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Billet de blog 7 novembre 2023

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Planification de l'éolien en mer : les exigences du débat public de façade

À la veille du lancement des grands débats publics par façade sur la planification maritime et l’éolien offshore, il est nécessaire de rappeler les exigences fondamentales de cette procédure d’information et de participation du public concernant la question cruciale du respect des aires marines protégées.

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Les quatre façades maritimes françaises de la métropole (Sud Atlantique, Méditerranée, Manche Est/Mer du Nord, Nord Atlantique/Manche Ouest) doivent faire l’objet d’un débat public portant sur les différents enjeux d’une évolution des documents stratégiques de façade. Ces enjeux sont multiples, à une échelle spatiale très large, rendant l’exercice particulièrement difficile.

Le risque serait notamment de ne pas mettre suffisamment l’accent sur les sujets les plus délicats du moment, comme l’avenir de la pêche ou celui des aires marines protégées, à l’heure du développement important des projets éoliens offshore (une cinquantaine de parcs annoncés d’ici 2050).

Concernant spécifiquement les aires marines protégées, il est indispensable de ne pas uniquement concentrer l’attention du public sur le nouveau concept, très restrictif, de zone de protection forte, introduit par la loi à l’article L. 110-4 du Code de l’environnement et précisé par le décret n° 2022-527 du 12 avril 2022. Pour le dire vite, il serait en effet pour le moins réducteur de limiter le débat sur les enjeux environnementaux de la localisation des futurs parcs éoliens en mer à l’évitement des quelques parcs nationaux français ayant une partie marine... Il convient donc de dépasser le cadre minimaliste et très décevant de la loi EnR du 10 mars 2023, qui se contente d’inciter à éviter ces derniers dans la planification de l’éolien marin[1].

Au moment où la contestation de l’éolien en aire(s) marine(s) protégée(s) monte en intensité, suite aux projets éoliens « posés » et « flottants » en zone Natura 2000 de protection des oiseaux en mer du Nord (au large de Dunkerque), en Sud-Atlantique (au large d’Oléron), et en Méditerranée (au large du Golfe de Fos-sur-Mer), il est impératif que les débats publics abordent sincèrement la problématique de l’évitement des zones Natura 2000 et des parcs naturels marins.

Il ne serait pas pensable de passer sous silence les enjeux de préservation de cette catégorie essentielle d’aires marines protégées, quand bien même elles ne pourraient pas être qualifiées de zones de protection forte !

En la matière, on peut utilement rappeler les derniers avis des instances environnementales compétentes, rendus au sujet du projet controversé de Dunkerque, en pleine zone Natura 2000.

Ainsi, l’avis de l’Autorité environnementale (Ae)  du 21 septembre 2023 précise que « Le dossier ne démontre pas qu’il n’existe pas d’autres zones ou macro zones de moindre contrainte environnementale (par exemple hors site Natura 2000, ou plus éloignées du littoral qui concentre les enjeux environnementaux) et que ni l’État, ni le porteur de projet n’apportent d’éléments justifiant une localisation du parc éolien précisément dans un site Natura 2000 »[2].

« L’Ae recommande à l’État de :

  • justifier les raisons, notamment environnementales, l’ayant conduit à retenir la zone ayant fait l’objet de l’appel d’offre au sein d’une aire marine protégée ;
  • et d’apporter une attention particulière aux enjeux de biodiversité et de paysage pour arrêter les prochaines zones d’appels d’offre ou d’accélération de l’éolien en mer dans le cadre de la planification maritime à venir ».

Quant à l’avis (défavorable) du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) sur ce même dossier, en date du 11 juillet 2023, il conclut (dans le sillage son avis général du 6 juillet 2021) « que ce projet, situé sur des sites Natura 2000, dans un couloir migratoire d’importance internationale, ne peut avoir lieu sans nuire au maintien en bon état des populations des espèces protégées concernées, notamment du fait des effets cumulés avec les autres parcs ».

Sans oublier le récent rapport de la Cour des comptes européenne[3], soulignant que « Le déploiement des énergies marines renouvelables se heurte à des obstacles pratiques, sociaux et environnementaux qui n’ont pas encore fait l’objet d’une réflexion suffisante », les avis environnementaux sur le projet de Dunkerque nous rappellent toute l’importance des zones Natura 2000 (ZPS et ZSC) dans la politique européenne et française de protection de la biodiversité marine.

