je connais pas les noms. Je m’en fous. J’ai pas confiance.

Le président continue de lire des bribes de l’expertise de juillet dernier :

— Madame a été hospitalisée pour la première fois en 2020 à Dijon… Elle dit avoir été abusée à plusieurs reprises… Elle consomme du cannabis de manière régulière… [Relevant la tête] Vous vivez à la rue ?

— Je vais dans des Airbnb quand j’ai de l’argent. Sinon, oui, je suis à la rue.

— Vous êtes suivie par un psychiatre ?

— Oui j’en avais un mais je ne sais plus qui c’est. Et le centre médico-psychologique, c’est tout le temps fermé. J’ai voulu y aller cet été, mais c’était pas ouvert.

Le procureur intervient pour signaler qu’il y a eu aussi un rappel à la loi pour un outrage à Dijon en 2022.

— Vous n’aimez pas trop la police. Ou l’autorité. Ou les deux !

— Je suis un peu rebelle, mais je fais pas peur. Les policiers, ils me rigolent dessus. Tout ce que je fais, c’est me défendre. Je n’ai jamais été une grande délinquante, je n’ai jamais redoublé.

Au début de ses réquisitions, le procureur est navré :

— Ça nous montre la faiblesse des moyens psychiatriques en France. Trop souvent comparaissent devant ce tribunal des personnes qui relèvent de l’hospitalisation psychiatrique.

Mais le ton change rapidement :

— Cependant madame ne prend pas ses médicaments et elle consomme des stupéfiants.

Il reconnaît bien volontiers que l’expression « décompensation psychotique » utilisée dans l’expertise psychiatrique de juillet dernier semble désigner quelque chose d’assez grave. Mais il note surtout que l’expert n’a pas déclaré le discernement de la prévenue aboli, mais seulement altéré. Ce qui veut dire qu’elle reste responsable de ses actes !

D’autant plus qu’à son avis, la justice ne l’a pas prise en traître :

—Madame a eu un rappel à la loi en 2022 où on lui a bien dit de se comporter correctement ! Elle a été condamnée à 6 mois de sursis probatoire en juillet dernier. C’est quelqu’un dont le profil est inquiétant parce qu’elle n’est pas dans la réalité. Sa situation psychiatrique est compliquée : elle dit d’un côté qu’elle voudrait se soigner mais que le centre médico-psychologique est fermé. Mais elle dit en même temps qu’elle n’aime pas les médicaments. Par ailleurs, elle n’a aucune garantie de représentation. Je demande 4 mois ferme. Ainsi que la révocation de 3 mois de sursis. Il faut qu’elle profite de son temps d’incarcération pour mettre en place des soins – peut-être contraints – au sein de la maison d’arrêt.

L’avocate de la défense explique que sa cliente a décompensé pour la première fois le 20 juin 2025.

— C’est une enfant placée. Quand elle a eu 18 ans, l’aide sociale à l’enfance lui a payé un logement jusqu’à ses 21 ans en tant que pupille de l’État. Et après elle s’est retrouvée seule. Il y a effectivement eu trois faits en peu de temps mais il ne faut pas oublier toutes ces années sans infraction. Elle a vécu des choses difficiles : l’absence de ses parents, la violence, l’instabilité !

Elle rappelle que sa cliente ne sera pas suivie à Seysses pour ses troubles psychiatriques, étant donné que le délai pour obtenir un rendez-vous est de trois, voire quatre mois, comme l’a établi un rapport récent de la Contrôleure générale de lieux de privation de liberté.

Elle demande donc au tribunal de ne pas l’envoyer en prison, mais d’aménager la peine pour qu’elle puisse aller voir un psychiatre.

Le tribunal la condamne à 4 mois de prison ferme avec maintien en détention. Le président s’en explique :

— Cette peine intervient après d’autres peines qui auraient dû être dissuasives parce qu’elles étaient significatives.

En comprenant la peine, la prévenue s’affole :

— Non, je vais pas en prison !

— Il va falloir arrêter de mordre les fonctionnaires de police !

— Je fais pas 4 mois, je vous le dis ! Je fais pas 4 mois en prison !

Le président s’adresse aux policiers qui encadrent la prévenue dans le box :

— On va évacuer madame rapidement pour ne pas que le tribunal s’agace.

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Le livre Sur la sellette, chroniques de comparutions immédiates est paru aux Éditions du bout de la ville ; le recueil est accompagné d'une postface sur l’histoire d’un outil d’incarcération de masse.

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