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Billet de blog 8 février 2024

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Réfléchir la santé sans les patients, une habitude à abandonner

Les patient·es, censé·es être « au centre du système de santé » ne sont toujours pas pris en compte dans les réflexions sur celui-ci en dehors du cadre restreint des associations de patients. Il est nécessaire de sortir de cet entre-soi valide et d'écouter les concerné·es.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les patient.es, nous dit on depuis 20 ans et la loi de 2002, « sont au centre du système de santé ». Pourtant en tant que patient.e, nous avons souvent l’impression d’être oublié.es en dehors des mots d’introduction ou de conclusion dans les livres et les conférences sur le système de santé.

Il y aura un mot en fin de colloque disant "ah oui nous n’avons pas entendu de patient.es aujourd’hui, nous aurions pu". Un autre disant que " bien sûr l’avis des patient.es est très important et il faut l’intégrer " mais sans faire la moindre action pour que cela devienne réalité. Si notre présence et nos avis sont si importants – et cela doit l’être, il est question de NOS santés, de NOS vies, de NOS corps, de NOS existences – pourquoi ne sommes nous jamais sollicité pour autre chose que pour décorer les productions ou évènements qui pourtant nous concernent en premier lieu? De même, les initiatives pluridisciplinaires n’incluent que très rarement des patient.es. Les professionnel.les, divers, se targuent dans leurs titres de parler des patient.es, parlent de mettre « nos besoins au centre » mais surtout sans nous intégrer dans leurs cercles de réflexions. Et à la fin, le résultat est le même quelque soit le projet, le colloque, la conférence, l’ouvrage : iels n’auront même pas pensé à intégrer des patient.es, des vrai.es, pas juste l’image qu’iels en ont, dans leurs réflexions.

En 20 ans, notre situation n’a donc que peu évolué. Non seulement nous ne sommes absolument pas au centre, mais nos choix sont toujours très limités, voire inexistants ; les décisions médicales venant dans la majeure partie des cas dans une logique descendante du pouvoir médical. En effet, les médecins écoutant leurs patient.es échangeant avec elleux, les considérant comme des égaux dans la relation de soin et comme ayant leurs mots à dire dans les choix d’examens, les traitements les concernant – pré requis pourtant nécessaires à de bonnes prises en charge – restent largement minoritaires.

Hors des associations de patient.es ou de santé communautaire, les malades ont « le droit » d’être membres de quelques structures en santé uniquement. Mais plutôt comme une exception. Iels peuvent être là, mais avec un statut et une place floue et rarement bien définie, dans des organisations qui ne sont pas pensées pour qu’iels en fassent partie. De plus, ces organisations sont souvent valido-centrées – le handicap étant un impensé politique même à gauche – donc dans laquelle le.a patient.e ne doit pas montrer qu’iel est trop malade, ne doit pas demander trop d’accessibilité parce que sinon iel sera percu.e comme « pénible » ou « pas fiable ».

Comme d’habitude, dans le domaine de la santé ou pas, des qu’iel sort du box de consultation, le.a malade s’iel veut être écouté.e doit être en apparence au moins un « bon valide » pour pouvoir être accepté.e, un malade « pas pénible » dont surtout la maladie ne doit pas avoir d’impact sur quoi que ce soit, ne doit pas se voir outre pour servir les objectifs de la structure. Performer la validité, ne pas faire peur aux valides en leur rappelant l’existence de la maladie, c’est ce qui est attendu du malade. Ou alors à l’inverse, être tokenisé.e comme l’handicapé.e de l’organisation.

Il s’agit pourtant bien de notre santé, de nos besoins en santé, et force est de constater, la gauche qui milite en santé, à l’instar des sujets de handicap, ne fait pas bien mieux que la droite. Quel que soit le camp politique, remettre en question les réflexes validistes serait de bon ton. Pour l’instant, on constate toujours un refus de prendre en compte la parole des personnes concerné.es en faisant appel à des schémas de pensée validistes classiques, sans trop surtout se remettre en question.

