La légion d'honneur aux kanaks !
Ça ne tiendrait qu'à moi, je donnerais la légion d'honneur aux combattants kanaks. Mais les détenus de droit commun ? Que faire de ce kanak interpellé, on en a froid dans le dos, au volant d'un véhicule sans permis de conduire ?
La légion d'honneur aux kanaks, le bagne pour Sarko
Très bien, et si on interchangeait ? Et si on envoyait Sarko au Camp Est, le centre pénitentiaire de Nouméa ? Et si on « faisait mal » aux kanaks désobéissants (puisqu'on entend partout que ça fait mal) en leur retirant – préventivement – la légion d'honneur ? https://www.mediapart.fr/journal/france/181224/legion-d-honneur-le-dossier-de-radiation-de-nicolas-sarkozy-est-pret
« Deux poids deux mesures », « justice de classe », « délinquance en col blanc », « bagne d'un autre âge » : les mots ne sont pas assez forts. D'un côté, un kanak condamné au bagne, à la mise à mort psychique, mentale, sociale pour avoir... : mal conduit ? Même pas ! Le bagne pour avoir conduit sans le bout de papier officiel l'autorisant à le faire. De l'autre, un président de la république à la criminalité tentaculaire condamné à une légère vexation symbolique (se voir décrocher quelques bijoux de la chemise, ouille ça fait mal entend-on dire partout, porter un ruban à la cheville pendant une jolie petite année), bref condamné à une être égratigné dans son orgueil. Condamné pour « corruption », dit-on, mais quels sont les effets en chaîne de cette corruption, pour combien d'années, et pour combien d'entre nous ?
Torturé pour avoir conduit sans papier
Sarko aussi, il lui manquait pas mal d'autorisations officielles, non ? Condamné pour récidive, conduite sans permis. Donc : condamné au bagne, à dormir par terre parmi les rats, les cafards, les asticots et les mille pattes, sans air frais, sans lumière, à ne plus voir ses proches, à tomber malade, à risquer le « suicide », en fait une lente exposition à la mort par l'institution pénitentiaire. L'exposition à la destruction physique, mentale, sociale pour... conduite sans permis de conduire, ce bout de papier officiel délivré par l’État.
J'aurais bien aimé savoir, moi, si Gérald* utilisait la voiture pour se rendre au travail. S'il conduisait bien ou mal. S'il avait effectivement causé un accident ou non, personne n'a été blessé. Et les circonstances dans lesquelles il avait été arrêté : moi, en 20 ans de conduite, je n'ai jamais été contrôlée, pas une seule fois. Conduire sans permis, la plupart du temps, ça veut dire qu'on s'est débrouillé pour apprendre seul, avec des proches, avec moins de moyens que les autres. Qu'on n'avait pas les moyens de payer les heures et le papier officiel. C'est comme apprendre à faire du vélo directement sur un vélo de grand. Il faudrait plutôt reconnaître le mérite et la débrouille des jeunes qui font ça.
Non, perdre la légion d'honneur ne fait pas « mal »
Sarko définitivement condamné, c'est déjà ça, on est censés s'en réjouir, c'est inédit, et pour ces gens là, perdre la légion d'honneur, ça fait mal. Ah. Jusqu'à quand est-on censés avaler ces couleuvres ? Non, perdre la légion d'honneur n'a jamais fait mal à personne. Au contraire, ça fait même du bien. Ce n'est ni « mal », ni « violent », c'est un peu comme priver un enfant de switch. Non, ce n'est pas l'équivalent, pour un riche, du fait « pour un pauvre » de dormir à même le sol au milieu des excréments des rats, de vivre à 5 dans une cellule sans jamais voir la lumière du jour, etc. D'ailleurs, laissons les couleuvres tranquilles, elles n'ont rien à voir avec ce mensonge dégueulasse qui voudrait nous faire admettre que les pauvres n'ont pas besoin de dignité, d'air, de santé – vu qu'ils sont habitués à vivoter depuis l'enfance, habitués aux humiliations, alors... on leur concocte des peines sur mesure, énormes, gigantesques, surhumiliantes. Puisque leur vie normale est déjà humiliante, puisqu'ils ne vivent déjà presque pas mais survivent à peine, la punition doit bien en rajouter, c'est mathématique. Quand on vit avec des cafards en temps normal, quand on a qu'une ou deux pièces pour une famille entière : il faut bien penser la restriction de liberté à partir de là, rajouter des nuisibles supplémentaires, saucissonner la vie encore davantage, l'étouffer encore davantage.
