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Chaque candidat représente un parti, inclus dans une coalition. La coalition Onward Indonesia (KIM / AMIN) a soutenu les candidats à la présidence/vice-présidence Joko Widodo et Ma'ruf Amin lors de l'élection présidentielle de 2019. Elle était initialement connue sous le nom de Working Indonesia Coalition, fondée en 2018. La coalition est actuellement utilisée comme gouvernement du président actuel Joko Widodo (dit Jokowi). Cette coalition est composée d'une douzaine de partis, dont le Partai Demokrasi Indonesia Perjuangan (PDI-P), le Parti démocratique indonésien de la lutte, un parti politique laïc et nationaliste et Gerakan Indonesia Raya (Gerindra), le Mouvement de la Grande Indonésie, un parti politique nationaliste et populiste de droite. Ces partis soutiennent respectivement les deux premiers candidats.
Au sein de la coalition Partai Keadilan Sejahtera (PKS) : le parti de la justice et de la prospérité est un parti politique islamique qui se fonde sur les principes de l'islam et cherche à mettre en œuvre des politiques conformes aux valeurs islamiques dans la société et le gouvernement. Le candidat à la vice-présidence aux côtés d'Anies Baswedan, Muhaimin Iskandar, est le secrétaire du parti. Enfin, le Partai Persatuan Pembangunan (PPP) : le Parti de l'unité et du développement, est un parti politique issu d'organisations islamiques, dont les politiques sont centrées sur les principes de l'islam et la participation active à la construction et au développement de la nation.
Parmi les thèmes abordés figuraient la lutte contre la corruption, la protection des minorités, la question de la Papouasie, l'indice démocratique et bien entendu le développement économique. Cependant, si d'un côté, le débat captivant a mis en lumière les différents programmes – souvent ténus –des candidats, la question morale s’est aussi invitée dans les débats. En particulier, la candidature à la vice-présidence du fils aîné de Joko Widodo, Gibran Rakabuming Raka, au sein de l’opposition au parti de son père, reflète les complexités des luttes de pouvoir entre les candidats dans une Indonésie qui se prépare à des élections cruciales.
"Une affaire de famille" : Jokowi, Gibran et le manque d'éthique
À bien des égards, le choix du vice-président (malgré les fonctions politiques limitées de celui-ci) joue un rôle crucial dans les élections indonésiennes, notamment en impliquant une partie de la population qui pourrait ne pas s'identifier aux présidentiables. L’importance de ce levier électoral a été particulièrement évident lors de l’élection présidentielle de 2019 où, après l’affaire de blasphème impliquant l’ancien bras droit de bras Jokowi, Ahok Basuki Purnama, le président s'est retrouvé dans une position d'instabilité, face à des critiques émises en particulier par le front musulman le plus radical, l'accusant d'être communiste et d'origine chinoise.
L'utilisation de l'identitarisme politique reflète en partie le processus historique et politique du pays, qui repose moins sur des programmes et leurs idéaux que sur des affiliations et des affinités politiciennes. Dans ce contexte, lors de la campagne électorale de 2019, le choix de Jokowi de désigner un haut représentant de la grande organisation musulmane majoritaire (Nahdlatul Ulama), Ma'ruf Amin, a été une stratégie délibérée pour récupérer le vote islamique. Ce choix s'est avéré judicieux, conduisant à la victoire de Jokowi, bien que suscitant des interrogations chez les partisans du parti nationaliste PDI-P, soutien du président sortant, face au conservatisme de Ma'ruf Amin.
La situation politique a par la suite pris une tournure préoccupante pour les fondamentaux démocratiques du pays. Après sa défaite aux élections de 2019, l'ancien adversaire de Jokowi, le général Prabowo Subianto, a étonnamment été nommé au poste de ministre de la Défense. Pendant ce temps-là, Gibran suivait la trajectoire de son père (maire en 2005-2012), comme maire de Surakarta (depuis 2021). Sa récente candidature comme co-lisitier de Subianto pour la prochaine éléction présidentielle confirme des calculs électoralistes détachés de toute considération idéologique et éthique, au vu des antécédents de Prabowo Subianto en termes d’atteintes aux droits humains.
Cet événement suscite aussi la crainte d’une dérive autocratique de Jokowi, lequel avait pourtant émergé en 2014 comme candidat progressiste et champion du peuple.
Selon la Constitution, Gibran, actuellement âgé de 36 ans, n’était pas autorisé à se présenter pour occuper la fonction de vice-président. Cependant, à travers une réforme législative, le juge de la Cour constitutionnelle, Anwar Usman (également époux d'Idayati, la soeur cadette de Jokowi) a pris l'initiative de modifier le règlement en faveur de Gibran, réduisant l'âge minimum pour se présenter de 40 à 35 ans, avec une clause spéciale exigeant au moins un mandat en tant que maire.
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Le 14 février sera-t-il un point de bascule ?
À quelques semaines du scrutin, Joko Widodo semble avoir modifié ses alliances, se rapprochant de plus en plus du parti Gerindra dirigé par Prabowo Subianto plutôt que de son propre parti, le PDI-P. En cas de victoire de Prabowo-Gibran, il est probable que Jokowi occupe un poste clé, peut-être dans un ministère.
Cependant, la perspective d'une victoire de ce ticket soulève des questions non seulement politiques, mais aussi sociales. Qu'est-ce qui pourrait pousser les citoyens à voter pour un coalition composée de Prabowo, un présidentiable accusé de violations des droits de l'homme et de crimes contre l'humanité, et de Gibran, un jeune vice-présidentiable qui a grandi à l'ombre de son père ?
La population est appelée à évaluer le poids des questions morales et des droits de l'homme dans le contexte de ses choix électoraux, ce qui pourrait tracer un nouveau chapitre dans l'histoire politique de l'Indonésie. Le résultat des élections imminentes pourrait par ailleurs influencer la perception de l'Indonésie sur la scène internationale.
Cet article a été co-écrit par Aniello Iannone, maître de conférences et chercheur à l'université de Diponegoro, étudiant en sciences politiques spécialiste de l'Indonésie et de la Malaisie, et Laure Siegel, correspondante pour Mediapart en Asie du Sud-est, dans le cadre de l'atelier "Training on Popularizing Research: A cross-sectoral approach on social movements in Southeast Asia" organisé par Alter-Sea et Shape-Sea.
==> Pour comprendre le contexte, notre premier article sur l'ouverture de la campagne électorale en Indonésie.