C’est là que le bât blesse : à gauche, tout autant que vous êtes à réfléchir dans la santé – à quelques exceptions près – vous êtes éminemment validistes. Vous nous voyez aussi comme inférieur.es, vous nous voyez aussi comme pour la déco, la touche qui rendra votre réflexion « patient validé », vous ne voulez surtout pas faire les efforts d’accessibilité qu’il faudrait faire pour intégrer réellement des patient.es dans vos lieux de réflexion, dans vos militantisme. 

Car oui, mettre en place l’accessibilité, obligation légale dans la vie publique depuis la loi de 2005, ne doit pas être vue comme un “caprice” mais une condition nécessaire pour rendre accessible les lieux de discussions et sortir de l’entre-soi valide bien trop confortable. En santé, alors que les usagerEs ont souvent des besoins spécifiques d’accessibilité, il parait inacceptable que près de 20 ans après la loi 2005 et 3 ans après le dernier rapport de la Convention Internationale aux Droits des Personnes Handicapées (CIDPH) de l’ONU sur la Françe, on observe toujours aussi peu de mise en œuvre réelle permettant la participation de ceux-ci. Normes PMR non prises en compte, absence de port du masque, d’audio-description ou de traducteur.ices en langue des signes, la liste est longue mais nécessaire si l’on veut pouvoir laisser les concerné.es s’exprimer.

Mais il ne faudrait surtout pas nous intégrer dans les réflexions de propositions de changement du système de soins, attendez ! Laisser les principaux concerné.es prendre des décisions à leurs sujets, mais quelle idée ! Cet effort ne vient-il pas s’opposer au besoin de massification de nos mouvements, demanderont certains? Et de fil en aiguille, l’infériorité du malade, logique actuelle de la médecine de notre société patriarcale, reste bien intégrée, engrainée dans les logiciels de réflexion de toustes les personnes engage.es en santé qui ne soient pas elleux-mêmes malades.

Ceci peut paraitre exagéré, voir absurde, mais alors pourquoi, quand dans une association qui se targue de faire un joli projet en santé, quand moi, patiente et seule patiente du groupe qui coordonnait le projet, je proposais de mettre des patient.es dans des postes de coordination, de rapporteur.ices, on me disait toujours « iels n’ont pas assez les compétences pour cela, il vaut mieux prendre un professionnel de santé/technocrates/directeurs d’hôpital/etc » ?

Car nous ne sommes pas jugé.es compétent.es pour réfléchir au système de soins. Nous n’avons « que » notre expérience pratique, comprenez, donc selon beaucoup, pas d’expérience théorique, pas d’expérience professionnelle, ce qui ne vaut rien pour beaucoup. Dans une vision très validiste, nous n’avons donc, pas de compétences ou connaissances valables à apporter.

Nous ne sommes donc absolument pas, n’avons jamais été depuis plus de 20 ans qu’on en parle « au centre ».

Alors que faire face à cette situation ? Nous luttons, nous malades, patient.es, usager.es, au sein des associations de patient.es dans lesquelles nous restons cantonné.es. Certain.es s’organisent autour de la santé communautaire (et c’est une très bonne chose et absolument nécessaire). Mais c’est bien le seul domaine en santé ou vous verrez des usager.es.

Il est tant que nous importions le « Rien sur nous sans nous » (Nothing about us, without us) dans le militantisme en santé.

Comme l’indique la page Wikipédia de cette phrase « Rien sur nous sans nous! » est un slogan utilisé pour communiquer l’idée qu’aucune politique ne devrait être décidée sans la participation pleine et directe des membres du groupe concerné par cette politique. Cela implique des groupes nationaux, ethniques, handicapés ou autres qui sont souvent considérés comme marginalisés des opportunités politiques, sociales, économiques et culturelles. »

Force est de constater en santé que nous en sommes encore extrêmement loin.

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