Les publications se multiplient, pas seulement dans le Club de Médiapart et sur les fils de commentaires, mais aussi sur les réseaux sociaux, et sur le forum de nombreux organes de presse, pour répandre une légende urbaine: Marine le Pen serait la candidate des ouvriers contre le candidat de l'oligarchie.
Beaucoup des propositions de Marine le Pen reprendraient celles des Insoumis.
Il serait donc logique, lorsqu'on a voté Mélenchon au premier tour, de voter Le Pen au second.
Discours inouï, que personne n'aurait osé tenir il y a trente ans, à une époque où il était limpide, pour tout le monde, que l'extrême-droite avait toujours été l'ennemie du mouvement ouvrier.
Comment a-t-on pu en arriver, dans de larges secteurs de l'opinion, à une pareille confusion ?
La première responsabilité, il faut le rappeler, est celle de politiciens prétendument socialistes qui, depuis plus de trente ans, mènent systématiquement, dés qu'ils accèdent aux responsabilités, une politique favorable aux banques et aux grandes entreprises.
Et n'hésitent jamais à cogner sur ceux qui les ont amenés au pouvoir.
Le quinquennat Hollande, dans ce domaine, atteignit des sommets, de CICE en loi "travaille !", en passant par l'ahurissante séquence de la déchéance de nationalité; mais le gouvernement Jospin fut déjà celui qui privatisa le plus d'entreprises publiques, et dont la politique scolaire s'incarna dans un homme dont le nom suscite encore la colère chez les professeurs: Claude Allègre.
Pour les jeunes, le mot "gauche" n'a donc plus du tout le sens qu'il avait encore dans les années 1970.
La gauche de la Commune et du Front Populaire, et même celle de mai 1968 ( je parle de la plus grande grève générale de l'histoire française, et pas seulement des bagarres au Quartier latin) , c'est de l'histoire ancienne, qu'on ne trouve plus que dans des livres aux pages jaunies, ou des documentaires en noir et blanc.
La seule "gauche" que les moins de quarante ans ont connue, dans la vie réelle , c'est une gauche qui mène une politique de droite dés qu'elle est portée au pouvoir par ses électeurs, qu'elle trahit systématiquement.
D'où l'idée de Marine Le Pen: puisque la gauche dite de gouvernement s'affiche aujourd'hui aux côtés du MEDEF, pourquoi ne pas, tel un coucou, se glisser dans la place laissée vacante, dans le nid encore chaud, et reprendre le drapeau, tombé à terre, abandonné, de la défense des ouvriers ?
Vieille ficelle, en réalité.
Rappelons ici deux précédents.
1) le programme de Sansepolcro
C'est le premier programme des Faisceaux Italiens de Combat, rebaptisés plus tard Parti national Fasciste.
Il est adopté le 23 mars 1919, à l'issue d'une réunion qui se déroule dans une salle prêtée par le Cercle des Intérêts Industriels et Commerciaux, à Milan, place du saint Sépulcre.
Que promet ce texte ?
Pas du tout un régime totalitaire, un parti unique, l'incarcération, la déportation et l'assassinat des opposants, l'huile de ricin et le manganello comme méthodes de gouvernement, l'omniprésence et l'omnipotence des chemises noires, l'attaque de l'Ethiopie...
Non, rien de tout cela.
Le tout premier programme fasciste promet
- Pour le problème politique :
- 1. Le suffrage universel à scrutin de listes régionales avec une représentation proportionnelle, le droit de vote pour les femmes.
- 2. La suppression du Sénat
- 3. La convocation d'une assemblée nationale pour la durée de trois ans dont la première tâche sera celle d'établir la forme constitutionnelle de l'État.
- 4. Création de Conseils nationaux techniques qui prolongeront et perfectionneront la démocratie politique, suivant les conceptions dont s'est inspiré, en Bavière, Kurt Eisner.
- Pour le problème social :
- 1. La promulgation d'une loi d'État qui donne à tous les travailleurs une journée légale de huit heures de travail.
- 2. Un salaire minimum.
- 3. La participation des représentants des travailleurs au fonctionnement technique des entreprises.
- 4. Retraite pour les vieux travailleurs à 55 ans.