Notre système légal est un système de peines proportionnelles – selon le degré de confort, de liberté, de prestige dont on bénéficie au moment de la condamnation. Sarkozy peut bien faire chuter dans la pauvreté des millions de personnes, être responsable d'une violence généralisée, voler des millions, des milliards, soutenir des dictateurs criminels contre l'humanité : peu importe, il s'agit d'adapter la peine à son train de vie. Par exemple, le punir consiste à le priver de dessert le dimanche au Fouquets. S'il récidive, limiter la carte des vins. Les variations sont si infinies, au vu de l'étendue de ses privilèges, qu'il est tout à fait irréaliste d'imaginer qu'un jour on arrive à le condamner à la déchéance de ses droits à la retraite. Mais encore : il semble tout à fait interdit ne serait-ce que d'imaginer le faire passer une nuit dans la prison des autres, celle des pauvres. C'est une idée tabou, pire que rêver cloner des êtres humains. Ça reviendrait, vous imaginez, à prétendre qu'il n'y a qu'une seule humanité. Aussi tabou que d'imaginer que des kanaks, ou comme disent les flics des « jeunes de cité en échec scolaire complètement perdus, en outre totalement débiles, des jeunes délabrés » (https://www.mediapart.fr/journal/france/181224/tes-parents-sont-des-capitalistes-les-questions-choc-de-policiers-deux-etudiantes-presumees-cheffes-d-un-b) ont de vraies vies complexes, autant d'aspiration à la dignité, autant de fierté et d'orgueil que n'importe qui, autant besoin d'air et d'espace, de mouvement, que s'ils n'ont pas de titre de propriété, ils ont – avaient – les montagnes et la mer, dont la privation soudaine et durable est une torture - (« Je n’ai pas du tout l’habitude de ne pas voir les montagnes, la mer, la forêt... L’air est irrespirable... »)
Et ouvrir des centres de formation publics d'apprentissage de la conduite ?
Vous me direz : ah mais c'est dangereux, on ne peut pas non plus se mettre à autoriser les gens à conduire sans permis, ça fait des morts. Faudrait voir les statistiques. J'ai des doutes sur le fait que les responsables des morts sur la route seraient davantage les gens sans permis que les autres. Ce qu'on sait, c'est que ce sont en quasi totalité des hommes – de sexe masculin – et sous alcool. L'alcool est bien interdit. Le fait d'être un homme, pourtant statistiquement facteur de dangerosité sociale, est toujours autorisé (pour ne pas dire évidemment favorisé). Mais admettons. Restons sur le permis de conduire. Si le but n'était pas de domestiquer les pauvres désobéissants, mais vraiment de protéger les usagers de la route : il y aurait des solutions réellement assez simples.
1) En amont : transformer la formation à la conduite en service public, accessible à toutes et tous gratuitement. Les gens qui conduisent sans permis, c'est comme les fraudeurs dans le métro : faut pas nous prendre pour des cons, si on avait les moyens d'acheter des tickets, on le ferait, c'est quand même beaucoup plus confort et moins stressant.
2) En aval : pas la peine d'en faire tout un plat, pourquoi ne pas tout simplement condamner les fautifs à passer le permis de conduire ? voire (pour ceux qui tiennent à rendre les peines désagréables) les envoyer quelques semaines pour les récidivistes dans un centre fermé dédié, dont ils ne sortiront que leur diplôme en poche ? Voire (pour ceux qui rechignent à payer pour les fraudeurs – plus que pour les frais de bouche et cie des présidents) si la formation n'a pas encore été rendue gratuite, on peut condamner les conducteurs à rembourser leur formation.
