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Billet de blog 27 novembre 2025

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Désamorcer la haine

Le 25 mars 2023, nous étions à Sainte-Soline, dans le marais poitevin, où 30 000 personnes manifestaient contre les méga-bassines. 30 000 personnes de tous les âges, et aux intentions hétérogènes.

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Pour beaucoup, il s’agissait simplement de défiler pacifiquement, et même en fanfare. Pour quelques-uns, de saboter la mégabassine de Sainte-Soline, illégale et pourtant protégée par l’État. Et pour une petite partie, de faire face aux forces de l’ordre, y compris en répondant à leur violence. Mais leur volonté était commune : protéger l’eau, le marais, ses plantes et ses animaux, en dépit de l’interdiction de manifester opposée par la préfecture.

Babette et Tiénou, 67 et 70 ans, étaient sur place eux aussi. « L’objectif était de rentrer dans un trou vide, pour y planter un drapeau, chanter et repartir ailleurs. C’était pour beaucoup une première occasion d’exprimer ses inquiétudes sur l’accaparement de l’eau », nous ont-ils écrit récemment, encore choqués par cette journée. 
« 3 200 gendarmes nous attendaient, qui ont fait usage de leur puissance de feu d’une manière indiscriminée, c’est-à-dire en assumant la possibilité de tuer, avec une violence inouïe qui nous a placés dans un état de sidération : voir s’écrouler des manifestants touchés par les projectiles des gendarmes, entendre les cris d’appels à l’aide couverts par le bruit des explosions et des hélicoptères, repartir enfin en découvrant les cratères de la taille d’un saladier formés par l’explosion des grenades, lancées donc derrière nous et que nous aurions pu recevoir à tout instant », se souviennent Babette et Tiénou.

Sans avoir été blessés physiquement, tous deux ont mis du temps à se remettre de cette « violence subie, de cette force énorme dont on attendrait qu’elle nous protège plutôt qu’elle nous agresse. Renouvelée par un discours mensonger et insultant du ministre Darmanin : nous l’avions bien cherché, nous ne devions pas être là et nous sommes coupables de ce que nous avons subi ».

Le site Mediapart et le journal Libération ont révélé des vidéos filmées par les caméras des gendarmes mobiles, qui montrent à quel point cette violence a été volontaire, assumée et encouragée. Les paroles enregistrées font froid dans le dos. Ordres multiples et répétés, de la part des chefs de compagnie, d’effectuer des « tirs tendus », pourtant illégaux car potentiellement mortels. Jubilation des gendarmes – « je kiffe, j’ai signé pour ça » – de savoir que des manifestants ont été gravement blessés par leurs tirs. Indifférence au risque de mutiler des enfants – « c’est le jeu, il fallait pas les emmener ». 
L’impunité des responsables militaires et politiques, et le mépris des forces de l’ordre pour la vie des manifestants, en disent long sur l’état de notre société. Sans compter que dans de nombreux quartiers populaires, les habitants, et en particulier les jeunes, n’ont même pas à manifester pour subir, au quotidien, mépris et violence policière. Il va nous falloir être inventifs, unis et solidaires, partout et tout le temps, pour désamorcer toute cette haine explosive.

Lisa Giachino (édito du journal L'âge de faire n° 212, décembre 2025)

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L'âge de faire n° 212, décembre 2025

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