- Pour le problème militaire :
- 1. Le Remplacement de l'armée permanente par une milice nationale avec de courtes périodes d'instruction et dans un but purement défensif.
- 2. Nationalisation de toutes les fabriques d'armes et de munitions.
- 3. Politique extérieure nationale tendant à valoriser, dans une émulation pacifique des peuples civilisés, la Nation italienne dans le monde.
- Pour le problème financier :
- 1. Impôt extraordinaire sur le capital, fort et massif, ayant le caractère d'une vraie expropriation partielle de toutes les richesses.
- 2. La confiscation de tous les biens des congrégations religieuses et l'abolition de toutes les menses épiscopales qui constituent un énorme passif pour la Nation et un privilège pour peu de privilégiés. Révision de tous les marchés de guerre avec prélèvement de 85 % sur les bénéfices.
Ce programme suscite les critiques des élites italiennes ; après l'échec de l'union avec des formations de gauche interventionnistes et la réorientation droitière de 1920, Mussolini se ralliera à la monarchie et au libéralisme économique et en minorera l'importance : « notre programme, c'est le fait ».
(source: Wikipedia)
Dans sa comédie La Marche sur Rome, Dino Risi mettra en scène deux anciens combattants devenus "chemises noires" parce qu'ils croient à ce programme, qui constatent qu'aucune de ces promesses n'est tenue, et finissent par s'enfuir.

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2) le programme en 25 points
C'est le premier programme du NSDAP, présenté en février 1920 par Adolf Hitler.
Là encore, on multiplie les promesses qui ne dépareraient pas dans un programme de gauche.
Extraits:
12. Considérant les énormes sacrifices de sang et d'argent que toute guerre exige du peuple, l'enrichissement personnel par la guerre doit être stigmatisé comme un crime contre le peuple. Nous demandons donc la confiscation de tous les bénéfices de guerre, sans exception.
13. Nous exigeons la nationalisation de toutes les entreprises appartenant aujourd'hui à des trusts.
14. Nous exigeons une participation aux bénéfices des grandes entreprises.
15. Nous exigeons une augmentation substantielle des pensions des retraités.
16. Nous exigeons la création et la protection d'une classe moyenne saine, la remise immédiate des grands magasins à l'administration communale et leur location, à bas prix, aux petits commerçants. La priorité doit être accordée aux petits commerçants et industriels pour toutes les livraisons à l'État, aux Länder ou aux communes.
17. Nous exigeons une réforme agraire adaptée à nos besoins nationaux, la promulgation d'une loi permettant l'expropriation, sans indemnité, de terrains à des fins d'utilité publique - la suppression de l'imposition sur les terrains et l'arrêt de toute spéculation foncière.
18. Nous exigeons une lutte sans merci contre ceux qui, par leurs activités, nuisent à l'intérêt public. Criminels de droit commun, trafiquants, usuriers, etc. doivent être punis de mort, sans considération de confession ou de race.
(...)20. L'extension de notre infrastructure scolaire doit permettre à tous les Allemands bien doués et travailleurs l'accès à une éducation supérieure, et par là à des postes de direction. Les programmes de tous les établissements d'enseignement doivent être adaptés aux exigences de la vie pratique. L'esprit national doit être inculqué à l'école dès l'âge de raison (cours d'instruction civique). Nous demandons que l'État couvre les frais de l'instruction supérieure des enfants particulièrement doués de parents pauvres, quelle que soit la classe sociale ou la profession de ceux-ci.
21. L'État doit se préoccuper d'améliorer la santé publique par la protection de la mère et de l'enfant, l'interdiction du travail de l'enfant, l'introduction de moyens propres à développer les aptitudes physiques par l'obligation légale de pratiquer le sport et la gymnastique, et par un puissant soutien à toutes les associations s'occupant de l'éducation physique de la jeunesse.
(Source: wikipédia).
On voit donc que la technique qui consiste, pour l'extrême-droite, à se prétendre au service du peuple, n'est pas nouvelle.Par contre, si quelqu'un peut citer un seul exemple d'une extrême-droite au pouvoir qui n'aurait pas combattu férocement le mouvement ouvrier, et même aurait fait avancer ses revendications, je suis intéressé...