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Billet de blog 9 février 2024

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Presse indépendante : histoire de récits

Suite au billet de François Bonnet sur les médias indépendants, la rédaction du mensuel L'âge de faire a souhaité réagir. Car lorsqu'on est d'accord à 95 %, il est essentiel de s'écharper sur les 5% restants !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cher François,

nous venons de lire avec grand intérêt le texte que tu as écrit au nom du Fonds pour une presse libre (FPL) pour le magazine Projet. Nous partageons ton constat sur l’état plus que préoccupant des médias français. Le Conseil national de la Résistance nous avait pourtant prévenus : il fallait à tout prix assurer « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères ». Force est de constater, en tout cas pour les deux premiers impératifs, que l’échec est gigantesque. Les milliardaires se partagent entre eux les médias français et, lorsqu’ils ne les possèdent pas directement, prennent des participations ou se rendent économiquement indispensables à travers l’achat d’encarts publicitaires.

Nous avons néanmoins cru bon de te répondre, car nous sommes en désaccord avec le récit que tu fais de l’évolution récente du secteur. Ce récit, quel est-il ? En gros : au début du XXIe, le paysage médiatique est tel que décrit plus haut : concentré, sans réelle pluralité, sous contrôle… Jusqu’à ce que, « Le 16 mars 2008, un ovni atterri[sse] dans ce paysage. Un journal 100% numérique, refusant la publicité, les subventions publiques et privées, et dont le projet éditorial comme le modèle économique sont contraires à toutes les doxas de l’époque, à toutes les certitudes des grands patrons ». Le journal numérique dont tu parles, c’est évidemment celui que tu as co-fondé, Mediapart. C’est lui qui a « dessiné un possible ». Et ainsi, désormais, « d’autres le font à leur manière », « dans le sillage de Mediapart ».

Que tu sois fier d’avoir participé à la création de ce média, nous le comprenons. Franchement, il y de quoi ! Il joue incontestablement un rôle essentiel, et nous ne pouvons que nous réjouir de son existence et de sa solidité. Au sein de notre rédaction, certains ont même écrit, à l’occasion, des articles pour Mediapart. C’est bien que nous l’apprécions ! De là à en faire l’élément déclencheur d’un renouveau, une sorte de grand-frère des médias indépendants, il y a un pas…

En effet, nous travaillons dans un journal tout aussi indépendant que Mediapart : L'âge de faire. Pour garantir son indépendance, nous avons créé une Scop, ce qui nous permet, nous les sept salarié·es de l’entreprise, d’avoir un contrôle absolu sur notre outil de travail. Ni Arnault, ni Niel, ni Drahi, ni qui que ce soit d’autres : il n’y a que nous ! Et puis, nous refusons toute publicité, car nous savons à quel point elle aurait pu, elle aussi, nous mettre en situation de dépendance. Pour vivre, nous ne comptons que sur nos lecteurs, nos lectrices, et nos « diffuseurs ». Autant te dire que nous aussi, nous allons à l’encontre de « toutes les doxas », et même pire : alors que pour à peu près tous les « spécialistes » des médias, l’avenir se trouve « évidemment » sur internet, L’âge de faire s’acharne à proposer… un journal papier !

Le canard a été lancé en 2005, trois ans avant Mediapart. Depuis, chaque mois, nous proposons des analyses, des reportages, des infographies, des chroniques, des interviews, et des dossiers sur des thèmes dont tu pourras juger de la diversité en lisant les titres des derniers parus : « Ce que nous disent les plantes sauvages », « Contre-propagande olympique » (en opposition aux Jeux de Paris 2024), « Bas les armes ! » (sur l’antimilitarisme), « Plein feu sur la lumière » (sur la lumière et l’éclairage), « qu’est-ce qu’IA ? » (sur les dangers de l’intelligence artificielle), « Sous le béton, la paille » (sur l’utilisation de la paille dans la construction)… Notre credo : mettre en lumière celles et ceux qui se bougent, encourager les résistances, lutter contre toute résignation, changer les imaginaires.

Nous faisons le journal que nous avons envie de faire, et nous pensons proposer un canard à nul autre pareil. N’y voit là aucune prétention : nous sommes des dizaines de journaux indépendants à proposer des choses uniques et à faire vivre une vraie pluralité, partout en France, comme tu peux le vérifier sur notre « Carte de la presse pas pareille ». Nombre d’entre-eux sont d’ailleurs imprimés sur du papier, « à l’ancienne », et c’est un autre point de désaccord que nous avons peut-être : nous ne sommes pas du tout certains que l’avenir des médias indépendants s’écrira forcément sur des écrans, même s’il faut bien avouer que le capitalisme 2.0 pousse de toutes ses forces dans cette direction. Nous n’aimons pas tellement l’idée que la survie de cette presse passe par l’ « innovation », terme trop libéral à notre goût, qui renvoie à l’utilisation de nouvelles technologies. Nous lui préférons celui d’ « inventivité » : des solutions sont à trouver dans nos cervelles, et non dans celles des ingénieurs de la Silicon Valley.

Voilà, cher François, en toute amitié, ce que nous souhaitions exprimer. Pour finir, sache que nous venons de créer, avec une petite dizaine d’autres titres* (mais tous les autres sont les bienvenus!), le « Syndicat de la presse pas pareille ». Car dans cette galaxie de la presse indé, nous ne nous sommes jamais sentis « concurrents » les uns des autres. Au contraire, nous sommes persuadés, comme toi, que c’est en nous regroupant que nous pourrons diffuser nos idées à plus grande échelle. Bref, comme tu le vois, nous sommes, à 90 %, sur la même longueur d’ondes. [Et même 95 %, puisqu’au moment de mettre ce texte en ligne, nous découvrons ta dénonciation de l’enfumage des « états généraux de l’information » avec laquelle nous sommes entièrement d’accord.] Il est donc normal que, comme de tradition, nous prenions la plume pour nous écharper sur les 5 % restants !

L’année prochaine, si tout se passe bien, L’âge de faire célébrera ses 20 ans d’existence. Pour que la fête soit belle, il faudra que le journal existe toujours et si possible qu’il ne soit pas, comme souvent, au bord du gouffre financier. Alors, profitons de ce billet pour alerter tous les copains et toutes les copines de la presse indé : pour poursuivre notre combat pour un monde meilleur et notre lutte contre la résignation, nous avons besoin de toujours plus d’abonné·es : par ici les ami·es !

La rédaction de L’âge de faire

À ce jour, le Syndicat de la presse pas pareille regroupe L’âge de faire, Fakir, S!lence, L’empaillé, Mouais, Transrural, Le Chiffon. Que du beau monde !

adf-carte-ppp-nov-2022-poster-a2 (pdf, 4.5 MB)

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