Dans ce contexte, les débats publics qui vont s’ouvrir pour chacune des quatre façades maritimes doivent nécessairement s’investir sur ce sujet difficile, en toute indépendance, en fournissant notamment des informations pertinentes sur la problématique de l’éolien offshore dans les zones protégées (Natura 2000 et parcs naturels marins) et en permettant une participation du public sur ce sujet précis.

On peut d’ailleurs légitimement penser que ces exigences découlent des lettres de mission adressées le 14 juin 2023 par la vice-présidente de la CNDP aux présidents des commissions particulières du débat public. Ces lettres fort instructives insistent en effet sur le respect des principes généraux du débat. Il s’agit « d’accéder à une information plurielle, complète, transparente et intelligible » ; il s’agit également « de débattre de tous les enjeux socio-économiques qui s’attachent aussi bien au DSF qu’à l’éolien en mer, ainsi que des enjeux environnementaux et d’aménagement du territoire » ; il s’agit encore « de débattre des critères d’identification des zones potentielles d’implantation d’installations de production d’énergie renouvelable en mer sur la façade, et leur raccordement électrique ».

Ces lettres réaffirment à juste titre que les instances de débat public travaillent librement et ne sont « sous l’autorité d’aucun acteur en particulier, y compris du porteur de projet, des élus locaux ou des représentants de l’Etat ». En conséquence, les dossiers des débats organisés supposent « que le public dispose d’informations plurielles et contradictoires, lui permettant de se forger sa propre opinion de manière éclairée ».

Pour ce faire, les documents, notamment cartographiques, qui seront mis à disposition du public doivent être parfaitement clairs sur la localisation des zones dites propices à l’éolien offshore. Ainsi, il n’est pas question d’omettre de superposer ces zones avec les périmètres des différentes aires protégées, dont les zones Natura 2000 (et les parcs naturels marins). Le public doit bien évidemment être informé des éventuelles implantations projetées dans ces secteurs préservés au titre des directives européennes « oiseaux » et « habitats » pour, le cas échéant, en discuter la pertinence... Est-ce là une évidence ?

On aimerait le croire, mais l’exemple du projet éolien marin au large d’Oléron -déjà au contentieux- laisse songeur. Les informations sur les enjeux de son implantation en zone Natura 2000 ont été bien maigres pendant le débat et on ne peut que s’étonner, en parcourant le document de concertation post-débat public[4], de lire que ce projet tant contesté a été sorti du parc naturel marin (de l'estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis), sans préciser cependant qu’il était toujours localisé en zone de protection des oiseaux (ZPS)....

Il est plus que jamais important de comprendre et d’accepter que les procédures de participation du public ne sont pas des instruments d’orientation de l’opinion publique. Par ailleurs, des recours sont tout à fait susceptibles d’être engagés suite à la révision des documents stratégiques de façade, sur le terrain du vice de procédure en cas d’irrégularité ou d’insuffisance des débats publics, ou sur le fond en cas de méconnaissance des exigences -notamment européennes- de préservation des aires marines protégées (au-delà des zones de protection forte).   

[1] L. Bordereaux, « La réussite sociétale de l’éolien en mer est conditionnée au respect des sites Natura 2000 », 4 juill. 2023, Le Monde.fr : https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/04/la-reussite-societale-de-l-eolien-en-mer-est-conditionnee-au-respect-des-sites-natura-2000_6180525_3232.html ; « Littoral : les documents stratégiques de façade en question », La gazette des communes.fr, 11 mai 2023 : https://www.lagazettedescommunes.com/867376/littoral-les-documents-strategiques-de-facade-en-question/

[2] IGEDD/Ae, avis délibéré n° 2023-49 (points 2.3 et 2.4.4.) : https://www.igedd.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/230921_parc_eolien_dunkerque_delibere_cle214171.pdf

[3] Rapport spécial 22/2023: Énergies marines renouvelables dans l’UE – Des plans de croissance ambitieux, mais une durabilité difficile à garantir : https://www.eca.europa.eu/ECAPublications/SR-2023-22/SR-2023-22_FR.pdf

[4] Gouvernement/Rte, Concertation post-débat public 2023 - Suivre et s'informer sur l'avancement du projet éolien en mer au large d'Oléron : https://www.eoliennesenmer.fr/sites/eoliennesenmer/files/inline-files/Concertation%20post-d%C3%A9bat%20public%202023.pdf

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