Redonner du sens au mot « violence »
Nous sommes écoeuré-es par l'injustice des peines prévues par la loi, requises et prononcées. D'un côté il faut s'en réjouir, c'est l'ambiance du moment, grâce à Mediapart et d'autres, les affaires des « délinquants en col blanc » autrefois englouties par avance émergent, deviennent un sujet, voire sont poursuivies en justice – mais du même coup : l'injustice en devient d'autant plus visible, criante, insensée. On lit : action contre Lafarge : neuf militants écologistes comparaissent au tribunal d'Evreux. Et pendant ce temps, les avocats de Lafarge personne morale accusée de complicité de crimes contre l'humanité s'appuient sur l'arsenal législatif pour diluer les responsabilités, faire durer les procédures à l'infini, épuiser les efforts de justice (Lire Justine Augier, Personne morale, sur l'action en justice contre Lafarge). Les actionnaires de Lafarge ne seront jamais inquiétés, et s'ils le sont, pour complicité de crimes contre l'humanité, il est inimaginable qu'ils se retrouvent un jour dans le bagne des kanaks. D'un côté, crise sociale sans précédent, 49.3 à tout va, et de l'autre criminalisation de soi-disant violences qui n'en sont pas, et il faut arrêter d'utiliser ce mot de « violence » pour parler de défaut de papier, d'incendieurs de poubelles, de tagueurs de banque. Comme dans le cas des manifestations actuellement jugées de Bordeaux. Il faut désigner les faits, réduits à leur juste réalité. Mettre le feu à une poubelle : ah ben condamnons-nous à réinstaller des poubelles, voilà tout.
Non, mettre le feu à une poubelle dans une euphorie d'un mouvement collectif en réaction à une atteinte démocratique de l'Etat 49.3 n'est pas une violence. C'est un mini acte de résistance, une petite fête, un petit spectacle « image », car le feu est beau à filmer. S'il y a des violences en marge des manifestations : c'est celles des policiers qui éborgnent et blessent des manifestants. La porte de la mairie à brûlé ; elle était classée aux monuments historiques – c'est certes une faute de goût d'y mettre le feu ; je condamnerais les auteurs à suivre une formation en histoire de l'art et de l'architecture ; et à travailler à sa reconstruction – non seulement ceux qui ont été identifiés, mais j'ouvrirais le chantier à tous ceux qui ont participé à ces mobilisations collectives – j'aurais pu en être. Si la justice était bienveillante : elle nous offrirait l'occasion de regretter, de réparer ce qui peut l'être. Quid des policiers qui lacèrent les tentes des sans papiers ?
Défendre l'universel / défendre des intérêts dominants.
Le but de nos lois réelles est de tout mélanger, de moraliser – de nous émouvoir, de nous faire peur à agiter l'image de pauvres vieilles dames innocentes écrasées sur la route, d'œuvres d'art (van gogh !) détruites (les médias passant largement sous silence l'existence d'une vitre protectrice, comme l'a rappelé la journaliste de Blast Paloma Moritz dans l'émission https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/171224/elon-musk-jete-du-fumier-dans-la-piscine-de-l-info-migrons-ensemble-dans-celle-d-cote), d'historiques portes en bois monumentales parties en fumée... autant d'écrans de fumée, justement, alors que les peines s'attaquent en réalité à bien autre chose. Elles punissent et enferment depuis des siècles la pauvreté ; criminalisent le militantisme politique (black block, sainte soline) ; et défendent les propriétaires.
Une autre justice exigerait de démêler tout cela : oui la justice doit défendre l'art ; donc la sensibilité artistique universelle ; défendre la mémoire et l'histoire universelle ; défendre les vies humaines et la dignité de toutes et tous – et chaque atteinte à la liberté artistique est une faute de goût, chaque atteinte à la dignité d'une personne humaine est une faute morale et politique qu'il faut reconnaître et réparer ; mais une vraie justice ne doit pas défendre, comme elle le fait, les propriétaires contre les miséreux, les diplômés contre les analphabètes ; les capitalistes et les fascistes contre les communistes et les anarchistes ; les forces de l'ordre contre les sans papiers ; les nationaux contre les étrangers.