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Chroniques de la violence judiciaire

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Billet de blog 19 avril 2025

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Chronique d’audience – Un box vide

L’avocat de la défense signale que le curateur de son client n’a pas été avisé : « C’est obligatoire ! Ça aurait pu être une clause de nullité ! » Mais le président n’est pas d’humeur légaliste : « Entre ce qui est obligatoire et ce qui est pertinent… »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, mars 2025

Le prévenu, en détention provisoire, n’est pas dans le box. Il a refusé qu’on l’extraie de sa cellule. Qu’importe, il sera jugé tout de même. Le président résume les faits :

— Les agents de la compagnie de transport l’ont trouvé torse nu dans un bus, en train de tenter de le démarrer. Ils lui ont demandé de sortir. Il a refusé, puis les a menacés en sortant une seringue, avant qu’ils réussissent à le maîtriser. Il y a visiblement une petite paranoïa – même si l’expertise psychiatrique ne dit rien là-dessus –, parce qu’en garde à vue, il donne des raisons ésotériques : il a fait ça pour se venger d’un agent qui lui aurait donné des coups de ranger quand il était SDF…

Une affaire plus ancienne, qui devait initialement être jugée dans une procédure bien moins expéditive, sera finalement jugée en même temps : quelques mois plus tôt, il a crevé les pneus d’une voiture. Là aussi, a-t-il dit en garde à vue, « pour se venger d’un agent de sécurité ».

Le président décrit ce qu’il a retenu des éléments de personnalité :

— C’est un toxicomane, qui s’injecte de la cocaïne dans les veines. Il consomme aussi du Subutex et du Valium. Il dit avoir un cancer du poumon, une cirrhose et une hépatite. C’est à se demander pourquoi il n’est pas encore mort ! D’ailleurs, il le dit : il lui tarde de mourir.

Sur son casier, 18 condamnations : contrefaçon, violences, menaces, port d’arme, séquestration, outrage, rébellion… Le président signale bien que le tribunal a été contraint d’ordonner une expertise psychiatrique, étant donné que le prévenu est sous curatelle :

— L’experte conclut à un trouble grave de la personnalité et à une altération générale de son état. « Sa dangerosité criminelle est avérée en raison de ses addictions et de son impulsivité. » Elle considère en revanche que son entendement n’est ni aboli ni altéré et qu’il est donc accessible à une sanction pénale.

En clair, l'experte le déclare responsable de ses actes, le tribunal a donc le droit de l'envoyer en prison. Le président feuillette le dossier :

— De quoi vit-il ? Ah, de l’allocation adulte handicapé. 1 070 € ! Voilà le parcours de vie de Monsieur.

Pour la procureure, l’expertise – « très inquiétante » – vient confirmer le casier et les passages réguliers devant les tribunaux. Elle demande 12 mois de prison et le maintien en détention.

Comme le prévenu n’est pas là, le président demande à l’avocat d’être bref. Celui-ci commence par signaler que le curateur de son client n’a pas été avisé :

— Alors que c’est obligatoire ! Ça aurait pu être une clause de nullité !

Qu’il n’a apparemment pas souhaité soulever. Mais le président n'est pas d’humeur légaliste :

— Entre ce qui est obligatoire et ce qui est pertinent…

Pour l'avocat, ça veut juste dire que la justice ne veut pas s'embêter avec un homme qui a 18 condamnations.

— C’est un homme qui a été violé par un membre de sa famille à 7 ans, qui a 16 ans quand son père décède et que sa mère le met à la porte. Depuis il fait des allers-retours entre la rue et hôpital. On voit bien qu’il est dans une situation de délire. L’experte nous parle d’un « trouble grave de la personnalité », d’une « altération de son état général », mais l’entendement, ça va !

Assez pour aller en prison visiblement : le prévenu est condamné à 12 mois de prison et maintenu en détention.

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Le livre Sur la sellette, chroniques de comparutions immédiates est paru aux Éditions du bout de la ville ; le recueil est accompagné d'une postface sur l’histoire d’un outil d’incarcération de masse.

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